Tunisie : le théâtre pour tous à Carthage

Pour sa 17e édition, le festival de Carthage innove et s’ouvre à un public longtemps ignoré, celui des régions de l’intérieur du pays.

L’Escale 32, jouée dans la cour de l’hôtel El Marhala, à Matmata (le 9 octobre). © ROUA BIDA/FESTIVAL DE CARTHAGE

L’Escale 32, jouée dans la cour de l’hôtel El Marhala, à Matmata (le 9 octobre). © ROUA BIDA/FESTIVAL DE CARTHAGE

Publié le 19 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

La région berbère des Ksour (sud-est de la Tunisie) n’est plus seulement un lieu touristique. Depuis le 9 octobre, ses espaces naturels aux allures apocalyptiques, le village troglodyte de Matmata ou celui de Chenini, adossé à une haute falaise ocre près de Tataouine, se sont transformés en théâtres majestueux. La population de Matmata a pu assister, le 9 octobre, à une représentation de L’Escale 32, une coproduction tuniso-italienne mise en scène par Moez Mrabet et Andrea Paolucci, présentée en préouverture de la 17e session des Journées théâtrales de Carthage (JTC), qui se tiendront du 16 au 24 octobre.

Entre grotesque et sublime, ce voyage dans les antres de la terre, inspiré de Dante et d’Al-Maari, a fait sensation auprès d’un public qui ne va jamais au théâtre et que d’aucuns estimaient, à tort, trop conservateur pour être réceptif au théâtre. Comme un pied de nez à ce poncif, la pièce a été donnée deux fois de suite dans la même soirée.

la suite après cette publicité

À Gafsa, à Sfax, à Sousse et au Kef, l’on a pu découvrir la coproduction tuniso-belge Contes des sages du désert, de Paul André, ou Le Péché du succès, une pièce tuniso-algérienne signée par Meriam Bousselmi. Plus de 6 000 spectateurs au total pour ces représentations délocalisées des JTC. Lassaad Jamoussi, homme de culture à la tête du festival cette année, a vu juste en inscrivant cette édition en totale rupture avec les précédentes. Avec une certaine audace, ce festival de théâtre, désormais annuel, fait son off avant son in, s’éloigne des scènes consensuelles de Tunis et choisit d’être d’abord vu dans les régions. L’art prend ainsi une longueur d’avance sur le politique qui réfléchit à la mise en place d’une décentralisation participative, équitable et durable, inscrite dans la Constitution de 2014.

« Du théâtre pour tous, vu par tous », assène Lassaad Jamoussi. Une phrase au ton révolutionnaire et universel qui aurait pu être le slogan du théâtre tunisien des années 1970. Reprenant à son compte la décentralisation culturelle introduite par Jean Vilar en France, le pouvoir de Bourguiba avait encouragé l’expression dans les régions. Les troupes de Gafsa (Sud-Ouest) et du Kef (Nord-Ouest), animées par des jeunes, dont Fadhel Jaïbi, Fadhel Jaziri, Mohamed Driss, Moncef Souissi et Lamine Nahdi, devenus depuis des figures emblématiques du théâtre contemporain, ont produit des œuvres majeures et inscrit le quatrième art tunisien dans une forme critique et moderne.

Sortir de l’élitisme

En 2015, le théâtre s’inscrit dans le collectif. Les JTC, en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, élargissent leur audience avec plus de 330 interventions en milieu scolaire et universitaire sans négliger pour autant la programmation de près de 50 spectacles, dont Solwen, mis en scène par Leïla Toubel, Paranoïa, par Nizar Saïd, Ômon-mi, par le Béninois Nicolas Houenou de Dravo, 1789 en l’Isle de Saint Louis, par le Guinéen Ibrahima Soury Tounkara, et Le Prince séquestré, par François Cervantes.

la suite après cette publicité

Un tour de force pour un festival qui innove malgré un budget stable de 500 000 euros. Mieux, les JTC 2015, qui attendent plus de 80 000 festivaliers, « se démocratisent et sortent de leur élitisme », analyse le réalisateur Walid Tayaa. Il n’est plus question de décerner des récompenses, comme c’est la tradition depuis leur création, en 1998, mais de donner les moyens de promouvoir et de diffuser les productions ; l’objectif étant de faire également de cette manifestation un véritable marché. « Une opportunité qui encouragerait la création d’espaces de représentations », selon Ahmed Amine Ben Saad, auteur de Tounes, qui fera la clôture du festival.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image