Ade Ayeyemi : « Pour Ecobank, la vraie bataille se déroule sur le marché »

Aux commandes du groupe bancaire panafricain Ecobank depuis le 1er septembre, le nouveau directeur général d’Ecobank Ade Ayeyemi affirme que les querelles de leadership sont loin. Et explique à Jeune Afrique sa future stratégie.

Ade Ayeyemi a rejoint Ecobank depuis Citigroup. © GUILHEM ALANDRY DOCUMENTOGRAPHY/DOCULAB POUR J.A.

Ade Ayeyemi a rejoint Ecobank depuis Citigroup. © GUILHEM ALANDRY DOCUMENTOGRAPHY/DOCULAB POUR J.A.

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Publié le 30 octobre 2015 Lecture : 9 minutes.

Tout doucement, Ade Ayeyemi se fait une place à la tête d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI). Conscient que l’éviction de Thierry Tanoh avait suscité une vive émotion au sein du groupe, le Nigérian use d’humour et de rigueur pour remettre les troupes en ordre de bataille, selon des sources au sein de la banque. Une bataille qui, d’après lui, se joue avant tout sur « les marchés », c’est-à-dire face à la concurrence, non en interne.

Avec vingt-sept ans de carrière chez Citigroup, où il a occupé dernièrement la fonction de directeur général Afrique subsaharienne, Ade Ayeyemi connaît aussi bien le continent que les marchés internationaux. Un profil en accord avec l’évolution de cette banque d’origine ouest-africaine qui s’ouvre peu à peu au reste du monde : d’abord avec la participation de l’Afrique du Sud à son capital (Nedbank et Public Investment Corporation – PIC), plus récemment avec l’arrivée des investisseurs du Golfe à travers Qatar National Bank (QNB).

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Quelques semaines après sa prise de fonctions, le nouveau patron d’Ecobank annonce aussi des changements notables. La centralisation des produits bancaires proposés, par exemple, en réduisant l’autonomie des filiales. Il vient par ailleurs de geler le projet de cession des parts (environ 25 %) de la filiale nigériane, la plus importante du groupe (près de 40 % de ses actifs), ce qui devrait lui permettre de lever entre 400 millions et 500 millions de dollars (entre 351 millions et 439,7 millions d’euros). Raison invoquée : les conditions peu favorables sur le marché nigérian. Il a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique: Vous prenez la tête d’un groupe qui sort d’une grave crise de gouvernance. Quelles vont être vos priorités ?

Ade Ayeyemi : Je vais m’appuyer sur les personnes qui étaient là bien avant moi. Elles ont contribué à créer une institution financière présente aujourd’hui dans plusieurs pays du continent. Elles ont bâti une maison qu’il faut maintenant transformer en foyer. Cela relève de ma responsabilité. Nous devons désormais tout exécuter comme une seule banque et non pas comme des entités distinctes.

Nous allons centraliser la fabrication de nos produits avant de les distribuer. Nous choisirons ce que nous faisons de mieux, puis nous le ferons aussi pour toutes nos entités. Notre clientèle sera divisée en trois segments : le consommateur [la banque de détail], le commerce [la trésorerie] et les entreprises [la banque de grandes entreprises et d’investissement]. Il ne s’agit pas de modifier l’organisation ou la structure du groupe, il s’agit simplement de définir la manière dont nous concevons nos activités.

Notre objectif est d’être leaders partout où nous sommes implantés

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Dans quels objectifs ?

Nous figurons déjà dans le trio de tête de certains pays d’Afrique de l’Ouest. Mais nous ne sommes que numéro six au Nigeria, alors que nos investissements devraient nous y assurer une place parmi les trois meilleurs. Nous devons donc y redoubler d’efforts. Nous sommes nouveaux en Afrique de l’Est et en Afrique australe, mais nous devons y réussir également, et avec éclat. Notre objectif est d’être leaders partout où nous sommes implantés. Et pour ce qui est des pays où nous ne sommes pas encore établis, nous allons nous préparer pour être capables d’y saisir l’opportunité qui se présentera un jour sur ces marchés.

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Albert Essien, qui a assuré l’intérim avant votre nomination, a fait un bon travail, mais des tensions subsistent sans doute. Comment comptez-vous reconstruire les équipes ?

