Alma Oumarou : « Au Niger, nous avons choisi le libéralisme, pas l’anarchie »
Grands chantiers, climat des affaires, lutte contre la vie chère… Le ministre du Commerce et de la Promotion du secteur privé expose la stratégie de l’État pour stimuler l’économie.
Le Niger entre deux fronts
Malgré les turbulences qui affectent la région et les menaces terroristes qui planent au nord comme au sud, le pays est en paix. Et Mahamadou Issoufou a eu les coudées franches pour tenter de répondre aux attentes de ses concitoyens. À quatre mois de la présidentielle et des législatives, bilan du quinquennat socialiste.
L’opposition le considère comme l’une des prises de guerre de Mahamadou Issoufou. Alma Oumarou a en effet été exclu en février 2014 du Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara, ancien parti unique) de Seini Oumarou, dont il était l’un des vice-présidents, pour avoir accepté d’entrer au gouvernement, malgré la désapprobation de son parti, lors du remaniement d’août 2013. Depuis, le ministre du Commerce et de la Promotion du secteur privé a fait sien le programme économique du chef de l’État, qu’il défend bec et ongles.
Jeune Afrique : L’économie nigérienne est en train de décoller. La baisse du cours de l’uranium et le début de la production pétrolière ont-ils déjà modifié sa structure ?
Alma Amarou : Depuis 2011, le Niger est devenu un pays producteur de pétrole, ce qui a compensé le ralentissement du marché de l’uranium après la catastrophe de Fukushima. Mais il n’y a pas eu de renversement structurel, le pétrole n’a pas tout « révolutionné ». Nous produisons actuellement 20 000 barils par jour, dont 13 000 vont à l’exportation. Ce n’est pas énorme, mais suffisant pour compenser la tendance baissière du secteur minier.
Dans le domaine du commerce, nous avons enregistré une hausse du pouvoir d’achat des ménages et de leur consommation, les salaires ayant plus que doublé entre 2011 et 2015, avec un taux d’inflation inférieur à la consommation. Entre 2013 et 2015, le pays a également connu des pluies abondantes, ce qui a boosté l’agriculture, deuxième mamelle de notre économie après les industries extractives.
Quelles sont les priorités en matière d’infrastructures ?
L’État a mis en place sa politique de grands chantiers, avec des investissements structurants dans de nombreux domaines, qui vont doper la croissance du pays. Je pense notamment aux ouvrages hydrauliques. La centrale de Gorou Banda est en construction à Niamey, elle aura une capacité de 100 mégawatts. Le grand projet du barrage de Kandadji [à 180 km au nord-ouest de Niamey] avance rapidement et sera mis en eau au plus tard en 2017 [puissance installée : 130 MW].
Par ailleurs, le Niger est l’un des rares pays à n’être pas encore relié à ses voisins par le chemin de fer. L’État va y remédier en faisant converger sur le territoire les lignes existant dans la sous-région. Les conventions pour la construction et la concession d’exploitation des infrastructures du chemin de fer Niamey-Cotonou ont été signées mi-août [avec le groupe français Bolloré].
Le Niger a également d’énormes besoins pour développer son agriculture
Quels sont les secteurs porteurs ?
Nous sommes un pays en construction, qui offre donc des opportunités d’investissement dans tous les domaines, en particulier celui de l’industrie minière, où nos attentes sont importantes – nous accordons des permis de recherche et d’exploration presque chaque jour ! -, mais aussi dans le BTP, où nous avons noué de nombreux partenariats public-privé, et dans les services, notamment la filière hôtellerie.
Le Niger a également d’énormes besoins pour développer son agriculture. Nous souhaitons notamment pouvoir transformer sur place nos produits d’élevage ou les exporter. Pour cela, il nous faut des abattoirs aux normes internationales. Nous comptons également mettre sur pied des usines de transformation de produits agroalimentaires tels que la tomate, l’oignon, etc.
Dans tous ces secteurs, les investisseurs peuvent prétendre à de nombreux avantages, qui vont de l’exonération des droits de douane et de la TVA à des avantages en nature – par exemple la cession de terrains aux entreprises qui construisent des logements sociaux.
Nous avons obtenu de Washington un accroissement de la couverture de l’Agoa [African Growth and Opportunity Act] en matière de produits
Quelles sont les missions assignées à votre département ?
Mon ministère a pour vocation d’attirer les investissements privés. Entre 2011 et 2014, 156 dossiers de demande d’agrément au code des investissements ont été examinés et acceptés : cela représente 529,7 milliards de F CFA [807,5 millions d’euros] d’investissement, 1 209,5 milliards de F CFA de valeur ajoutée et 6 977 emplois créés. Et nous comptons bien continuer sur notre lancée. Nous avons déjà renforcé nos relations commerciales avec les pays partenaires. Par exemple, nous avons obtenu de Washington un accroissement de la couverture de l’Agoa [African Growth and Opportunity Act] en matière de produits.
De nombreuses mesures ont par ailleurs été prises pour améliorer le climat des affaires, surtout en ce qui concerne le commerce transfrontalier. Nous avons allégé les procédures. Par exemple, le nombre de documents requis a été réduit de huit à quatre pour les importations et de dix à six pour les exportations. Le délai maximal pour créer une entreprise est désormais de cinq jours, et cela ne coûte plus que 10 000 F CFA, contre 59 000 F CFA auparavant. Pour créer une SARL, plus besoin de passer par un notaire, etc. Toutes ces mesures visent à encourager les petits commerçants à sortir du secteur informel.
Une loi pour la protection du consommateur et contre la vie chère a été promulguée
Dans le contexte sécuritaire actuel, comment développer le commerce transfrontalier ?
Il est prévu des postes de contrôle sécuritaires dans l’ensemble de l’UEMOA. Il ne s’agit d’entraver ni la liberté de circulation des populations ni la liberté de commerce. Les forces de l’ordre qui y sont affectées ont pour mission prioritaire de vérifier que les biens transportés sont conformes. La partie sud du pays, notamment la région de Maradi, où s’effectue le gros de nos échanges commerciaux, est relativement épargnée, mais nous restons vigilants.
Le Niger a connu des émeutes de la faim, notamment en 2005 et en 2008. Quelles mesures ont été prises pour lutter contre la vie chère ?
Nous avons opté pour le libéralisme, donc nous n’avons pas une grande marge de manœuvre sur le contrôle des prix – sauf dans le secteur des hydrocarbures, où nous avons pu consentir une baisse du prix de l’essence. Cela dit, liberté des prix ne veut pas dire anarchie. Une loi pour la protection du consommateur et contre la vie chère a été promulguée. Une commission comprenant des représentants du gouvernement, des commerçants, des consommateurs et des ONG se réunit régulièrement pour examiner les problèmes. Par exemple, lors des départs pour le pèlerinage à La Mecque, nous avons exigé de toutes les agences une transparence sur les prix, avec obligation de les afficher et de les justifier. Nous nous employons à stopper les dérives.
Bonnes nouvelles du fonds
Malgré la vulnérabilité du pays aux catastrophes naturelles et la détérioration de la situation sécuritaire dans la région sahélo-saharienne, les résultats macroéconomiques du Niger sont plutôt bons, et ses perspectives pour les deux prochaines années également. C’est ce qui ressort des conclusions de la mission du FMI en séjour à Niamey du 14 au 28 septembre.
Le taux de croissance du PIB est passé de 4,6 % en 2013 à 6,9 % en 2014, soutenu principalement par la progression des secteurs de l’agriculture et des services. Il devrait se maintenir à 4,4 % en 2015 (quelque peu ralenti par une croissance moins forte de l’agriculture et un affaiblissement de la production dans le secteur extractif) et s’établir en moyenne à 6,5 % de 2016 à 2018.
L’inflation est sous contrôle, bien au-dessous du critère de convergence de 3 % de l’UEMOA : elle était négative en 2014 (- 0,9 %) et présente un taux annuel moyen de 0,1 % à la fin août (au lieu de 1,4 % prévu), grâce à une bonne campagne agricole et à l’amélioration de l’approvisionnement en nourriture, auquel a contribué le programme d’aide alimentaire de l’État (qui freine notamment la hausse des prix des céréales). En revanche, les dépenses de sécurité imprévues ces deux dernières années et le faible montant des recettes recouvrées ont compliqué l’exécution du budget 2015 et eu des effets négatifs sur la situation financière du pays.
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