Au Nord : ADO en terre conquise ?
Il y a cinq ans, les résultats du premier tour de la présidentielle reflétaient de fortes divisions régionales, épousant les bastions des trois principaux candidats. Le 25 octobre, le pays va-t-il oublier ses vieux démons ? A travers tout le territoire, nos envoyés spéciaux ont pris le pouls des électeurs.
Présidentielle en Côte d’Ivoire 2015 : au-delà des clans
Il y a cinq ans, les résultats du premier tour de la présidentielle reflétaient de fortes divisions régionales, épousant les bastions des trois principaux candidats. Le 25 octobre, le pays va-t-il oublier ses vieux démons ? À travers tout le territoire, nos envoyés spéciaux ont pris le pouls des électeurs.
Son arrivée dans la ville est préparée comme celle d’un messie. Feux d’artifices, camions chantants sillonnant les quartiers, vente de gadgets, nettoyage des grands axes à coups de balai, rafraîchissement des peintures sur les bords des trottoirs et les passages piétons… Quarante-huit heures avant d’accueillir le président Alassane Ouattara, le 15 octobre, Korhogo, la quatrième ville de Côte d’Ivoire et capitale de la région des Savanes, se mobilise et se refait une beauté.
La grande ville du Nord a voté à plus de 93 % pour Alassane Ouattara au second tour de la présidentielle de 2010. Autant dire que, pour le président actuel, la visite s’apparente à une visite « à la maison ». Et ici plus qu’ailleurs, le président candidat s’affiche : ADO sur les grandes affiches, les petites, ADO sur les voitures, les murs, ADO sur les vêtements, ADO partout, tel un rouleau compresseur qui ne laisserait aucun espace ni aucune chance à un quelconque concurrent.
Amadou Gon Coulibaly, fervent supporter d’ADO
Le maire de la ville, qui n’est autre que le fidèle Amadou Gon Coulibaly, secrétaire général à la présidence, est d’ailleurs venu deux jours en avance afin de s’enquérir de l’évolution des préparatifs, sa résidence privée servant de mini-quartier général pour une partie de l’équipe de campagne. « C’est un bastion où l’on peut réaliser un score aux alentours des 98 %, déclare un cadre du parti. Le défi n’est pas tant de les convaincre de voter ADO – cette question est réglée depuis longtemps – mais de les faire voter tout court, et tous. Car certains pourraient être tentés de rester chez eux en se disant que c’est joué et qu’il va facilement l’emporter. L’abstention est notre seul véritable ennemi. »
Pour la visite du président, chaque directeur local a reçu un « petit budget » afin d’assurer notamment le transport et les repas de ses militants
Dans le centre-ville, au siège du RHDP, l’ambiance est pourtant tout autre. Le coordinateur, Lacina Koné, anime une énième réunion afin de remobiliser les troupes. Dans la petite salle, une cinquantaine de directeurs locaux de campagne écoutent en silence la leçon, qui prend très vite l’allure d’un sermon. « Je suis sidéré ce matin. Il y a des gens qui disent qu’ils n’ont pas encore leur carte d’électeur ! Ce n’est pas normal ! Il faut travailler messieurs dames, transmettez les informations ! » lance-t-il. Avant d’ajouter : « Je vais passer partout, pour vérifier si tous les hommes, les femmes, les jeunes, sont prêts à voter. On se connaît tous ici, alors demandez aux gens d’aller enfin retirer leurs cartes ! » Pour la visite du président, chaque directeur local a reçu un « petit budget » afin d’assurer notamment le transport et les repas de ses militants. « Et puis, n’oubliez pas, le président est très ponctuel. Il faut être bien calé ! »
Sous l’apparente unité, Korhogo aussi diversifiée que le grand nord
Sous cet unanimisme apparent, « la cité du Poro » – qui a servi de base arrière à la rébellion et reste sous influence du chef de guerre Martin Fofié Kouakou – est pourtant aussi diversifiée (ethniquement et socialement) que ce grand Nord auquel elle appartient. Rares sont les personnes à critiquer haut et fort le candidat Ouattara, pour qui « [ils se sont] tant battus », selon un professeur. « Mais les gens, surtout les jeunes, ne se considèrent pas pour autant comme du bétail électoral et demandent avant tout que leur région se développe », nuance-t-il.
Aujourd’hui, avec Ouattara, l’argent ne circule pas, mais on avance, ensemble, commente un jeune de la cité du Poro
Un avis que partage le groupe d’Hector, un ancien combattant de 26 ans, aujourd’hui sapeur-pompier civil après avoir bénéficié du programme de l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration. Originaire d’Abidjan, il vient d’être affecté, ainsi que quarante-cinq nouvelles recrues, à Ferkessédougou, le fief du président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, situé à une quarantaine de minutes de Korhogo. Seul hic : la ville n’a pas encore de caserne… « Depuis que nous sommes arrivés, on attend de pouvoir enfin exercer notre métier », dit Hector.
Sénoufos, Koyakas, Bétés… tous discutent ce jour-là autour d’un thé et plaisantent sur leurs différences culturelles. Représentatifs de cette génération de jeunes qui a payé un très lourd tribut pendant la décennie de crise ivoirienne (2002-2011), ils ne préfèrent pas s’éterniser sur des sujets politiques ou sur cette campagne électorale qui bat son plein, comme s’il ne s’agissait plus de leurs affaires. D’ailleurs, seul l’un d’entre eux ira voter, le seul à s’être fait enrôler dans la ville. Un autre concède tout de même : « Avant, avec Gbagbo, l’argent circulait, mais on n’avançait pas dans nos vies et surtout pas collectivement. Aujourd’hui, avec Ouattara, l’argent ne circule pas, mais on avance, ensemble, car il y a plus d’infrastructures, de revalorisation des salaires des fonctionnaires, de stabilité… Ce qu’il va falloir faire désormais, c’est donc avancer, toujours ensemble, mais plus vite. »
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