Mali : à Manantali, Amadou Haya Sanogo prend son mal en patience

Détenu à plus de 300 km de la capitale dans l’attente d’un éventuel procès, l’ancien chef de la junte a tout le loisir de méditer sur le sort réservé aux anciens putschistes.

Dans son bureau au camp de Kati, en mai 2012. À l’époque, il se comparait à de Gaulle et se rêvait en sauveur du pays. © EMMANUEL DAOU BAKARY POUR J.A.

Dans son bureau au camp de Kati, en mai 2012. À l’époque, il se comparait à de Gaulle et se rêvait en sauveur du pays. © EMMANUEL DAOU BAKARY POUR J.A.

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Publié le 21 octobre 2015 Lecture : 6 minutes.

De tous ses lieux de détention, celui-ci serait le plus spartiate. Le plus éloigné aussi. En cette saison des pluies, qui rendent les routes largement impraticables, il faut compter plus de six heures pour rallier la localité reculée de Manantali, dans la région de Kayes (Ouest), depuis Bamako. C’est là, non loin de l’imposant barrage du même nom, qu’est détenu Amadou Haya Sanogo depuis décembre 2014 et son transfert de Sélingué, à proximité de la frontière avec la Guinée, où il était précédemment incarcéré.

Voilà maintenant près de deux ans que le tombeur du président Amadou Toumani Touré (ATT) est enfermé entre quatre murs. Arrêté et écroué à Bamako fin novembre 2013 pour son rôle présumé dans l’assassinat d’une vingtaine de « bérets rouges » (les commandos parachutistes fidèles à ATT, qui avaient tenté un contre-coup d’État le 30 avril 2012), l’ancien capitaine putschiste est aussi mis en cause dans la disparition de plusieurs militaires impliqués dans une mutinerie au camp de Kati, son ancien fief, le 30 septembre 2013.

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Une détention entre télévision et lecture du Coran

En attendant son probable procès devant une cour d’assises, le sous-officier qui se rêvait en de Gaulle malien dort dans une espèce de baraquement en préfabriqué gardé vingt-quatre heures sur vingt-quatre par des gendarmes. Le confort est sommaire. Une chambre, une salle de bains, un petit salon, le tout desservi par une porte d’entrée qui constitue sa seule ouverture sur le monde extérieur. Lorsqu’il la franchit, Sanogo n’a le droit de faire que quelques pas pour se dégourdir les jambes, surveillé de près par ses gardiens.

La chute est rude ! © J.A.

La chute est rude ! © J.A.

Récemment, ses proches ont réussi a lui faire installer un climatiseur pour tempérer les fortes chaleurs de l’hivernage. Bénéficiant désormais d’un frais relatif, l’ancien capitaine bombardé général quatre étoiles tue ses longues journées en regardant la télévision ou en lisant (la presse ou le Coran, c’est selon). Ce musulman pratiquant et fils d’une famille de marabouts continuerait aussi à faire ses cinq prières par jour avec dévotion.

« Il garde le moral et est toujours déterminé à se battre contre l’injustice dont il est victime », affirme son avocate Me Mariam Diawara, qui lui rend souvent visite à Manantali. Dénonçant des conditions de détention arbitraires et indignes, elle affirme avoir demandé à maintes reprises le transfert de son client à Bamako. Sans succès. Selon elle, les autorités l’ont volontairement exilé en brousse, à plus de 300 km de la capitale, pour user ce prisonnier encombrant et saper sa défense.

Coupé du monde, l’ex-professeur d’anglais au Prytanée militaire de Kati aurait aussi, d’après son avocate, des problèmes de santé

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Une accusation qui fait bondir Me Moctar Mariko, président de l’Association malienne des droits de l’homme (ADMH), partie civile dans les deux procédures ouvertes à l’encontre de Sanogo. « Ce n’est pas un abus judiciaire. Ces mesures de transfèrement dans d’autres communes sont prévues par notre code de procédure pénale. Et, sauf erreur de ma part, Manantali est en territoire malien », ironise-t-il.

