Simon Pierre Mbumbo, un dessein africain

Malgré une vue diminuée par la maladie, ce Camerounais entend promouvoir la bande dessinée du continent.

« Un auteur de BD africain ne peut pas s’épanouir dans le système franco-belge », constate le dessinateur. © BRUNO LÉVY pour J.A.

« Un auteur de BD africain ne peut pas s’épanouir dans le système franco-belge », constate le dessinateur. © BRUNO LÉVY pour J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 24 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

C’est un hercule fragile, un colosse au cœur sensible. Simon Pierre Mbumbo se déplace lentement, comme si l’espace autour de lui n’était que menaces. L’explication de cette démarche chaloupée ? Un glaucome mal soigné et, depuis, le dessinateur ne voit plus que d’un œil. Une longue histoire… qui n’empêche rien. Et surtout pas le Camerounais de se donner corps et âme à sa passion, la BD, comme artiste et désormais comme chef d’entreprise.

À bientôt 40 ans, l’enfant de la cité Cicam (Douala, Cameroun) vient de créer Toom Comics, une plateforme internet consacrée à la bande dessinée africaine et une maison d’édition attenante. Premier-né, Pas de visa pour Aïda, une plongée dans les couleurs poussiéreuses de Dakar signée Nadège Guilloud-Bazin. Le deuxième album de la maison sera intitulé Vaudou Soccer et signé Simon Mbumbo.

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Élevé dans la culture traditionnelle bamilékée par des parents pour qui il était « important d’aller loin dans les études » afin d’« être quelqu’un dans la vie », l’enfant a d’abord aimé le football. Mais on lui a seriné que c’était un « sport de voyou », et la découverte, en CM2, de fumetti italiens l’a poussé à quitter ses cages de gardien pour se mettre à dessiner. « J’ai commencé à recopier ces fumetti, raconte-t-il, mais la télévision aussi a joué un rôle important. Voir des films m’a donné envie de raconter des histoires. » En classe de première, il lance New Kids, un fanzine de BD et de jeux racontant la vie dans les lycées, tiré à 1 000 exemplaires.

En l’absence d’école de création au pays, l’apprenti artiste opte ensuite pour le génie civil, dans l’idée de devenir architecte. Une mauvaise orientation : trop technique. Après un échec au bac et alors qu’il ne s’entend plus avec son père, Mbumbo abandonne l’école et propose ses dessins au journal satyrique Le Messager popoli, dirigé par Pius Njawé, en 1996. Il y restera un an, signant des caricatures politiques « un peu naïves ». Mais c’est en tant que membre cofondateur du Mouvement des auteurs camerounais de la bande dessinée qu’il rencontre, lors d’un festival au Gabon, celui qui était alors directeur du festival d’Angoulême (France), Yves Poinot.

L’homme va jouer un rôle clé dans son destin, l’incitant à se former davantage, l’accueillant en France, appuyant son entrée aux Beaux-Arts d’Angoulême, capitale française de la BD. L’amateur Mbumbo débarque dans l’Hexagone en quasi professionnel : tout en poursuivant ses études, il réalise des illustrations pour Planète jeunes ou d’autres magazines comme Okapi. Conte de fées ? Pas vraiment. Deux ans après (2002), il doit tout arrêter en raison de « problèmes de santé ». Euphémisme. « J’ai subi un choc émotionnel à cause du changement de vie, de culture, de fonctionnement », se souvient-il, évoquant pêle-mêle le fait d’être le seul Noir aux Beaux-Arts et « l’acharnement » de deux professeurs.

« Pourquoi n’allez-vous pas faire votre métier ? » osa lui demander sa professeure titulaire. « J’ai vu un voile se dresser devant mes yeux », raconte-t-il. Opération, convalescence, dépression consécutive à la perte de son œil. Malgré l’attitude compréhensive de Bayard, qui édite Planète jeunes, il démissionne. Peu de temps auparavant, on l’avait contraint de retirer un SDF et un homme faisant la manche de la série « Les K-libres », qu’il dessinait. Il devient alors agent de sécurité, puis réparateur de palettes, cachant son handicap jusqu’au jour où il blesse un collègue…

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Retour, lentement, à la case BD. Avec l’association L’Afrique dessinée, qui a pour objectif d’être un espace d’accueil pour les auteurs venus du continent. « Je m’y suis beaucoup investi, mais je me suis vite rendu compte que le développement de la bande dessinée africaine ne pouvait se faire en association, tant les approches des auteurs sont individualistes. »

Il en est convaincu : en Afrique, il y a une place pour le marché de la BD

Malgré son handicap, il continue à travailler, réalisant Hisham et Yseult pour un projet de l’Union européenne en 2005, puis Malamine, un Africain à Paris (Les Enfants rouges), en 2009. L’expérience n’est pas facile. « Un auteur de bande dessinée africain ne peut pas s’épanouir dans le système franco-belge, constate-t-il. C’est un milieu très conservateur, et Aya de Yopougon est l’arbre qui cache la forêt. Il faut créer nos propres espaces. » Ce sera donc Toom Comics, financé sur fonds propres, à partir de ses gains comme illustrateur et infographiste. « C’est du militantisme, déclare ce père de famille désormais réconcilié avec le sien. Il n’y a pas de politique culturelle chez nous, et le problème, quand ça va mal, c’est qu’on accuse les autres. La solidarité africaine n’existe pas ! Il faut se prendre en main ! » Il en est convaincu : en Afrique, il y a une place pour le marché de la BD. Et cette place, pour l’instant, demeure inoccupée.

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