Cinéma : la guerre selon Adama

Un film d’animation original et riche évoque le destin d’un tirailleur ayant combattu au sein de la Force noire. Sans jamais céder aux facilités du cliché ou du manichéisme.

Capture d’écran. © YouTube/Ocean Film Distribution

Capture d’écran. © YouTube/Ocean Film Distribution

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Publié le 20 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

En 1998, Abdoulaye N’Daye avait 104 ans. Originaire de Thiowor, il était alors le dernier survivant de la Force noire ayant combattu en France lors de la Première Guerre mondiale. Il est mort la veille de la cérémonie qui devait l’honorer, quatre-vingts ans après la fin de la grande boucherie… Peu de temps après, son petit-fils, auquel il s’était confié, a rencontré Julien Lilti, alors étudiant en sociologie, et lui a raconté toute l’histoire. Près de dix ans plus tard, Julien Lilti a fait la connaissance du réalisateur Simon Rouby et tous deux ont éprouvé l’envie impérieuse de revenir sur cette sombre période historique à travers les yeux d’un enfant. La maturation a été longue, le financement compliqué, mais le résultat est enfin là : Adama, le monde des souffles, un film d’animation qui ne ressemble à aucun autre.

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Le scénario de départ est assez simple : en 1916, le jeune Samba quitte son village isolé d’Afrique de l’Ouest pour aller rejoindre les Nassaras et le « monde des souffles » sur lequel ils règnent… Son frère, Adama, décide de partir à sa recherche. Son imperturbable détermination va le conduire jusque dans l’enfer des tranchées, où l’Europe se saigne à blanc. « Je connaissais le sujet depuis 2004, époque où j’ai travaillé pour le studio Pictoon au Sénégal, confie Simon Rouby. Mais nous nous sommes beaucoup documentés, notamment pour créer une cosmogonie propre au village d’Adama. » Livres historiques et ethnographiques et films de Jean Rouch ont alimenté l’imagination comme l’inspiration des auteurs qui se sont tout de même autorisé quelques libertés afin de créer un havre de paix ressemblant beaucoup au pays dogon.

Flûte peule

Havre de paix africain face à un Occident déchiré et violent ? Simon Rouby s’en défend. « Le village tel qu’il est décrit est conflictuel, ce n’est pas une société stable. Les générations s’y opposent, son monde clos ne peut plus fonctionner. » Loin d’être manichéen, le film s’attache à proposer plusieurs angles de lecture selon que l’on est enfant ou adulte. Les personnages sont riches et complexes, en particulier le fou-griot Abdou dont la flûte peule guide la destinée d’Adama, la musique ne cède jamais aux facilités du cliché, et l’animation n’a rien à voir avec le lisse et sans saveur caractérisant une grande partie de la production Disney.

La latérite et la glaise des corps se mettent à palpiter pour donner l’impression du sang qui bat.

Suivre les aventures d’Adama, c’est vivre une expérience sensorielle unique : plonger dans une peinture, sentir le feu du soleil et l’énergie du vent, toucher la pierre, tomber dans la boue, être noyé sous un déluge de terre et de fer. Entièrement réalisé à la Réunion au sein du studio Pipangaï, le film, qui a coûté 4 millions d’euros et mobilisé 50 personnes pendant deux ans, utilise quelque 900 peintures. Classique. Mais d’autres techniques d’animation lui confèrent une remarquable originalité. « Au départ, les personnages sont des sculptures de Michel Lauricella, scannées en trois dimensions et animées grâce aux nouvelles technologies », explique Simon Rouby.

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Alors que chez Pixar le pixel javellisé se laisse deviner jusque sur la peau des héros, ici la latérite et la glaise des corps se mettent à palpiter pour donner l’impression du sang qui bat dans les tempes. À part, peut-être, quand apparaît sur le pont d’un navire de guerre le visage blafard d’un officier nassara aussi terrifiant qu’un certain tableau d’Edvard Munch… Mais le plus impressionnant reste la manière dont l’équipe du film a réussi à exprimer l’horreur de la guerre : sans montrer la mort, les auteurs parviennent à restituer le no man’s land de Verdun où l’eau, le sang et la terre se mêlent en une pluie d’apocalypse. Des mélanges d’encres, d’hydrocarbures, de limaille de fer et de sable volcanique ont été utilisés pour créer une sensation que la fin du film ne vient pas éteindre. Pendant longtemps.

Adama, lemonde des souffles, de Simon Rouby (sortie en France le 21 ocotbre), présentation à l’institut français de Dakar du 28 au 31 octobre, sur l’île de Gorée le 1er novembre.

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