Hydrocarbures : les traders gagnent du terrain dans la distribution

Pour améliorer leurs marges, les grands négociants ont investi le secteur aval. Mais le leader Total et quelques indépendants résistent.

Le nigérian Oando a vendu, en juin, ses activités dans l’aval au géant du négoce Vitol. © OANDO PLC

Le nigérian Oando a vendu, en juin, ses activités dans l’aval au géant du négoce Vitol. © OANDO PLC

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 29 octobre 2015 Lecture : 6 minutes.

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Pétrole et gaz : ENI assume son rang en Afrique

Dans un contexte marqué par la chute des cours, le géant italien des hydrocarbures réaffirme ses ambitions et son statut en Afrique. Découvrez également dans ce dossier un tour d’horizon complet sur le secteur du gaz et du pétrole en Afrique, des difficultés du français Maurel & Prom à la montée en puissance des traders dans la distribution, des ambitions contrariées du britannique Soco en RDC aux appétits des juniors et majors pour le sous-sol marocain.

Sommaire

Après les géants ENI, Shell, BP et ExxonMobil, c’est le nigérian Oando qui a vendu ses activités dans l’aval pétrolier, en juin. Une fois encore, le principal acquéreur était un leader du négoce, Vitol, allié au fonds d’investissement Helios Investment Partners. La distribution de carburants est ainsi devenue un terrain de jeu privilégié pour les grands traders sur le continent.

« C’est Addax Petroleum qui a ouvert la voie en investissant dans le stockage et la distribution au milieu des années 2000. Trafigura lui a emboîté le pas avec sa filiale Puma Energy, qui a racheté les réseaux de BP en 2010, en Afrique australe et en Afrique orientale. Enfin, en 2012, Vitol et Helios ont repris le réseau de Shell dans 16 pays du continent via leur filiale commune Vivo Energy », explique le trader ivoirien Charles Thiemele, d’AOT Trading, basé en Suisse.

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Pour ce connaisseur du secteur, l’investissement des grands négociants pétroliers dans la distribution est avant tout motivé par des raisons économiques. « Les bénéfices des traders se sont réduits dans le négoce pur non pas à cause de la baisse de leur marge par baril, qui reste stable, mais du fait d’une concurrence accrue. Car, en cette période de cours très bas du pétrole, le ticket d’entrée dans le secteur s’est sensiblement réduit : on peut acheter des cargaisons de brut à un prix deux fois moins élevé qu’auparavant ! Les traders recherchent donc à étendre leurs activités dans les métiers de la filière pétrolière qui leur sont proches, en particulier dans la distribution », note l’Ivoirien. D’autant que les perspectives y sont bien plus attrayantes et moins fluctuantes. « La croissance des ventes dans les stations-service est à peu près la même que celle du PIB des pays du continent, qui oscille chaque année entre 4 % et 5 % en Afrique. C’est donc une garantie de croissance de chiffre d’affaires », analyse-t-il.

Total, la seule major pétrolière qui ait gardé son activité dans l’aval en Afrique, se réjouit des belles perspectives du secteur. « On se dit qu’on a eu raison de conserver nos stations ! » se félicite Momar Nguer, le directeur général Afrique de la division aval du géant français. « Nous réussissons à atteindre 5 % à 6 % de croissance par an, soit plus que le marché [3 % à 4 %], notamment grâce à la construction de nouvelles stations-service et à nos efforts de marketing », indique ce Sénégalais, qui pilote quelque 4 200 stations-service dans 42 pays du continent. Cela représente autour de 18 % du marché et fait de Total le numéro un en Afrique. « Lorsqu’elle est répercutée sur les prix à la pompe, comme c’est le cas au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Kenya, la baisse du prix du baril entraîne même une hausse de la consommation de carburants », ajoute Momar Nguer, même si d’autres marchés comme la RD Congo ou le Cameroun n’ont pas bénéficié d’un ajustement des prix à la pompe.

Acteur intégré

Selon le dirigeant sénégalais de Total, si les autres majors ont abandonné le créneau aux grands traders, ce n’est pas par manque de rentabilité, mais en raison d’une culture de la centralisation. « Chez Total, contrairement à nos grands concurrents, qui privilégient surtout l’exploration et la production, Christophe de Margerie ou son successeur Patrick Pouyanné ont toujours souhaité que nous soyons un acteur intégré présent dans tous les métiers. Nous ne fonctionnons pas en « silo » par secteur d’activité, et laissons une grande latitude aux dirigeants de filiales pour adapter leurs stratégies aux réalités locales. »

Chez Total, au lieu de confier nos stations à des investisseurs locaux qui ne sont pas du métier, nous privilégions la promotion interne de nos personnels, affirme Momar Nguer

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La branche marketing et services de Total, qui représente un résultat opérationnel de 1,25 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros), dont 40 % en Afrique, affiche des ambitions majeures, avec un objectif de croissance de ses revenus de 30 % entre 2014 et 2019. « À la différence des groupes de négoce, qui ont une vision plus financière, chez Total, au lieu de confier nos stations à des investisseurs locaux qui ne sont pas du métier, nous privilégions la promotion interne de nos personnels. Les meilleurs peuvent devenir leur propre chef d’entreprise grâce à la formation et à l’argent que nous leur prêtons, qu’ils nous remboursent ensuite sur le résultat de leur activité », affirme Momar Nguer.

