« Les Mille et Une Bibles du sexe » : quand l’auteur malien Yambo Ouologem faisait l’amour à la langue française
Le dernier Yambo Ouologuem n’est pas vraiment le dernier Yambo Ouologuem. Le reclus de Sévaré (Mali) n’écrit plus, ne veut plus entendre parler de ses livres et se tient à bonne distance de ce qui pourrait lui rappeler sa vie passée.
Personne, pourtant, n’a oublié Le Devoir de violence et la Lettre à la France nègre, le prix Renaudot accordé en 1968 au premier et la polémique qui s’ensuivit. Plagiat pour les uns, collage littéraire pour les autres… Malgré sa réclusion, Ouologuem sent toujours le soufre. Cette odeur sulfureuse ne va pas s’éteindre de sitôt, mais pour d’autres raisons.
La maison Vents d’ailleurs vient en effet de rééditer sous son nom un texte érotique qu’il publia en 1969 sous le pseudonyme d’Utto Rudolf, Les Mille et Une Bibles du sexe. Dans une veine sadienne débridée, l’auteur s’enfonce dans une vie nocturne dépenaillée où tout est possible, où toute frontière est faite pour être transgressée. Il ose les orgies, la violence, la zoophilie – en restant dans un cadre essentiellement occidental. Il est sans doute le seul, parmi les auteurs africains, à être allé aussi loin dans l’exploration d’une jungle foisonnante de pratiques et de fantasmes. Son imagination s’enflamme et lui permet d’explorer les méandres du désir jusqu’aux tréfonds de l’âme humaine.
Faire l’amour à la langue française
Bien entendu, la lecture de ce texte décousu rebutera certains, choqués ou simplement ennuyés par un style aux emportements fluviaux. Mais c’est là sans doute que se trouve le véritable érotisme des Mille et Une Bibles du sexe, dans la manière qu’a Ouologuem de faire l’amour à la langue française, la caressant et la malmenant tour à tour. Il la viole aussi, juste vengeance…
Fallait-il publier ce texte ? « Il faut parfois protéger l’auteur contre ses tendances autodestructrices, répond l’auteur et éditeur Jean-Pierre Orban. Et, pour ce qui est des Mille et Une Bibles, le texte avait déjà été publié, avec un avertissement où l’on comprenait clairement que Ouologuem en était le véritable auteur. Je n’aurais pas publié – et Vents d’ailleurs non plus – un inédit de son vivant (il y en a un d’inachevé dans les archives de l’Institut mémoires de l’édition contemporaine). Et mon espoir, un peu sans illusion, est de faire parler, par intermédiaire ou non, Ouologuem, de le faire revenir sur ses années de lumière en France avant qu’on ne le condamne à l’exil et à l’oubli. En sachant qu’il a sans doute joué avec le danger, provoqué en partie son sort, mais c’est justement ce jeu sur la frontière, cette transgression fine de la frontière qui sont fascinants chez lui. » Fascinant, c’est le mot.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles