Essai : la Françafrique de Hollande, par Christophe Boisbouvier

Dans un essai documenté, Christophe Boisbouvier décrit comment le président français a fini par se convaincre que sans le continent Paris ne serait qu’un nain politique. En voici les bonnes feuilles.

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Publié le 14 octobre 2015 Lecture : 6 minutes.

Dans l’univers impitoyable du journalisme, être à la fois une voix écoutée et une plume respectée n’est pas donné à tout le monde. Autant dire que Christophe Boisbouvier est un oiseau rare. La voix, celle de l’interviewer pugnace du matin, est familière aux auditeurs de RFI depuis trois décennies. La plume, à la fois analytique et informée, est appréciée par les lecteurs de Jeune Afrique depuis douze ans. À celui qui est devenu, sans l’avoir vraiment cherché, une quasi-institution du petit monde des journalistes africanistes, il manquait un livre, et ce Hollande l’Africain s’est imposé à lui comme une évidence.

Une année d’enquête et d’écriture pour décrire la métamorphose d’un président sans aucune appétence initiale pour le continent et qui a fini par se convaincre que sans l’Afrique la France n’est qu’un nain politique. Le résultat est passionnant, souvent surprenant et riche d’une collection d’anecdotes graves et gourmandes, épicées comme un bon thieboudiène.

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Nous avons choisi de vous donner à lire ici deux épisodes méconnus de l’initiation africaine du futur président français narrés par Boisbouvier dans son livre : son stage algérien (1978) et son passage, dix-huit ans plus tard, au cabinet d’un avocat alors très impliqué dans les affaires tchadiennes.

Algérie : « Il est malade, ton type ! »

Quand François Hollande débarque en Algérie, le pays est gouverné d’une main de fer par le Front de libération nationale (FLN). Le président algérien, le colonel Houari Boumédiène, grande figure de la guerre d’indépendance, est « un homme rigide et très crispé dans ses réflexes de combattant », se souvient Colin de Verdière. Sur le modèle de l’URSS, le régime pratique un socialisme bureaucratique.

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À son arrivée, Hollande passe d’abord deux mois auprès de l’un des conseillers politiques de l’ambassade de France, Bernard Bajolet – que le même Hollande nommera en avril 2013 à la tête de la Direction générale de la sûreté extérieure (DGSE). Bajolet, c’est peu ou prou l’anti-Hollande. « Il était un peu raide et cassant, se remémore Colin de Verdière, alors que Hollande était d’un naturel jovial. Mais, sous ses dehors pas commodes, il était très gentil, et les deux hommes ont noué une relation amicale. »

En mars 1978, François Hollande vit à Alger mais dévore la presse parisienne. En France, la gauche espère alors gagner les législatives. Dans la petite équipe des diplomates français en poste à Alger, le stagiaire ne cache pas ses penchants pour l’Union de la gauche. Pour lui, le moment est d’autant plus excitant que c’est la première fois qu’il a le droit de voter dans une élection nationale. « Il était sympathisant de gauche affiché, mais pas militant pur et dur », précise Hubert Colin de Verdière. Le PS et le PCF sont battus par la droite.

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En avril 1978, Hollande est versé dans le service de coopération technique, que dirige Colin de Verdière. En partenariat avec l’administration algérienne, il doit gérer le recrutement et les activités de quelque quatre cents cadres, ingénieurs et médecins français qui font de la coopération en ville et dans le bled algérien. Ce n’est pas tous les jours facile.

Mon jeune et fougueux Hollande avait retoqué plusieurs propositions de postes faites par la partie algérienne en disant qu’elles n’étaient pas à la hauteur de nos attentes. C’était en partie vrai. Encore fallait-il le dire avec quelque ménagement, raconte Colin de Verdière

Certains coopérants sont rejetés par la population ou les autorités locales. Dans ce cas, Colin de Verdière et Hollande doivent se rendre sur place pour essayer d’arranger les choses. En cas d’échec, ils menacent de supprimer tel ou tel poste de coopération et engagent un bras de fer avec le ministère algérien concerné. Les réunions hebdomadaires avec l’administration algérienne ne sont pas de tout repos.

