Wided Bouchamaoui : « La Tunisie a besoin de visibilité »
La toute récente co-lauréate du Prix Nobel de la paix 2015 et patronne des patrons tunisiens, Wided Bouchamaoui, revient sur les graves difficultés économiques de son pays et avance des solutions pour les résoudre. Interview.
Jeune Afrique : L’économie tunisienne est au plus mal. Pourquoi ?
Wided Bouchamaoui : L’initiative du Dialogue national [lauréat du Prix Nobel de la paix 2015] a mis fin à une crise politique. Le processus a également abouti rapidement et sans dégâts à des élections générales. Il était important de jeter les bases d’une démocratie. Les nouveaux acquis de la Tunisie sont indéniables. Mais nous attendions de ce retour à la stabilité politique qu’il incite les responsables à remettre l’économie au centre des priorités.
Or, depuis 2011, les circonstances ont fait qu’elle a été négligée. Pourtant, le travail et la dignité, qui ne vont pas l’un sans l’autre, avaient été les premières revendications de la révolution. Mais faute d’une croissance suffisamment forte, les attentes en matière de création d’emplois ont été déçues. Pendant ce temps, d’autres pays prenaient des décisions, se donnaient de la visibilité et nous soufflaient des marchés.
Les patrons escomptaient de Nidaa Tounes qu’il relance la machine économique. Mais la reprise se fait encore attendre…
Ce n’est pas une affaire de couleur politique. L’Utica a pour rôle de contribuer à la réussite du processus économique, indépendamment de toute considération partisane. Nous ne sommes pas là pour juger ou imposer des ministres. Mais nous n’hésitons pas à exprimer franchement, s’il y a lieu, nos réserves. En 2015, nous attendions du gouvernement qu’il mette à exécution son projet. Malheureusement, les attentats du Bardo et de Sousse, sans oublier les attaques jihadistes du Chaambi, ont changé la donne et les priorités. Dans ces conditions, on ne peut blâmer l’exécutif.
Prenez le code des investissements. Il a été annoncé sans pour autant être adopté. Or nous ne pouvons pas nous contenter d’effets d’annonce. Il y va de la crédibilité de l’État et du pays.
Quel est le principal obstacle à la relance ?
La situation économique est critique et pourrait avoir des répercussions sociales lourdes. Cela a été dit et redit. Il faut donc engager rapidement des réformes. Non pas parce qu’elles seraient dictées par des institutions internationales mais parce qu’elles sont nécessaires. Prenez le code des investissements. Il a été annoncé sans pour autant être adopté. Or nous ne pouvons pas nous contenter d’effets d’annonce. Il y va de la crédibilité de l’État et du pays. La situation internationale fait que la compétition est rude pour attirer les investissements, lesquels vont là où l’environnement est favorable.
La loi de finances 2016 devra mettre en place des réformes pour combattre l’économie parallèle, qui représente 54 % du PIB
La cohabitation est-elle responsable de cette lenteur ?
Le gouvernement doit simplement remplir son rôle. Nous voulons tous que le pays aille mieux et puisse opérer avec un secteur privé fort. Gagner en efficience passe par des décisions simples, comme la suppression de pratiques obsolètes, par exemple la légalisation de signature obligatoire. Il nous faut regarder ce qui se fait ailleurs. Ce qui importe au patronat, ce sont des conditions de travail convenables, avec une législation simplifiée, notamment en matière de création d’entreprise.
Le pays a besoin d’un secteur privé fort et compétitif qui ait les moyens de travailler. Il faut que l’État joue son rôle, encourage la liberté d’initiative et mette en œuvre les nécessaires projets d’infrastructures. La loi de finances 2016 devra mettre en place des réformes pour combattre l’économie parallèle, qui représente 54 % du PIB. Nous avons besoin de visibilité, d’un État de droit et d’un environnement social serein.
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