Hommage : Henning Mankell, un guerrier solitaire

Le maître du polar suédois est mort d’un cancer dans la nuit du 4 au 5 octobre, à l’âge de 67 ans. Il partageait sa vie entre son pays natal et le Mozambique.

En 2003. © FRANK SIEMERS/LAIF-REA

En 2003. © FRANK SIEMERS/LAIF-REA

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Publié le 12 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

Comme les philosophes télévisuels, les engagés de papier sont légion, déversant leurs conseils, leurs idées et leur morale dans des éditoriaux bien sentis rédigés depuis le confort moelleux de leurs bureaux climatisés. Inlassable défenseur des droits de l’homme, l’écrivain suédois Henning Mankell n’était pas de ceux-là. « Je pense : l’action confirme la parole. Il est facile de dire qu’on soutient, défend ou combat telle ou telle chose. Mais ce n’est que dans l’action qu’on en apporte la preuve », écrivait-il dans son journal de bord.

Son action militante la plus connue a eu lieu dans les eaux de la Méditerranée, en 2010. À cette époque, Israël impose à Gaza un blocus illégal. À Nicosie (Chypre), Mankell embarque à bord du navire Challenge avec un groupe de militants internationaux, puis rejoint le pont d’un cargo vétuste répondant au doux nom de Sophia. Le 30 mai, la flottille met le cap sur Gaza.

Mankell est présenté comme un dangereux terroriste menaçant la sécurité d’Israël

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À 5 h 30 du matin, les bateaux sont violemment arraisonnés par un commando israélien masqué, au cours d’un assaut brutal qui cause la mort de neuf personnes. Assis sur le pont surchauffé, en plein soleil, les militants n’ont d’autre choix que d’attendre. Convoyés jusqu’au port d’Ashdod, ils sont ensuite transférés dans un centre d’accueil. Mankell est présenté comme un dangereux terroriste menaçant la sécurité d’Israël : il a osé emporter son rasoir ! Sa célébrité le protège néanmoins ; un employé du ministère des Affaires étrangères de l’État hébreu est là pour veiller qu’il ne lui arrive rien.

Après une nuit en prison, il est expulsé vers la Suède où, face aux journalistes, il laisse éclater sa colère. Mais après avoir traité ses ravisseurs de « salauds » et d’« ordures », l’écrivain reprend le dessus sur l’homme blessé : « Le lendemain, 2 juin, j’écoute un merle. Un chant pour ceux qui sont morts. Maintenant, il y a tout ce qui reste à faire. Pour ne pas perdre de vue l’objectif, qui est de lever le blocus de Gaza. Ça va se faire. Derrière ce but, d’autres attendent. En finir avec un régime d’apartheid, cela prend du temps. Mais pas une éternité. »

Un merle chante encore, quelque part. Le lundi 5 octobre, le romancier et dramaturge Henning Mankell est mort, à l’âge de 67 ans, des suites d’un cancer du poumon. Homme d’engagements, aussi bien en Europe qu’au Mozambique, où il s’impliquait au sein du Teatro Avenida (Maputo) tout en finançant l’association SOS Villages d’enfants (Chimoio), il était bien entendu célèbre pour ses livres, et surtout pour ses polars construits autour du séduisant antihéros Kurt Wallander.

Il aura vendu plus de 40 millions d’exemplaires de ses romans

En chiffres, c’est assez vertigineux puisqu’il aura vendu plus de 40 millions d’exemplaires de ses romans – sans jamais chercher à échapper aux impôts. « Le fisc m’a confirmé que je pourrais être imposé en Afrique si je le voulais ; dans ce cas, mes impôts se réduiraient à environ cinq pour cent de mes gains. Mais moi, je veux payer mes impôts en Suède. Cela signifie que je me sépare de plus de la moitié de ce que je gagne ; et de cette façon c’est OK d’être riche », déclarait-il à Kirsten Jacobsen dans Mankell (par) Mankell.

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Sombre et solitaire, l’artiste qui fut proche d’Ingmar Bergman avant d’épouser sa fille Eva laisse des textes forts (Les Chiens de Riga, La Lionne blanche, Les Chaussures italiennes…), où l’apparente simplicité n’empêche jamais la profondeur. L’homme laisse aussi sur le sol de la planète une empreinte non négligeable. De lui, Desmond Tutu écrivait : « Quand nous entendons un appel à l’aide dans la cage d’escalier, nous avons le choix : monter le son du téléviseur ou donner un coup de main. Henning Mankell, lui, aimerait mieux mourir plutôt que de monter le son. Et il nous montre que nous avons le choix. »

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