Niger – Alphadi : « Dès qu’il s’agit de mode africaine, les financiers sont frileux »
Le styliste appelle les décideurs du continent à prendre conscience du potentiel de la filière textile. Et à la soutenir.
Le Niger entre deux fronts
Malgré les turbulences qui affectent la région et les menaces terroristes qui planent au nord comme au sud, le pays est en paix. Et Mahamadou Issoufou a eu les coudées franches pour tenter de répondre aux attentes de ses concitoyens. À quatre mois de la présidentielle et des législatives, bilan du quinquennat socialiste.
Grande figure de la mode africaine, le styliste nigérien Alphadi souhaite voir décoller une véritable industrie du prêt-à-porter sur le continent. Nous l’avons rencontré dans son atelier, à Niamey.
Jeune Afrique : Lors de la neuvième édition du Fima, en 2013, vous avez dit qu’il était temps « de réaliser la promesse des fleurs »… Que vouliez-vous dire ?
Alphadi : Je souhaiterais voir l’industrie textile africaine éclater et briller de tous ses feux, grâce notamment à la classe moyenne qui émerge sur le continent et ne demande qu’à acheter les vêtements de créateurs locaux. Ces classes moyennes ne peuvent pas continuer à aller chercher, en Occident, le prêt-à-porter français, anglais ou chinois ! Car l’Afrique, elle aussi, a son prêt-à-porter. Et elle tient son salon.
Pourtant, si la matière première et les talents sont là, ce prêt-à-porter africain ne décolle pas…
Parce que les financiers sont frileux quand il s’agit de mode africaine, alors qu’en Occident, dès qu’un créateur est repéré, ils accourent. Il nous faut trouver des partenaires prêts à miser sur nos marques pour nous permettre de nous consacrer à notre art et d’en vivre, sachant qu’il nécessite toute une équipe, du styliste au distributeur en passant par le responsable marketing. Tout repose sur les financements.
Il faut rappeler que la haute couture européenne a été financée par l’argent venu d’Afrique : Yves Saint Laurent, Christian Lacroix et LVMH ont bénéficié d’investissements de la compagnie Elf
Or si les décideurs du continent ne croient pas en leurs créatifs, pourquoi les étrangers y croiraient davantage ? Il faut pourtant rappeler que la haute couture européenne a été financée par l’argent venu d’Afrique : Yves Saint Laurent, Christian Lacroix et LVMH ont bénéficié d’investissements de la compagnie Elf, c’est ce qui leur a permis de se développer. Pourquoi n’investirait-on pas l’argent du pétrole africain dans nos marques pour nous permettre d’évoluer ?
Ne faut-il pas diversifier les matières, qui se résument souvent au seul coton ?
C’est vrai. Pour l’essentiel, l’Afrique ne dispose que du coton, ce qui bride la création et la production à grande échelle. Difficile, par exemple, d’imaginer une collection hiver en coton léger ou en bazin, qui n’est d’ailleurs pas un tissu africain. Il est grand temps de cultiver de la soie, de mélanger les matières, soie et taffetas, par exemple.
Les ministres nigériens ne s’habillent pas en Alphadi. Ils devraient…
Il faut que les politiques, les gouvernants, commencent à mettre la main à la poche pour encourager l’industrialisation du textile, plutôt que de laisser les pagnes hollandais envahir les marchés du continent. Si je me suis lancé dans la maroquinerie, si j’ai créé des parfums, si j’ai ouvert des magasins aux quatre coins du monde, c’est pour faire savoir que je suis capable de jouer dans la cour des grands…
Sauf que mes concurrents ont la chance d’avoir leurs pays pour les soutenir, qui leur cherchent des partenaires financiers, qui communiquent pour eux, notamment en portant leurs vêtements. Les ministres nigériens ne s’habillent pas en Alphadi. Ils devraient… Mes partenaires financiers y trouveraient leur compte.
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