Au Centre : le Sphinx faiseur de rois

Il y a cinq ans , les résultats du premier tour de la présidentielle reflétaient de fortes divisions régionales, épousant les bastions des trois principaux candidats. Le 25 octobre, le pays va-t-il oublier ses vieux démons ? À travers tout le territoire, nos envoyés spéciaux ont pris le pouls des électeurs. Le centre du pays est-il toujours le fief d’Henri Konan Bédié ?

Dans les villages près de Daoukro, la députée PDCI Florence Allah Brou défend la candidature d’ADO (à gauche). © Sylvain Cherkaoui/J.A.

Dans les villages près de Daoukro, la députée PDCI Florence Allah Brou défend la candidature d’ADO (à gauche). © Sylvain Cherkaoui/J.A.

Publié le 24 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

Une affiche d’ADO dans les rues d’Abidjan, le 21 octobre 2015 © Schalk van Zuydam/AP/SIPA
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Présidentielle en Côte d’Ivoire 2015 : au-delà des clans

Il y a cinq ans, les résultats du premier tour de la présidentielle reflétaient de fortes divisions régionales, épousant les bastions des trois principaux candidats. Le 25 octobre, le pays va-t-il oublier ses vieux démons ? À travers tout le territoire, nos envoyés spéciaux ont pris le pouls des électeurs.

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«Vous avez été flashés à 127 km/h au lieu des 120 autorisés. L’amende est de 2 000 F CFA [3 euros], s’il vous plaît. » Sur la nouvelle autoroute du Nord (inaugurée fin 2013) qui relie désormais en deux heures la capitale économique, Abidjan, à la capitale politique, Yamoussoukro, les radars mobiles de la gendarmerie nationale frisent parfois l’hallucination. 127 km/h au lieu de 120, alors que le compteur de vitesse en indique 115… Si bien que les interpellations se transforment souvent en palabres entre officiers motivés et conducteurs au bord de la crise de nerfs.

« Depuis un an, il y a plus de radars sur cette route car le président ADO a dit qu’il y avait trop d’accidents, explique en souriant l’un des gendarmes. C’est très efficace ! Et ça aussi ça fait partie de son bilan ! » En cette journée du 9 octobre, qui marque le début officiel de la campagne électorale en Côte d’Ivoire, même les « corps habillés » – les forces de l’ordre – se mettent au diapason de la politique, inspirés sans doute par le cortège de voitures officielles qui passent depuis la veille devant leurs écrans.

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L’alliance Bédié-Ouattara

À Yamoussoukro, Alassane Ouattara donne son premier meeting de campagne, et les cadres et militants du RHDP – la coalition qui rassemble le RDR d’ADO, le PDCI-RDA d’Henri Konan Bédié et trois autres petits partis – ont fait le déplacement en nombre. Hôtel Président, hôtel des Parlementaires… tous les grands complexes de la ville ont été pris d’assaut par une population vêtue de pagnes, chemises ou casquettes orange estampillés « Avec ADO », le slogan de sa campagne. Peu après 9 heures, dans une ambiance aussi studieuse que bon enfant, tous convergent vers la place Jean-Paul-II. Le temps d’un meeting, « Yakro », la belle endormie, avec ses grandes et silencieuses artères, sa basilique Notre-Dame-de-La-Paix aux touristes trop peu nombreux, son célèbre lac aux caïmans, s’éveille.

Introduit par les louanges et les pas de danse de son ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, le président candidat lance d’emblée : « Ici à Yamoussoukro, j’ai toujours été reçu en fils, en frère. Ici, je suis chez moi ! » Pour lui, l’éternel candidat « nordiste », exclu des processus électoraux de 1995 et 2000 pour cause de concept d’ivoirité (développé sous la présidence de Bédié, dès fin 1993), la symbolique d’une démonstration de force dans la ville du premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, en plein territoire baoulé, est importante.

En plus de l’ancrer davantage dans les pas du « Vieux », elle se veut être une preuve supplémentaire de la bonne santé de l’alliance qui le lie à Bédié, lui-même présent. « C’est grâce à vous que nous en sommes là aujourd’hui, dit ADO en s’adressant à ce dernier. Mô [« merci » en baoulé], mô, mô, au président Henri Konan Bédié ! »

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Une campagne pour une élection dès le premier tour

Si Ouattara se montre si élogieux avec cet ancien ennemi intime, qui lui a permis de s’imposer en 2010, c’est que l’électorat de Bédié – estimé à plus ou moins 25 % si l’on se fie à son score du premier tour de l’élection de 2010 – lui est toujours indispensable pour remporter la victoire. L’ancien chef de l’État, fidèle à l’alliance, a cette fois-ci mis sa redoutable machine politique en branle pour le faire élire dès le premier tour.

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Exemple, le lendemain, à près de 200 kilomètres de là, dans les alentours de Daoukro, le fief de Bédié : il est à peine 9 heures et la députée PDCI Florence Allah Brou est déjà sur le pont. Son programme du jour est chargé : se rendre dans un des nombreux villages reculés qui parsèment la zone pour s’assurer que toutes les personnes en capacité de voter le feront le jour J. Un tee-shirt à l’effigie de Ouattara, une jupe à celle de Bédié et une pochette sous le bras, entourée d’une équipe de jeunes chargée notamment de la sonorisation et de la sécurité, la voilà fin prête, montant dans son 4×4.

Si vous votez Alassane, vous votez Bédié, c’est la même chose !lance Florence Allah aux villageois

Le premier village ne comporte que vingt électeurs. Mais qu’importe. La députée s’assied et prend le temps d’expliquer les modalités du vote, de montrer plusieurs fois la photo du candidat ADO. Dans un style très direct, en baoulé, elle ajoute : « Si vous ne votez pas, c’est comme si vous disiez non au président Bédié, comme si vous lui disiez que son sort ne vous intéresse pas. Si vous votez Alassane, vous votez Bédié, c’est la même chose ! Vous voyez comme il a transformé Daoukro, il en fera de même pour vos villages, mais il lui faut encore du temps. »

Le chef de village insiste d’abord sur les problèmes concrets de sa localité, comme la panne d’une pompe hydraulique et le bitumage des routes alentour, mais sa réponse ne se fait pas attendre plus longtemps : « Dites à Bédié de ne pas craindre. Nous sommes prêts, et à 100 % nous voterons pour son candidat. » La base du PDCI respectera-t-elle finalement cette consigne de vote, malgré la candidature de plusieurs de « leurs enfants », tels que Charles Konan Banny ou Bertin Konan Kouadio, dit KKB ? Pour Henri Konan Bédié, la question ne semble même pas se poser.

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