Football : dans les décombres de la Fifa
Fragilisée par les enquêtes pour corruption diligentées contre elle par les justices suisseet américaine, la fédération internationale est désormais en proie à de graves convulsions internes. Entre Joseph Blatter et Michel Platini, tous les coups sont permis !
Un champ de ruines. Un paysage de désolation après le passage d’un cyclone. C’est à peu près tout ce qui reste de l’orgueilleuse et opulente Fifa, grande ordonnatrice des jeux du stade planétaires, après la chute infamante de son empereur, l’auguste Joseph Blatter, et de ses principaux sénateurs, de Michel Platini, l’ex-star des Bleus, au Sud-Coréen Chung Mong-joon, en passant par le Français Jérôme Valcke et bien d’autres.
Tout le monde savait l’imposant édifice rongé par les termites de la corruption la plus effrénée : sa magnificence n’était qu’illusion. Mais qui aurait imaginé qu’il s’effondrerait au premier choc ? On ignore si les Américains, ulcérés d’avoir été, injustement selon eux, privés de l’organisation de la Coupe du monde de 2022 au profit du Qatar ont résolu de se venger avec la brutalité dont ils sont coutumiers. L’indépendance de la justice de leur pays étant ce qu’elle est, l’hypothèse est sujette à caution. Mais c’est pourtant bien des États-Unis qu’est venue l’impulsion destructrice.
Les aveux de Charles Blazer
Le 27 mai dernier, sur la foi d’informations recueillies grâce à un membre de la Confédération d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf) retourné par le FBI, les autorités judiciaires américaines décident en effet d’infliger un « carton rouge » à la Fifa. Objectif déclaré : « éradiquer la corruption » au sein de l’institution.
Les sceptiques sourient, ils ont tort. La manière dont Charles Blazer, un très vénal dirigeant de la Concacaf qui prélevait une commission de 10 % sur chaque transaction frauduleusement réalisée par son intermédiaire (dans le domaine notamment des droits médias), a été amené à collaborer donne la mesure de la détermination des autorités.
Muni d’un micro dissimulé dans un porte-clés, Charles Blazer invite donc lesdits collègues à bavarder de leurs « affaires » autour d’un verre, enregistre leurs propos et transmet le tout à la police fédérale
Interpellé par les hommes du FBI, qui lui apportent la preuve de ses indélicatesses, Blazer se voit mettre le marché en main : soit il livre les noms de ses collègues les plus compromis, soit il est conduit au pénitencier le plus proche. Il vient d’avoir 70 ans et, n’envisageant pas de passer le reste de ses jours en prison, se résout à tout balancer. Muni d’un micro dissimulé dans un porte-clés, il invite donc lesdits collègues à bavarder de leurs « affaires » autour d’un verre, enregistre leurs propos et transmet le tout à la police fédérale.
Une quinzaine de membres de la Concacaf sont alors inculpés de corruption, extorsion de fonds et blanchiment. On sait que sur l’acte d’accusation figurent aussi les noms de vingt-cinq éminences soupçonnées d’avoir monnayé leur voix lors de l’attribution des Coupes du monde de 2018 et de 2022. De qui s’agit-il ? Le suspense ne dure pas longtemps.
Ce même 27 mai, à Zurich, la police suisse fait irruption à l’hôtel Baur au lac, établissement cossu qu’affectionne le gotha footeux. Sept dirigeants sur qui pèsent de lourds soupçons sont arrêtés et incarcérés. Blatter n’est pas du nombre, mais tout le monde comprend que l’étau est en train de se refermer sur lui. Platini, qui lui doit pourtant beaucoup, se déclare « écœuré » et lui conseille de démissionner. « Tu quoque mi fili ? » [« Toi aussi, mon fils ? »] C’est l’éternelle histoire de César et de Brutus qui recommence !
Le 3 juin, le président de la Fifa annonce qu’il « remettra son mandat à disposition » lors d’un congrès électif qui se tiendra « dès que possible », mais ne prononce pas le mot de démission. Le 29 juillet, Platini fait savoir qu’il briguera la succession de son mentor. Fin de la pièce ? Non, simple rebondissement.
Après les Américains, les magistrats suisses entrent bientôt dans la danse et entreprennent de traquer les corrompus de la Fifa
Car l’autocrate valaisan est un coriace. A-t-il encore l’espoir de retourner la situation en sa faveur ? Peut-être. En tout cas, il n’a aucune intention de se laisser jeter dehors sans combattre. Quant aux « traîtres » (suivez mon regard), il n’hésitera pas à les entraîner dans sa chute.
Après les Américains, les magistrats suisses entrent bientôt dans la danse et entreprennent de traquer les corrompus de la Fifa. Auraient-ils pu y songer plus tôt ? Sans doute, mais c’est ainsi : leur intransigeance est parfois à géométrie – et à temporalité – variable. Depuis qu’elles ont accepté de lever le sacro-saint secret bancaire, à la demande, disons, insistante de Washington, on sait que les autorités helvétiques ne sont pas insensibles à certains arguments d’autorité. À Zurich, une enquête judiciaire est donc diligentée.
