Législatives en Birmanie : le moine, le centurion et l’icône déchue
Les législatives du 8 novembre s’annoncent mieux pour les bouddhistes islamophobes partisans du président Thein Sein que pour Aung San Suu Kyi, l’opposante star désormais contestée.
C’était le 4 octobre. Une marée de crânes rasés en robes safran et pourpre avait pris place dans le stade couvert Thuwunna, à Rangoon. « Des dizaines de milliers de moines et de supporters venus de tout le pays », précise avec satisfaction Ma Ba Tha, l’Association pour la protection de la race et de la religion, qui compte dans ses rangs le bonze ultranationaliste Wirathu, figure de proue du bouddhisme islamophobe birman. Pour Lwin, jeune moine arrivé la veille de l’État Karen, dans le sud-est du pays, « l’importance de ce rassemblement annonce à l’évidence le succès du parti du président Thein Sein [et des membres de l’ex-junte militaire] lors des prochaines législatives ».
Le 8 novembre, en effet, les Birmans se rendront aux urnes afin de désigner, pour la deuxième fois depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 2008, les 498 députés au Parlement (bicaméral) et les quelque 670 parlementaires provinciaux, qui, eux-mêmes, éliront, début 2016, le président de la République.
Pour Lwin, il est essentiel de soutenir le Parti de l’union, de la solidarité et du développement (PUSD), celui du président, parce que c’est le seul garant d’une Birmanie « de race pure et débarrassée de l’islam
Comme de nombreux Birmans, Lwin, qui se montre très actif sur les réseaux sociaux, a été élevé dans la défiance à l’égard des musulmans et des autres groupes ethnico-religieux. Pour lui, il est essentiel de soutenir le Parti de l’union, de la solidarité et du développement (PUSD), celui du président, parce que c’est le seul garant d’une Birmanie « de race pure et débarrassée de l’islam » et qu’il a permis de « porter devant le Parlement plusieurs projets pour la protection de la race et de la religion ». Autrement dit, un ensemble de quatre lois concernant les minorités religieuses : mariages interconfessionnels, conversions, contrôle de la population et monogamie.
Seuls une trentaine de députés s’y sont opposés l’été dernier. Tous étaient membres de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), d’Aung San Suu Kyi. Ce qui incite Wirathu à prédire un échec cinglant de ce parti lors du scrutin du 8 novembre.
Le bonze serait-il présomptueux ? Pas forcément, car le temps où l’icône de l’opposition soulevait les foules est révolu. « Elle s’est aliéné le peuple dont, pourtant, elle se réclame », explique Sithu Aung Myint, éditorialiste à l’hebdomadaire Myanmar Times. Pour cette femme qui a sacrifié sa vie à la lutte contre la dictature mais ne sera jamais présidente puisque la loi l’interdit à toute personne ayant un enfant ou un époux étranger, le constat est violent. À l’étranger, son silence concernant la persécution des Rohingyas musulmans a choqué. En Birmanie, même ses plus fervents partisans lui reprochent d’avoir écarté du processus de sélection des candidats de nombreuses personnalités venant du mouvement démocratique.
À ces critiques, la « dame de fer » birmane répond, non sans morgue et arrogance, qu’elle « ne demande pas aux gens d’avoir un avis sur les candidats du parti mais de se contenter de voter pour eux ». Cette attitude « pitoyable » n’étonne pas Sithu Aung Myint, qui estime que l’opposante est « une très mauvaise politicienne, dépourvue de toute stratégie ». « Quel que soit leur bord politique, les responsables birmans se ressemblent : tous sont profondément sectaires et autoritaires », conclut l’activiste Maung Zarni.
À l’abri derrière les oripeaux de la démocratie, les chefs de l’ex-junte militaire n’ont nullement l’intention de lâcher un pouvoir qu’ils contrôlent depuis cinq décennies
Pendant ce temps-là, Thein Sein s’active en coulisses. Furieux du rapprochement de son rival Shwe Mann, étoile montante du PUSD, avec Aung San Suu Kyi, il l’a fait exclure du parti en recourant à une méthode éprouvée : le 13 août, aux premières heures de la nuit, les forces de sécurité ont pris d’assaut le siège du parti à Naypyidaw, la capitale. Une éviction en bonne et due forme qui démontre s’il en était besoin que les chefs de l’ex-junte militaire n’ont pas perdu la main, et que, à l’abri derrière les oripeaux de la démocratie, ils n’ont nullement l’intention de lâcher un pouvoir qu’ils contrôlent depuis cinq décennies.
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