Il n’y a plus de tensions parce que nous avons placé l’institution au-dessus des relations individuelles. Ce sont là les bases mises en place par les pères fondateurs d’Ecobank. Partout sur le continent, une institution financière capable de combler le fossé entre les aspirations d’une part et la réalité d’autre part est nécessaire. Ces motivations sont toujours d’actualité, et nous faisons en sorte que chacun dans l’équipe réalise que notre objectif ultime nous dépasse. Une prise de conscience qui permet de laisser les différends de côté pour accomplir de grandes choses.

Vous avez été nommé au terme d’un processus de sélection auquel ont participé certains dirigeants du groupe. Ne craignez-vous pas une bataille de leadership si des ambitions ont été déçues ?

Il est normal que les gens aient de l’ambition. Pour ma part, je ne suis pas devenu directeur général parce que mon père a créé Ecobank. Si cela avait été le cas, on pourrait en effet dire que c’est injuste. Mais le processus de désignation a été équitable. C’est comme en Premier League [championnat anglais de football] : chaque année les équipes annoncent qu’elles vont remporter le titre.

ETI © J.A.

ETI © J.A.

Puis on découvre le véritable vainqueur et on le félicite, peu importe qui il est. Si on continue à se battre en interne à propos de leadership, même une fois le nom du gagnant annoncé, on va tout perdre. C’est sur le marché que se déroule la vraie bataille, c’est là qu’il faut gagner. Les gens ont compris que la guerre de succession était terminée et que nous devions maintenant reprendre le travail en équipe. D’autant que 2016 et beaucoup de turbulences se profilent – inutile de nous laisser distraire par des combats à propos du poste de dirigeant. D’ailleurs aucun de mes collègues ayant de hautes responsabilités ne se comporte de la sorte.

Vous êtes nigérian, votre nomination ne risque-t-elle pas de renforcer l’image de banque nigériane dont Ecobank a du mal à se défaire ?

Je n’ai pas été engagé parce que j’étais nigérian, mais parce que je suis un professionnel. J’habite à Lomé, au Togo, et non au Nigeria. Je n’ai pas vécu dans mon pays d’origine depuis seize ans parce que je travaille partout sur le continent.

L’idée de déménager le siège d’Ecobank, actuellement à Lomé, est-elle toujours à l’étude ?

Non, car j’ai le sens de l’Histoire : la banque a commencé à Lomé et le Togo nous accueille depuis vingt-sept ans.

Nous chercherons plus d’efficacité dans la réalisation de notre stratégie

Vous êtes surtout un expert de la banque d’entreprise. Votre nomination signifie-t-elle qu’Ecobank désire axer sa stratégie sur les entreprises et non sur la banque de détail ?

Mon arrivée ne signale aucun changement. Nous allons continuer à nous intéresser à la fois aux ménages et aux entreprises. Il y aura plus de technologies et d’innovations, et ce pour soutenir tous les segments de clientèle, partout où nous sommes présents.

Nous chercherons plus d’efficacité dans la réalisation de notre stratégie. Nous voulons construire une institution financière de classe mondiale sur le continent, par les produits proposés ou le rendement assuré pour nos actionnaires, mais aussi par notre conduite. Notre comportement est aussi important que nos actions.

Concrètement, comment allez-vous vous y prendre ?

Par une centralisation de nos processus. Qu’il s’agisse de produits de consommation comme les cartes de crédit, les prêts immobiliers ou hypothécaires, de produits d’emprunt, de gestion, de trésorerie ou de commerce, ils seront désormais fabriqués au même endroit. Ensuite, on les distribuera dans les différents pays afin de servir les clients. Lesquels seront sélectionnés à l’échelle nationale, mais le choix du produit et de l’offre sera lui effectué de manière centralisée. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Actuellement, il est possible de travailler à partir de deux ou trois endroits maximum sur le continent. Nous essayons de déterminer lequel dispose des meilleures ressources humaines et technologiques pour en faire une sorte d’atelier de traitement. Les systèmes informatiques du groupe étant centralisés à Accra, au Ghana, nous pourrons y rassembler une partie de nos traitements. Une fois mise en place, notre plateforme industrielle nous donnera un avantage en matière de coûts et de qualité impressionnant pour nos clients.

Avec le ralentissement de l’économie chinoise, prévoyez-vous des difficultés en 2016 ? Quelles stratégies avez-vous élaborées pour les surmonter ?

