Tunisie : le Quartet gagnant du Nobel de la paix

Le syndicat UGTT, l’organisation patronale Utica, la Ligue tunisienne des droits de l’homme et l’ordre des avocats s’étaient unis pour faire avancer le processus démocratique. Les voilà récompensés.

Wided Bouchamaoui, patronne des patrons tunisiens © Ons Abid/J.A.

Wided Bouchamaoui, patronne des patrons tunisiens © Ons Abid/J.A.

Publié le 15 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

Wided Bouchamaoui, la présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), aurait dû être à Sfax (Centre-Est) ce vendredi 9 octobre, mais son emploi du temps avait été réaménagé à la dernière minute. Au programme du jour de la pimpante quinquagénaire, un entretien avec Jeune Afrique sur la situation politico-économique du pays et un déplacement à Sousse (Est) afin de soutenir Ridha Charfeddine, chef d’entreprise et député, victime la veille d’une tentative d’assassinat.

Prise par les priorités de l’heure, notamment un désaccord sur les négociations sociales entre le secteur privé et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT, première centrale syndicale du pays), la patronne des patrons tunisiens ne songe alors pas un instant au dossier de candidature au prix Nobel de la paix qu’elle avait remis au président Béji Caïd Essebsi, fin 2014, dans le plus grand secret.

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Une alliance récompensée

Elle évoque la nécessité de simplifier les procédures de création d’entreprises et le retard mis à adopter un nouveau code des investissements quand Adel Nakti, responsable de la communication de l’Utica, l’informe, un peu incrédule, que l’agence Reuters souhaiterait une déclaration : le Nobel de la paix 2015 vient d’être attribué au quartet qui a mené le Dialogue national, une initiative lancée en 2013 par la centrale patronale et l’UGTT, auxquelles s’étaient joints la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et l’Ordre des avocats.

Alors que la Tunisie était au bord de la guerre civile après l’assassinat des leaders politiques Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (6 février et 25 juillet 2013), ces instances clés de la société civile, dépassant leurs désaccords, avaient pesé de tout leur poids pour remettre sur les rails le processus démocratique entamé après la chute du régime Ben Ali.

Devenu un partenaire incontournable de la dernière étape de la transition, ce quartet avait obtenu un apaisement des tensions. Son œuvre ? L’établissement d’une feuille de route exigeant le départ de la troïka gouvernementale (issue des élections de la Constituante), la mise en place d’un exécutif de technocrates mené par Mehdi Jomaâ et l’organisation d’élections législatives et présidentielle. Ses pressions en faveur de l’adoption rapide d’une Constitution en janvier 2014 avaient permis la tenue de ces scrutins à la fin de cette même année. Cette mission accomplie, le quartet avait mis un terme à ses activités.

Les yeux embués de larmes, elle s’accorde un bref instant pour surmonter son émotion

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Ce 10 octobre, Wided Bouchamaoui cherche d’abord à vérifier la nouvelle que lui transmet Adel Nakti. Ce ne sera pas nécessaire : aussitôt, tous les téléphones sonnent. Les yeux embués de larmes, elle s’accorde un bref instant pour surmonter son émotion. Avant de s’adresser aux médias qui la réclament en direct, elle veut joindre le président de la République et Houcine Abassi, le secrétaire général de l’UGTT. Puis songe à son fils, dont la soutenance de thèse coïncidera avec la remise du Nobel. Et ne cache pas sa satisfaction : « L’effort commun paie ; nous n’avons pas été égoïstes » – allusion à la démarche de présidents de quatre universités tunisiennes, qui, en 2014, avaient soumis au comité Nobel la candidature de la seule UGTT…

Une distinction méritée

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Déjà en ligne sur une radio privée, Abassi estime que « ce prix constitue un message positif pour l’image de la Tunisie dans le monde ». Précisant que le quartet « poursuivra sa mission pour relever le pays », il rappelle sa volonté de faire du Dialogue national une instance pérenne. Depuis son bureau qui surplombe Tunis, Wided Bouchamaoui évoque les retombées bénéfiques de cette récompense pour ce pays « qui en a bien besoin », notamment depuis les attentats du Bardo et d’El Kantaoui.

« Cette distinction est méritée, quand on compare la transition tunisienne aux autres transitions dans les pays arabes », précise le professeur Yadh Ben Achour. Celui qui avait présidé la Haute Instance pour la protection des objectifs de la révolution, chargée de lancer le processus démocratique en 2011, partage le sentiment de Béji Caïd Essebsi.

Dans sa lettre au comité Nobel, envoyée à l’appui de la candidature des quatre institutions, le président avait affirmé que « la Tunisie est un petit pays qui a donné au monde une leçon de persévérance et de courage, que le travail du quartet restaure la valeur du dialogue et la concertation dans un monde dominé par les conflits, et que la Tunisie prouve qu’une révolution pacifique est possible et peut mener à la démocratie ». « N’en déplaise à nos voisins, le dialogue est une solution et non une arme », renchérit Abdessatar Ben Moussa, président de la LTDH.

L’heure est à la joie. Une euphorie qui balaie momentanément le climat politique délétère et le marasme économique dans lesquels se débattait la Tunisie depuis quelques semaines. Beaucoup espèrent que ce Nobel inattendu provoquera un élan national et remettra la démocratie sur la bonne voie. Reste aux gouvernants à faire en sorte que cette étincelle ne provoque pas juste un feu de paille.

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