Mali : être (ou ne pas être) à la hauteur

Les bailleurs de fonds vont se pencher sur le cas du Nord-Mali le 22 octobre. Le chef de l’État sera pour l’occasion à Paris, mais, à Bamako, sa gestion du problème est très contestée.

Affiche de campagne installée en août 2013 à Bamako. En septembre dernier, Ibrahim Boubacar Keïta a fêté les deux ans de son arrivée au pouvoir. © JOE PENNEY/REUTERS

Affiche de campagne installée en août 2013 à Bamako. En septembre dernier, Ibrahim Boubacar Keïta a fêté les deux ans de son arrivée au pouvoir. © JOE PENNEY/REUTERS

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Publié le 27 octobre 2015 Lecture : 6 minutes.

IBK, qu’as-tu fait de ton baptême ? Après la visite du président malien en France les 21 et 22 octobre, ils sont nombreux, de Bamako à Paris, à repenser avec amertume aux espoirs placés en lui au lendemain de son élection. « On s’attendait à ce qu’il prenne les choses en main, mais il est resté dans le registre du discours et de l’incantation », résume un diplomate européen en poste à Bamako, sans faire mystère de sa « déception ».

Ce 19 septembre 2013, la cérémonie d’investiture d’Ibrahim Boubacar Keïta avait pourtant des allures de sacre impérial. Pas moins de seize chefs d’État, ainsi que le roi du Maroc, avaient fait le déplacement au stade du 26-Mars, à Bamako. Au chevet du pays depuis dix-huit mois, la communauté internationale voulait croire alors que les Maliens avaient désigné l’homme providentiel, et que la perspective de voir s’installer au cœur de la bande saharo-sahélienne un califat jihadiste alimenté par le narcotrafic n’était plus qu’un mauvais souvenir. Un mois plus tôt, IBK avait été plébiscité, avec un score frôlant les 78 %. Ce quasi-septuagénaire blanchi sous le harnais n’incarnait-il pas l’autorité, la promesse d’une gouvernance assainie et, surtout, une détermination sans faille à éviter l’implosion du Mali face aux revendications sécessionnistes des groupes rebelles touaregs ?

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L’erreur de Moussa Mara

Le règne d’IBK devait toutefois s’ouvrir par une entorse à la feuille de route héritée du régime de transition. Bien que le nord du pays restât une poudrière en puissance, le gouvernement issu des urnes allait faire litière d’une disposition essentielle contenue dans l’accord préliminaire signé en juin 2013, à Ouagadougou, avec les représentants des mouvements touaregs. Celui-ci prévoyait en effet la reprise des négociations soixante jours après la nomination du gouvernement. « IBK a manifesté une certaine méfiance vis-à-vis de cet accord, regrette Tiébilé Dramé, président du Parena (opposition) et artisan, côté malien, des négociations de Ouaga. Il s’en est tenu à l’écart et l’a occulté. »

Il faudra attendre février 2014 pour qu’une délégation du Conseil de sécurité de l’ONU vienne à Bamako rappeler au nouveau président les engagements contractés avant son élection par l’État malien. IBK rassura ses interlocuteurs, se disant favorable au « dialogue » – ce dont ses déclarations énergiques à l’égard des groupes armés avaient pu faire douter. Un chronogramme devait être élaboré « mais celui-ci ne prévoyait pas de reprise des négociations avant le mois d’octobre », s’étonne Tiébilé Dramé.

De la France à la Minusma, tout le monde avait pourtant mis en garde le nouveau Premier ministre face à une situation potentiellement explosive dans ce fief historique des rébellions touarègues

Début avril 2014, IBK est fragilisé par la démission de son Premier ministre, Oumar Tatam Ly, qui a jeté l’éponge au bout de sept mois. Le président du parti Yéléma, Moussa Mara, un quadragénaire au verbe haut et aux ambitions aiguisées, le remplace au pied levé. Mais un mois plus tard, ce dernier met le feu à la région de Kidal lorsqu’il décide d’y effectuer une tournée à hauts risques. « Cette visite était administrative, elle n’avait rien de politique », se défend Moussa Mara, selon qui « il fallait que le gouvernement soit présent sur le terrain ». De la France à la Minusma, tout le monde avait pourtant mis en garde le nouveau Premier ministre face à une situation potentiellement explosive dans ce fief historique des rébellions touarègues. « Il n’y avait pas d’urgence à se rendre à Kidal, il était préférable d’y consolider la présence de l’État par d’autres voies », estime Soumeylou Boubèye Maïga, l’ancien ministre de la Défense, qui paiera les pots cassés en étant contraint à la démission.