L’année 2016 pourrait être difficile, c’est vrai, mais pas nécessairement. Si c’est le cas, nous devrons veiller à assurer notre mission de conseil auprès de nos clients, car, si la situation est délicate pour nous, elle le sera aussi pour eux. C’est un peu comme les turbulences lors d’un vol : si le pilote anticipe et demande aux passagers d’attacher leur ceinture de sécurité, l’impact est réduit. Par ailleurs, les stratégies des organisations ne doivent pas être élaborées pour une seule année.

La crise qu’a traversée Ecobank a inquiété un grand nombre de responsables de banques centrales en Afrique. Une forme différente de surveillance s’impose-t-elle pour les groupes panafricains comme le vôtre ?

Nous travaillons avec les régulateurs. Notre objectif est d’investir pour obtenir les meilleures pratiques, tout en nous montrant à la hauteur des normes. Une fois ce processus achevé, l’idée que nous représentons un risque systémique disparaîtra, car nous nous serons montrés aussi transparents que possible sur cette collaboration.

L’idée que nous représentons un risque systémique disparaîtra, , car nous nous serons montrés aussi transparents que possible avec les régulateurs

C’est la meilleure façon de dissiper toute incertitude. Notre importance augmente parce que nous sommes présents dans plusieurs endroits – peu importe que l’avion soit un Boeing 747 ou un Airbus A380, si 800 personnes s’y trouvent, ce n’est pas une mince affaire. Nous détenons l’épargne des gens, elle représente leurs espoirs. Et cette responsabilité nous incombe dans toutes les zones où sont situés ces fonds. Nous devons agir correctement à tous les niveaux.

Ecobank compte parmi ses principaux actionnaires deux autres grandes banques [Nedbank et QNB]. N’est-il pas compliqué de mettre en œuvre sa propre stratégie en ayant de potentiels concurrents pour actionnaires ?

Je suis très reconnaissant aux divers actionnaires, non seulement pour le capital qu’ils apportent, mais aussi pour leurs judicieux conseils. Nous pouvons utiliser les fonds amenés par QNB pour résoudre certains problèmes sur le continent, et ce plus rapidement que si Ecobank agissait seule. La Société financière internationale [IFC] est aussi devenue une source de capitaux et de conseils. Nedbank en Afrique du Sud et Old Mutual nous apportent quant à eux leurs pouvoirs structurants lorsque des occasions se présentent.

Le fonds de pension Public Investment Corporation [PIC] est la plus grande caisse de retraite sur le continent, et, en toute honnêteté, il peut entrer en concurrence avec toute autre caisse de retraite sur les marchés émergents, voire parfois au niveau mondial. Réunis, ces éléments – sans oublier le fonds de la Cedeao – démultiplient les forces d’Ecobank pour répondre aux opportunités créées. Le groupe peut ainsi jouer dans la cour des grands. Et puis il faut aller au-delà des évidences. QNB contribue au capital certes, mais pour réaliser des transactions qui dépassent nos capacités, nous pouvons nous adresser à QNB, à Nedbank, à l’IFC, à Old Mutual ou au fonds Cedeao. Nous disposons de multiples solutions pour résoudre tout problème.

Est-ce que Nedbank envisage de lancer sa propre chaîne de banques panafricaines ? Avez-vous des ententes de non-concurrence ?

Nedbank veut travailler à travers Ecobank pour réaliser ses ambitions africaines, tout comme QNB.

Cost killer

À 52 ans, Ade Ayeyemi est un pur produit de Citigroup en Afrique. Il a débuté sa carrière dans la filiale nigériane du groupe bancaire américain en 1988, soit trois ans après l’obtention de son diplôme de comptabilité à l’université d’Ife, au Nigeria.

En vingt-sept années, il a acquis une solide expérience dans la banque d’entreprise. Ses détracteurs l’accusent d’ailleurs de mal maîtriser le domaine de la banque de détail.

Pour avoir résidé au Kenya – en tant que responsable de l’Afrique de l’Est -, au Nigeria et en Afrique du Sud, ce patron qu’on dit très axé sur la gestion, connaît aussi très bien le continent. De 2010 à 2013, il a piloté Citi Transaction Services, la puissante division du groupe américain chargée de la trésorerie et du financement du commerce, active dans une quarantaine de pays africains.

Jusqu’à sa nomination en juin comme directeur général d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI), Ade Ayeyemi (à qui ses confrères reconnaissent une véritable capacité de réduction des coûts) était depuis 2013 à la tête de Citi, en Afrique subsaharienne, la banque de référence (avec Standard Chartered) sur le continent pour les services aux multinationales.

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