Le comité d’éthique de la FIFA mis à contribution
C’est alors que le comité d’éthique de la Fifa entre en scène. Cet improbable « machin » mis en place par Blatter en 2012 est constitué de quinze membres à sa dévotion. Certains les présentent comme ses « porte-flingues ». Ou, au choix, ses « tueurs à gages ». De fait, ils se sont jusqu’ici distingués moins par leur rectitude morale que par leur propension à écarter tout rival potentiel du « patron », qu’il s’agisse du Qatari Mohamed Bin Hammam, banni à vie après avoir brigué la présidence en 2011, ou du Chilien Harold Mayne-Nicholls, qui a écopé d’une suspension de sept ans après avoir manifesté des velléités du même type.
En décembre 2014, ce même comité avait méticuleusement expurgé le « rapport Garcia » dans lequel cet ancien procureur new-yorkais évoquait « des problèmes sérieux et de grande envergure dans le processus de candidature » à l’organisation des Coupes du monde 2018 et 2022.
C’est donc cette redoutable autorité « éthique » qui, le 8 octobre, a pris la lourde responsabilité d’anticiper la décision de la justice civile (suisse) – qu’on imagine pourtant bien informée – et de suspendre à titre provisoire les principaux dirigeants de la Fifa, à commencer par Joseph Blatter et Michel Platini. Comment expliquer cette précipitation ? Chacun a son explication. Le comité a-t-il voulu sanctionner équitablement les corrompus, quels qu’ils soient ? Ce serait une nouveauté. Ses membres ont-ils voulu se prémunir contre d’éventuelles poursuites judiciaires ? Pourquoi pas. Ont-ils obtempéré à un ordre de leur patron ?
L’hypothèse ne peut être écartée d’un revers de main, car cette suspension de quatre-vingt-dix jours n’aurait évidemment pas la même portée pour un Platini renonçant à la présidence de l’UEFA pour briguer celle de la Fifa – sachant que la date limite du dépôt des candidatures est fixée au 26 octobre – et un Blatter qui, sentant la bataille judiciaire perdue, choisirait de pratiquer la politique de la terre brûlée. Impossible de se maintenir au pouvoir ou de désigner son successeur ? Au moins, désignerait-il celui qui ne le sera pas.
Certains soupçonnent Platini d’avoir été rétribué pour son vote en faveur de Qatar 2022. Lui hurle au coup monté et mobilise le ban et l’arrière-ban de ses soutiens – jusqu’au sommet de l’État français
Reste à savoir, c’est une question distincte, si Platini est ou non coupable des faits qui lui sont reprochés – la perception en 2011 d’une rémunération de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) pour de mystérieuses prestations réalisées dix ans auparavant – et s’il pourra maintenir sa candidature à la présidence de la Fifa.
Certains le soupçonnent d’avoir été rétribué pour son vote en faveur de Qatar 2022. Lui hurle au coup monté et mobilise le ban et l’arrière-ban de ses soutiens – jusqu’au sommet de l’État français. Mais ses positions sont-elles vraiment solides ? « J’ai le sentiment qu’il lui sera très difficile de se maintenir, estime un spécialiste. Car, même si le comité exécutif de l’UEFA s’est unanimement engagé à le soutenir, tout le monde sait qu’il existe des réticences en son sein. »
Le patron de l’UEFA n’est certes pas un enfant de chœur. Mais en matière de coups tordus, il a peut-être trouvé son maître avec Joseph Blatter.
Des candidats et des rumeurs
Si le calendrier est respecté, l’élection du nouveau président de la Fifa aura lieu le 26 février 2016 à Zurich. Ceux qui souhaitent succéder à Joseph Blatter ont jusqu’au 26 octobre prochain pour déposer leur candidature. Certains l’ont déjà fait. Demi-frère du roi Abdallah, vice-président de la Fifa et président de la fédération jordanienne depuis 1999, le prince Ali Ben Hussein avait déjà affronté Blatter au mois de mai dernier, avec le soutien d’un Michel Platini qu’il a flingué sans état d’âme dès que celui-ci a, le 29 juillet, annoncé à son tour qu’il serait de la partie.
Arthur Antunes Coimbra, l’ancien international brésilien plus connu sous le nom de Zico, a également décidé de se lancer, même s’il peine à réunir les cinq parrainages requis, de même que Musa Bility, le président de la fédération libérienne.
D’ici au 26 octobre, d’autres personnalités pourraient décider de se jeter dans la bataille. On parle du Français Jérôme Champagne, un ancien de la maison qui, en mai, n’avait pu se présenter faute d’avoir réuni les fameux parrainages ; de l’homme d’affaires sud-africain Tokyo Sexwale, ancien compagnon de cellule de Nelson Mandela à Robben Island et président du comité de surveillance de la Fifa pour la Palestine et Israël ; du Suisse Michel Zen Ruffinen, ex-secrétaire général de l’institution ; de Michael Van Praag, qui dirige la fédération néerlandaise ; et du Bahreïni Salman Ibrahim Al Khalifa, président de la Confédération asiatique (AFC). Liste non exhaustive.
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