Mohamed Benchaaboun : « Nous visons une implantation dans deux ou trois pays d’Afrique centrale »

En seulement trois ans, le marocain Banque populaire a rattrapé ses concurrents en Afrique de l’Ouest et dépassé Société générale. Et le pilote de cette expansion n’entend pas lever le pied.

Publié le 21 janvier 2016 Lecture : 9 minutes.

PDG de Banque populaire, deuxième groupe bancaire du Maroc, Mohamed Benchaaboun, 54 ans, nous reçoit dans le salon du club de la banque, à Casablanca. Un club où ses cadres viennent décompresser, et où le président a l’habitude de réunir la presse et les analystes pour leur présenter ses résultats et ses projets.

Ce jour-là, c’est un Mohamed Benchaaboun confiant et serein qui parle à Jeune Afrique. Son groupe vient d’achever sa transformation en banque mutualiste et a réalisé des performances remarquables durant les six premiers mois de l’année, malgré une conjoncture particulièrement difficile au Maroc.

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Venue sur le tard en Afrique subsaharienne, la banque au cheval semble aussi rattraper son retard sur le continent, puisque ses filiales africaines contribuent désormais au PNB du groupe à hauteur de 12 %. Et ce n’est que le début. Le PDG ambitionne de se renforcer encore dans l’UEMOA, de conquérir de nouveaux territoires, notamment dans la zone Cemac, et de se développer dans de nouveaux métiers comme la microfinance. Interview.

Jeune Afrique : La Banque centrale populaire (BCP), qui est contrôlée par les Banques populaires régionales (BPR), vient de prendre à son tour le contrôle de toutes les BPR. Expliquez-nous ce modèle un peu compliqué.

Mohamed Benchaaboun : Pour comprendre le modèle institutionnel marocain, il faut revenir quelques années en arrière. Nous avions une structure avec d’un côté la BCP – une sorte de banque centrale sous forme de SA [société anonyme] cotée en Bourse – et de l’autre côté les BPR – des coopératives pleines et entières détenues à 100 % par des sociétaires. Il n’y avait donc aucune relation capitalistique entre les BPR et la BCP. Le Crédit populaire du Maroc [CPM] – la somme de la BCP et des BPR – était en réalité un conglomérat sans lien capitalistique entre les différentes structures qui le composent. Nous avons donc essayé de constituer à rebours le modèle mutualiste qui existe ailleurs : un organe central détenu majoritairement par les banques régionales.

Comme la BCP était une banque publique, l’État avait inscrit dans la première loi portant réforme du CPM la cession de ses parts et avait prévu de garder le contrôle de la BCP avec les BPR. Les cessions de l’État ne pouvaient donc se faire qu’au profit des BPR. Et, avec la dernière opération de cession des actions de l’État, ces dernières se sont retrouvées détenir finalement 52 % du capital de la BCP. Ce n’est que l’année dernière que nous avons bouclé cette première phase.

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Mais était-il nécessaire que l’organe central prenne lui aussi des participations majoritaires dans les banques régionales ? Cela vous éloigne du modèle courant, tel celui des banques mutualistes françaises, qui ne contrôlent pas les antennes locales…

Quand l’État, qui constituait le ciment de ce groupe, est complètement sorti du tour de table de la BCP, nous avons veillé à mettre en place un modèle qui consoliderait l’édifice et éviterait qu’un organe ne se sente tenu en dehors du système. Par ailleurs, la banque centrale cotée à la Bourse de Casablanca n’affiche pas l’ensemble des performances du groupe, mais simplement ce que fait ce dernier dans cette ville. Ce qui se passait dans les régions n’était donc pas affiché dans les résultats de la BCP et ne se traduisait pas dans les performances de l’action BCP.

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La solution a été de créer des parts sociales privilégiées réservées à la BCP de telle sorte que l’organe central détienne 52 % du capital de chacune des BPR afin d’en faciliter la gestion – tout en gardant le modèle coopératif : les présidents des conseils de surveillance des BPR seront toujours les sociétaires. C’est un modèle marocain, nouveau, qui consolide le schéma coopératif et mutualiste et qui permet aussi de trouver le bon compromis avec le schéma capitalistique d’une société cotée.

Le but n’était-il pas aussi de renforcer les fonds propres des BPR ?