« Au bout de deux séances hebdomadaires, j’ai laissé Hollande y aller tout seul, raconte avec amusement Colin de Verdière. Je lui ai dit : « Vas-y, tu as carte blanche. » Quand il est revenu, j’ai vu à sa tête qu’il était assez fier de lui. Sauf que j’ai reçu aussitôt un coup de fil furieux d’un haut fonctionnaire algérien qui m’a lancé : « Il est malade, ton type ! » Mon jeune et fougueux Hollande avait retoqué plusieurs propositions de postes faites par la partie algérienne en disant qu’elles n’étaient pas à la hauteur de nos attentes. C’était en partie vrai. Encore fallait-il le dire avec quelque ménagement. Alors, la semaine d’après, prudemment, je suis allé à la réunion avec lui. »

Lorsqu’il rentre à Paris en septembre 1978, Hollande est donc tout sauf un tiers-mondiste béat

Dans le huis clos de l’ambassade, le jeune énarque, « marrant et sympa », n’hésite pas à s’en prendre à « ces fichus Algériens qui nous traitent comme des chiens ». Colin de Verdière témoigne : « Pour lui, les Algériens étaient des héros. Il avait une certaine empathie à leur égard. Mais il était lucide et, quand les Algériens mettaient en l’air nos propositions de coopération, il écumait : « Mais ils sont impossibles ! » »

Lorsqu’il rentre à Paris en septembre 1978, Hollande est donc tout sauf un tiers-mondiste béat. Mais que pense-t-il réellement du régime Boumédiène ? Et qu’écrit-il dans son rapport de fin de stage ? Nous avons demandé de pouvoir le consulter. Le Service interministériel des archives de France s’y est opposé. « Ces documents comportent des informations dont la communication est susceptible de porter une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi », nous a écrit le 30 juillet 2015 Hervé Lemoine, le directeur chargé des Archives de France. « Votre demande a un caractère sensible », nous a dit plus simplement l’un de ses collaborateurs. Bigre ! Pour l’heure, le rapport de l’élève Hollande est donc inaccessible…

Tchad : au service d’Idriss Déby Itno

Alors que Delors renonce finalement à se présenter à l’Élysée, que Rocard s’est éloigné de la politique et que Fabius est gravement mis en cause dans l’affaire du sang contaminé, Jospin revient dans la course et s’impose très vite comme le meilleur candidat du PS à la prochaine présidentielle. En avril 1995, pour se démarquer du président sortant, Jospin dit souhaiter un « droit d’inventaire » sur les deux septennats Mitterrand.

Le mois suivant, Chirac et lui s’affrontent au second tour de la présidentielle dans un combat courtois où la politique étrangère tient très peu de place. Jacques Chirac l’emporte et nomme Alain Juppé à Matignon. Pour François Hollande, la traversée du désert continue. Mais, tout à coup, la carrière du conseiller à la Cour des comptes prend un tour nouveau. En octobre 1995, Jospin, qui vient de retrouver son poste de premier secrétaire du PS, le désigne comme son porte-parole. À quarante et un ans, Hollande prend enfin la lumière.

Comme cette fonction est très exposée politiquement, la nouvelle voix du PS se met en disponibilité à la Cour des comptes, s’inscrit au barreau de Paris et entre au cabinet de son ami avocat Jean-Pierre Mignard. Et le hasard fait que François Hollande retombe sur le Tchad. En effet, en cette année 1996, le cabinet Mignard est chargé par le nouveau président tchadien Idriss Déby – qui a renversé Hissène Habré en décembre 1990 – de l’aider à renégocier la convention que N’Djamena a signée en décembre 1988 avec Exxon-Shell-Elf, le consortium pétrolier qui explore le sous-sol tchadien.

« Dans le cabinet Mignard, c’est Hollande qui a examiné le volet fiscal de la convention de 1988 et qui nous a permis, en mars 1997, de signer un avenant avantageux pour le Tchad, avec plus de rentrées fiscales », se souvient aujourd’hui Tom Erdimi, qui est l’un des neveux d’Idriss Déby.

Deux fois, le Tchadien est allé dîner avec Mignard chez Royal – en l’absence de son compagnon, Hollande

À cette époque, Tom Erdimi est l’un des deux « messieurs pétrole » du Tchad – avec le défunt Abderamane Dadi. En cette année 1996, il fréquente beaucoup à Paris l’avocat Mignard, qui vient de défendre avec succès le dossier du Tchad dans son contentieux frontalier avec la Libye sur la bande d’Aouzou. Via Mignard, Erdimi a sympathisé aussi avec la députée Ségolène Royal.

Deux fois, le Tchadien est allé dîner avec Mignard chez Royal – en l’absence de son compagnon, Hollande. En 2005, Tom Erdimi et son frère Timan entreront en rébellion contre leur oncle. En février 2008, ils seront à deux doigts de prendre le pouvoir. Aujourd’hui, Erdimi, qui vit en exil, est toujours en relation avec Mignard. Et avec Hollande ? « Non, dit-il. Nous nous sommes croisés une fois en 1996 au cabinet de Mignard. On s’est dit bonjour, c’est tout. Mais Mignard s’intéresse toujours à ce que je fais… »

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