Proies idéales

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Reste que pour être rentable dans la distribution de carburants il faut nécessairement du volume, notamment pour optimiser la logistique d’approvisionnement, ce que font très bien les traders, mais aussi Total. « Avec notre réseau étendu sur toute l’Afrique de l’Ouest, un même bateau transportant des carburants pour Total pourra décharger ses produits dans plusieurs ports et ainsi achalander à la fois le Sénégal, la Guinée puis la Sierra Leone », indique Momar Nguer.

Avec les multiples rachats de réseaux de stations–service de ces dernières années, la course à la taille critique, donc au volume, fait des réseaux indépendants des proies idéales. Certains d’entre eux veulent pourtant croire qu’ils ont une place dans le jeu, tels Petro Ivoire ou le sénégalais Elton. « La concentration du secteur est déjà bien avancée dans nos pays. En Côte d’Ivoire, les cinq premiers distributeurs représentent déjà 90 % du marché, quand ce n’était que 75 % en 2010 », indique Sébastien Kadio-Morokro, le patron de Petro Ivoire, qui a repris le réseau Essenci (25 stations-service) en 2014.

Chez Petro Ivoire, nous prévoyons d’ouvrir cinq stations chaque année. Avec actuellement 65 stations-service dans le pays, dont la moitié à Abidjan, nous sommes désormais le troisième opérateur du marché, indique Sébastien Kadio-Morokro

Pour lui, les acteurs locaux peuvent résister s’ils investissent dans de nouvelles stations. « Chez Petro Ivoire, nous prévoyons d’ouvrir cinq stations chaque année. Avec actuellement 65 stations-service dans le pays, dont la moitié à Abidjan, nous sommes désormais le troisième opérateur du marché, derrière Total et Vivo Energy, mais devant Oryx et Corlay », indique le patron ivoirien, qui anticipe un chiffre d’affaires de 95 milliards de F CFA (144,8 millions d’euros) en 2015.

Pour Charles Thiemele, il reste plusieurs pistes de développement pour les indépendants : « Soit ils se régionalisent, et c’est ce qu’a commencé Elton en Afrique de l’Ouest pour augmenter ses volumes, et donc sa rentabilité. Soit ils deviennent des spécialistes pays, mais diversifient leurs activités vers le stockage, ce qu’a commencé Petro Ivoire pour le gaz en Côte d’Ivoire ; ou dans le négoce pétrolier, ce qu’avait fait Oando au Nigeria en son temps », suggère l’Ivoirien. De son côté, Sébastien Kadio-Morokro estime que les politiques africains devraient aussi davantage appuyer les opérateurs locaux. « Nous ne tirons aucun bénéfice du fait d’être un opérateur local, remarque-t-il. Le gouvernement ivoirien pourrait pousser à recourir à des fournisseurs de carburants issus du pays », suggère-t-il. « En Afrique anglophone, la donne est différente », regrette également Charles Thiemele.

Des fast-foods pour nourrir les profits

Si l’effet volume joue à plein pour arriver au seuil de rentabilité, les distributeurs diversifient également les services proposés dans les stations-service. « Nous sommes autour de 10 % de notre résultat non lié au carburant. Nous estimons par ailleurs que la présence, dans les stations Total, d’une offre de restauration adaptée aux goûts locaux génère aussi 10 % de ventes de carburants en plus », indique Momar Nguer, directeur général Afrique de la division aval de Total, qui s’est lancé dans une série de partenariats pour développer des enseignes de restauration rapide.

Il s’est allié avec Sipra pour lancer la chaîne Tweat en Côte d’Ivoire, prévoit de déployer la franchise française La Croissanterie et celle de l’épicerie fine du sud-africain Thrup’s dans une centaine de stations de la nation Arc-en-Ciel. « En 2020, nous voulons que le chiffre d’affaires hors carburants chez Total atteigne les 20 %, ce qui reste toutefois bien en deçà des quelque 50 % en Europe », annonce-t-il. Le même mouvement est aussi enclenché chez Petro Ivoire, qui mise sur des services de lavage et de cafétéria. Mais pour l’heure, les revenus hors carburants sont faibles : entre 1 % et 2 %.

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