Absolument. Cette opération se traduira par une augmentation de leur capital qui va leur donner des moyens supplémentaires pour jouer un rôle dans le développement économique régional. Plus de 11,5 milliards de dirhams [1,053 milliard d’euros] seront ainsi injectés dans leur capital.

Les statistiques bancaires du premier semestre inquiètent les analystes. La progression des crédits est presque nulle, quand les créances en souffrance représentent désormais plus de 7,5 % des premiers. Le secteur bancaire serait-il à bout de souffle au Maroc ?

On a atteint cette année un minimum historique en matière de croissance des crédits. J’espère que cela va nous permettre de rebondir vers un nouveau cycle de croissance. Cela étant dit, ce mouvement est normal dans l’histoire économique. Distribuer des crédits trop rapidement engendre forcément une période de rattrapage pour que, in fine, leur croissance rejoigne celle de l’économie.

Pour relancer les crédits, faudrait-il un nouveau cycle de croissance économique ?

Quand on a une bulle dans un secteur donné, il faut commencer par freiner le développement des crédits avant de pouvoir repartir.

Nous avons au total près de 6 milliards de dirhams de matelas, en dehors des provisions réglementaires

Justement, cette bulle a produit beaucoup de dossiers en attente pour la BCP : la Samir, le groupe Alliances ou le Samanah Country Club de Marrakech… Ces risques sont-ils maîtrisés à présent ?

Oui. Nous avons toujours été prudents dans la gestion des créances en souffrance. Nous avons 2,9 milliards de dirhams de fonds de soutien, spécifique à notre groupe, et 2,8 milliards de dirhams de provisions pour risques généraux. Soit au total près de 6 milliards de dirhams de matelas, en dehors des provisions réglementaires. Le groupe est donc suffisamment paré pour amortir les chocs. En outre, nous disposons de fonds propres importants, qui nous confèrent un coefficient de solvabilité plutôt confortable. En Tier 1, nous sommes déjà à 11,6 %, ce qui est proche de la limite demandée de 12 %.

D’après nos calculs, le total de bilan des banques marocaines dans l’UEMOA est supérieur de 106 % à celui des établissements français [10,7 milliards d’euros à la fin de 2014 contre 5,2 milliards]. Est-on passé de la domination bancaire française à la domination marocaine en Afrique de l’Ouest ?

Les choses n’ont pas été pensées de cette manière. Ce qui est important, c’est que le groupe croit au développement de cette région et aux projets engagés ces dix dernières années. Pour pouvoir accompagner les États et les acteurs privés, il fallait que les banques marocaines répondent de manière positive. Deux conditions étaient nécessaires pour ce faire : la volonté et un bilan adéquat. Nous les avons remplies au sein de la BCP. Quand nous avons racheté Banque Atlantique, la première étape a consisté à procéder à une augmentation de capital importante permettant aux différentes filiales de répondre immédiatement à la demande et de disposer des ratios nécessaires. Au départ, certains ratios étaient dans le rouge, mais nous les avons ramenés dans le vert tout de suite. Cette volonté s’accompagne par ailleurs de moyens financiers afin de montrer que nous ne sommes pas là pour faire de la figuration, mais pour agir.

Dans certains pays d’Afrique subsaharienne, on commence à parler d’« overdose marocaine », notamment au Mali, où les banques du royaume contrôlent plus du tiers des actifs bancaires…

Ce n’est pas notre cas, puisque nous avons tenu à avoir des partenaires locaux dans tous les pays où nous sommes implantés. Évidemment, en tant qu’investisseur industriel, il nous faut la majorité pour pouvoir gérer. Mais nous sommes très ouverts à de futurs partenariats avec les acteurs locaux. De plus, le personnel de nos filiales est à 90 % constitué de cadres locaux. À part au Sénégal, tous les directeurs généraux de nos filiales sont des Subsahariens. Idem pour la présidence des conseils d’administration, aussi bien dans les filiales que dans le holding ABI [Atlantic Business International]. Aucun président de conseil de filiale d’ABI n’est marocain.

La BCP est en revanche quasiment absente de la zone Cemac. Comptez-vous vous développer dans cette zone ?

Dans les deux prochaines années, nous devrions compter deux ou trois pays supplémentaires de la région Cemac dans notre portefeuille, en plus de la Centrafrique, où notre groupe est déjà présent depuis plus de vingt ans à travers la Banque populaire maroco-centrafricaine.

À travers des acquisitions via ABI ou en solo ?