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Un accord contesté

La visite de Mara tourne au fiasco. Le 17 mai, la délégation gouvernementale se retrouve prise sous le feu des groupes armés, lesquels s’emparent du gouvernorat. Huit préfets et sous-préfets, ainsi que des civils, sont exécutés. Quatre jours plus tard, en plein Conseil des ministres, IBK reçoit des rapports alarmants sur la déroute cuisante subie par l’armée malienne, dépêchée à la hâte à Kidal pour tenter d’y reprendre pied. « Le président a envisagé de démissionner », assure un de ses proches. « Ce fut l’un des tournants de son mandat, admet un ancien ministre. Le mythe de la résurrection de l’armée malienne s’est effondré, l’administration a reculé dans le Nord, notre crédit auprès des partenaires internationaux a été entamé, et le gouvernement s’est retrouvé en mauvaise posture à la table des négociations. »

Sa relation privilégiée avec François Hollande s’est quelque peu écornée, reconnaît une source diplomatique française

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Cette fois, IBK n’est plus maître du jeu. « L’accord d’Alger [signé en juin 2015, après un an de pourparlers] résulte du rapport de forces défavorable créé à Kidal », déplore Tiébilé Dramé, qui estime que « c’est un Mali humilié qui s’est rendu à Alger comme on va à Canossa ». Les principaux leaders de l’opposition critiquent par ailleurs une négociation menée en catimini. « Ni les Maliens ni le Parlement n’ont été consultés », regrette Modibo Sidibé, des Fare. « On ne nous a pas demandé notre avis », confirme Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition. Faute d’assises nationales qui auraient permis à la société civile et à la classe politique d’afficher « une position malienne commune », la négociation « est partie dans tous les sens », ajoute un observateur. À l’arrivée, Alger a accouché d’un compromis boiteux, accordant de telles prérogatives aux régions que « cela frise l’autonomie » – dixit Modibo Sidibé.

C’est donc un IBK affaibli qui s’est rendu en France les 21 et 22 octobre. « Sa relation privilégiée avec François Hollande s’est quelque peu écornée », reconnaît une source diplomatique française. Quant aux bailleurs de fonds qui prendront part à la Conférence internationale pour la relance économique et le développement du Mali, qui doit se tenir à Paris le 22 octobre sous l’égide de l’OCDE, « ils y vont à reculons », précise la même source. « Le gouvernement doit affirmer clairement sa vision en matière de décentralisation, affirme un diplomate européen à Bamako. Actuellement, on a l’impression que personne ne tient la barre. »

Et sur le terrain, on en est où ?

«IBK s’est cru le président normal d’un pays normal. Il n’a pas pris la mesure de la situation », ironise un opposant, dans une allusion à peine voilée au leitmotiv électoral de François Hollande. De fait, la situation sécuritaire au Mali n’a cessé de se dégrader depuis deux ans. Outre le cuisant revers subi à Kidal, dont elle a été chassée dans le sang, l’administration malienne n’est toujours pas représentée dans plusieurs localités des régions de Gao et de Tombouctou – où les Casques bleus de la Minusma sont régulièrement pris pour cible, affichant un bilan de 42 morts et 166 blessés.

Jusque-là confinée dans le septentrion malien, l’insécurité s’est propagée dans le centre et dans le sud du pays, aux confins du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire, où un mystérieux Front de libération du Macina a commis plusieurs attaques contre les symboles de l’État dans les régions de Mopti et de Ségou, tandis que la cellule combattante Khaled Ibn al-Walid, issue d’Ansar Eddine, sévissait autour de Sikasso.

Quant à l’accord d’Alger, il est vu comme une amère potion par une classe politique malienne largement jacobine, qui déplore que l’autonomie accordée aux régions fasse du Mali une fédération où le contrôle de l’État sur les collectivités territoriales ne sera que de pure fiction. Une crainte toutefois relativisée par un diplomate européen : « Cette décentralisation poussée est inéluctable dans un pays où l’administration centrale n’est plus en mesure de fournir aux citoyens les services de base. »

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