Coupé du monde, l’ex-professeur d’anglais au Prytanée militaire de Kati aurait aussi, d’après son avocate, des « problèmes de santé ». Elle refuse de préciser lesquels, mais affirme avoir fourni des certificats médicaux aux juges chargés du dossier et avoir même saisi la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour violation des droits de l’homme.

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Un entourage fidèle

Amadou Haya Sanogo, 43 ans, marié et père de quatre filles, dont l’aînée a 11 ans, reçoit la visite régulière de ses proches. Ses avocats, avec qui il prépare sa défense, mais aussi son épouse, Assanatou, et les autres membres de sa famille ou amis. « C’est évidemment une situation délicate pour sa femme et ses enfants, mais globalement ils s’en sortent plutôt bien », confie un ami du clan Sanogo. Tous ont besoin d’un « permis de communiquer » délivré par la justice avant de se rendre à Manantali.

Nous ne nous sommes pas vus depuis près de deux ans, mais nous nous débrouillons pour échanger des nouvelles via les gens qui lui rendent visite, glisse un camarade du CNRDRE

Certains de ses anciens collaborateurs, coaccusés dans l’affaire dite des bérets rouges ou dans celle de la mutinerie de Kati, n’ont en revanche plus le droit d’entrer en contact avec lui. Plusieurs ont été placés sous contrôle judiciaire et ne sont pas autorisés à quitter Bamako. C’est le cas de « Bac », son ex-secrétaire particulier, du capitaine Koné, son officier de sécurité, ou encore du général Ibrahima Dahirou Dembele, son ancien chef d’état-major général des armées.

« Nous ne nous sommes pas vus depuis près de deux ans, mais nous nous débrouillons pour échanger des nouvelles via les gens qui lui rendent visite », glisse un camarade du défunt Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE), le comité militaire au pouvoir après le putsch contre ATT.

Un procès attendu

Tous, avec leur ancien chef, formellement accusé d’assassinat, de complicité d’assassinat et d’enlèvement, attendent de savoir à quelle sauce ils vont être mangés. Le juge d’instruction Yaya Karembé a clôturé son enquête sur la disparition des bérets rouges il y a bientôt un an, en décembre 2014. Transmis au procureur général, le dossier se trouve désormais devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bamako. Deux options se présentent : soit un non-lieu, soit un procès devant une cour d’assises. « Cela finira certainement aux assises, même si Sanogo reste présumé innocent jusqu’à preuve du contraire », explique une source au parquet. L’enquête sur la mutinerie du 30 septembre 2013, également menée par le juge Karembé, est en revanche toujours ouverte.

Les découvertes de différents charniers dans les environs de Kati ont renforcé les charges pesant sur les tauliers de l’ancienne junte. En décembre 2013 et en février 2014, trois fosses communes contenant plus d’une vingtaine de corps ont été retrouvées à proximité de leur caserne. Des tests ADN réalisés sur les cadavres ont démontré que la majorité d’entre eux étaient des bérets rouges disparus lors de la tentative de contre-coup d’État.

Pour le moment, aucune date n’est avancée pour le procès. Il n’est pas non plus question de transférer le détenu vers un autre lieu de détention

Les défenseurs d’Amadou Haya Sanogo ne cessent de dénoncer un règlement de comptes envers l’ex-putschiste et ses proches, visant à leur faire payer le coup d’État du 22 mars 2012, qui a plongé le pays dans une crise politico-militaire sans précédent. « Ce dossier traîne parce qu’il est vide. S’il y avait des preuves réelles contre notre client, cela ferait longtemps qu’on en aurait fini avec cette procédure politique et non judiciaire », dénonce Me Mariam Diawara.

Tandis que l’entourage d’Ibrahim Boubacar Keïta affirme que le président « ne met jamais son nez dans les affaires de la justice », le parquet se refuse à expliquer ce délai. Pour le moment, aucune date n’est avancée pour le procès. Il n’est pas non plus question de transférer le détenu vers un autre lieu de détention. Après avoir brutalement chuté de son piédestal, passant des honneurs du sommet de l’État à une vie cloisonnée dans un préfabriqué en brousse, celui qui s’imaginait en sauveur du Mali ne semble aujourd’hui pas près de recouvrer la liberté.

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