Attention au Moyen-Orient

C’est très certainement du Moyen-Orient qu’il nous faut parler cette semaine : les crises dont il est le théâtre s’ajoutent l’une à l’autre, s’entremêlent et risquent, à tout moment, de provoquer un embrasement général.

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Publié le 23 octobre 2015 Lecture : 5 minutes.

Le nombre de morts, de blessés et de personnes déplacées augmente jour après jour. Chaque mois, que dis-je, chaque semaine, un nouvel acteur vient grossir les rangs des belligérants.

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La situation dans la région inquiétait déjà du temps où sévissaient Saddam Hussein, Hafez al-Assad (père de l’actuel président syrien) et Mouammar Kadhafi. Ils étaient autoritaires et sanguinaires, mais faisaient régner l’ordre : beaucoup en sont à regretter l’ère de ces despotes.

À la question « Le Moyen-Orient se porterait-il mieux aujourd’hui si Saddam Hussein, Assad père et Mouammar Kadhafi étaient encore là ? », le candidat à l’investiture républicaine pour la présidentielle américaine Donald Trump a répondu sans hésitation :

« Cela ne fait aucun doute. »

Ce personnage pittoresque, enclin à dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, exprimait, sur le Moyen-Orient, un sentiment de plus en plus répandu.

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Nouriel Roubini, célèbre depuis qu’il fut le seul à annoncer la crise économique de 2008, prévient que « le risque d’embrasement du Moyen-Orient est devenu un danger pour le reste du monde ».

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L’évolution politique de la région préoccupe ce professeur d’économie :

« Alors que le souvenir du Printemps arabe s’estompe, l’instabilité dans cette région s’aggrave. La Libye est devenue un État déliquescent, l’Égypte a renoué avec l’autoritarisme et la Tunisie est économiquement et politiquement déstabilisée par des attaques terroristes.

Cette violence et cette instabilité gagnent l’Afrique subsaharienne – le Sahel est maintenant aux mains des jihadistes – et se propagent également à l’est, dans la Corne de l’Afrique.

Des guerres civiles font rage en Irak, en Syrie, au Yémen et en Somalie.

L’afflux de réfugiés en provenance de Syrie et d’Irak déstabilise la Jordanie, le Liban et même la Turquie, laquelle devient de plus en plus autoritaire sous le président Recep Tayyip Erdogan.

Pendant ce temps, alors que le conflit entre Israël et les Palestiniens reste en suspens, le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban représentent une menace chronique pour Israël. »

Que faire pour que la paix revienne au Moyen-Orient ?

Nul ne le sait. Dans les camps qui s’opposent, aucun belligérant n’a l’ombre d’une réponse, ni le début d’une stratégie : le désarroi est complet.

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Les chiffres de la seule guerre (civile) de Syrie, qui est dans sa cinquième année, sont affolants :

• Elle a déjà fait plus de 320 000 morts, et sur les 22 millions de Syriens, plus de 4 millions ont dû fuir le pays, tandis que 7 millions ont été déplacés. Un Syrien sur deux est donc victime de la guerre.

• Les pays voisins et l’Europe elle-même croulent sous le flot des réfugiés syriens et ne savent que faire de ces malheureux, parmi lesquels beaucoup de femmes et d’enfants.

« Il faut que Bachar s’en aille ! » Martelé mille fois, depuis des années, par les plus hauts dirigeants du monde arabe et de l’Occident, ce mot d’ordre tourne à la rengaine.

Il leur tient lieu de stratégie mais personne n’est en mesure de dire comment faire partir ce diable de Bachar, ni par quoi remplacer le système étatique dont il est le chef apparent.

Richard Haass, président américain du Council on Foreign Relations, le souligne : « Se débarrasser d’Assad n’est pas une stratégie. Un changement de régime, nous le savons d’expérience, peut conduire au chaos… »

Un mot encore de cette « drôle de guerre » menée par une coalition de soixante États contre, simultanément, le régime de Bachar al-Assad et « l’État islamique » dénommé Daesh.

Les deux ex-grandes puissances coloniales, qui ont dessiné il y a près d’un siècle la carte du Moyen-Orient, celle-là même qui vient de voler en éclats, ont tenu à y participer avec quelques avions : elles n’ont fait que montrer leurs limites et la modestie de leurs moyens militaires et financiers.

Analyste en stratégie politique, Zbigniew Brzezinski, qui fut le conseiller de Jimmy Carter, en conclut que « la France et le Royaume-Uni ne peuvent plus jouer un rôle important au Moyen-Orient ».

Depuis plus d’un an qu’ils bombardent le territoire de 300 000 km² conquis et occupé par Daesh, les États-Unis en sont à 11 000 sorties aériennes – une trentaine par jour – pour un résultat des plus décevant puisqu’elles n’ont pas empêché « l’État islamique » d’extraire son pétrole, de le raffiner, d’en vendre près de 40 000 barils par jour à 35 dollars le baril. Et d’en tirer une manne annuelle substantielle de 500 millions de dollars.

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La Russie n’a jamais été absente du Moyen-Orient, ni indifférente à ce qui s’y trame. Mais elle vient de surprendre tout le monde en faisant une entrée fracassante dans la guerre.

Que veut Poutine ? demande-t-on de toutes parts. Pourquoi ses bombes et ses missiles de croisière frappent-ils d’autres cibles que Daesh ? On ajoute parfois à ces deux questions une troisième, parfaitement stupide : pourquoi ne fait-il pas comme nous, Occidentaux ?

Parce qu’il fait une analyse différente de la situation et ne s’en est jamais caché : les ennemis et les amis de l’Occident ne sont pas ceux de la Russie.

Moscou entretient depuis plus de cinquante ans une coopération militaire et politique avec l’État syrien, menacé aujourd’hui d’être submergé par des islamistes soutenus notamment par la Turquie et le Qatar. Et il vole à son secours parce qu’il ne veut pas que Damas tombe aux mains d’Al-Qaïda.

En Afghanistan, les États-Unis ne font-ils pas la même chose en faveur de leur allié en frappant les talibans ?

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Je ne vous ai pas parlé des turbulences en Palestine/Israël que certains qualifient de « nouvelle intifada ». Ni des pressions de plus en plus fortes qui s’exercent sur Obama pour l’inciter à oublier qu’il est prix Nobel de la paix, qu’il fasse moins de diplomatie et plus de guerre. Ni des menaces de guerre civile en Turquie, ni de la situation chaque jour plus désastreuse dans laquelle s’enfonce ce qu’on appelait naguère le monde arabe (du Moyen-Orient), contrôlé par des monarchies réactionnaires, des dictatures paramilitaires ou des théocraties.

Le Moyen-Orient était « compliqué » ; s’il est au bord de l’implosion aujourd’hui, c’est parce que l’ordre ancien, qui date d’un siècle, s’est fracassé et que nul ne sait par quoi le remplacer.

Tout, dont le pire, est désormais possible.

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