Toutes les acquisitions seront réalisées par ABI. La lecture de notre participation en Afrique doit être le plus simple possible. Nous avons créé un holding en Afrique subsaharienne qui gère les participations et nous souhaitons que toutes les acquisitions futures passent par ce véhicule.

La Cemac est-elle complémentaire de vos implantations actuelles ?

Oui, d’autant qu’on parle aujourd’hui de zone monétaire unique. Si ces annonces se confirment, cela fera une belle zone dans laquelle un groupe bancaire comme le nôtre aura sa place.

Quels sont les pays prioritaires pour vous dans la zone Cemac ?

Le Cameroun et le Gabon.

En Côte d’Ivoire, nous avons négocié avec les autorités un assainissement complet du passif

Justement, Banque Atlantique a une filiale au Cameroun. Pourquoi la BCP ne l’a-t-elle pas rachetée ?

Ce n’est qu’une question de temps. Certains obstacles juridiques vont être levés.

Dans les placards des filiales d’Atlantique, il y avait beaucoup de dossiers délicats. Comment avez-vous géré cette situation ?

Quand nous procédons à une acquisition, comme récemment au Niger, nous mettons systématiquement le portefeuille malade de côté. Nous n’achetons que le portefeuille sain, après avoir bien sûr conduit des audits détaillés et minutieux. Nous n’avons jamais eu de surprise. C’est ce que nous avons fait en Côte d’Ivoire par exemple, où nous avons négocié avec les autorités un assainissement complet du passif. Tout ce qui a été provisionné à 100 % sur des dossiers – qui remontent aux années 1980 ou 1990 – est désormais assaini.

C’est la même situation pour BIA Niger, que vous venez de racheter ?

En effet. Dans le cadre des négociations avec l’État, nous avons procédé de la même manière.

Vous êtes déjà présents au Niger via Banque Atlantique. Pourquoi y avoir racheté récemment BIA Niger ?

BIA Niger est la deuxième banque du pays en matière de dépôts et elle offre un important potentiel. Notre groupe, lui, est présent dans le pays à travers Banque Atlantique, qui connaît un développement soutenu. Aussi, quand l’opportunité de privatisation de BIA Niger s’est présentée, nous l’avons envisagée dans l’objectif de devenir, à terme, leader sur le marché. L’opération vient tout juste d’être autorisée par la BCEAO et sera donc très prochainement finalisée.

Vous venez de créer à Casablanca une filiale consacrée à la microfinance en Afrique subsaharienne. Quelles sont vos ambitions sur ce segment ?

Quand nous avons commencé notre activité bancaire dans cette région, nous avons très vite compris qu’une partie de la population n’était pas éligible à la banque, mais pouvait être cliente de la microfinance. Ayant une bonne expérience au Maroc, à travers notre filiale Attawfiq Micro-Fnance, nous avons décidé de dupliquer ce modèle au sud du Sahara.

Cette structure est-elle déjà opérationnelle ?

Nous avons reçu l’accord définitif de la Côte d’Ivoire et du Mali, où nous sommes déjà actifs. Les sièges sont là, les premières agences sont ouvertes, les équipes ont été recrutées et formées… Nous avons réalisé un travail lourd, un temps masqué, et dès que l’accord a été obtenu nous étions prêts à démarrer. D’autres demandes d’agrément ont été déposées, notamment en Guinée et au Gabon.

Nous aimerions que les cadres, les directeurs généraux des filiales qui travaillent en Afrique subsaharienne, rejoignent la BCP

Pourra-t-on voir demain des cadres subsahariens occuper des postes à responsabilités ou de gouvernance au siège de la BCP à Casablanca ?

Nous sommes non seulement ouverts à cette idée, mais aussi demandeurs. Nous aimerions que les cadres, les directeurs généraux des filiales qui travaillent en Afrique subsaharienne, rejoignent la BCP. Et l’inverse est vrai également. Ce qui compte, c’est la compétence des personnes, pas leur origine.

Le gouverneur de Bank Al-Maghrib a donné des consignes aux banques marocaines pour freiner leur développement au sud du Sahara. Que craint la Banque centrale ?

Elle est d’abord dans son rôle en veillant sur les équilibres des institutions bancaires. Et en faisant en sorte que les risques soient bien maîtrisés par celles qui s’exportent. Maintenant, tout est dans le discours, et chaque cas a ses propres particularités. À la BCP, nous sommes engagés en Afrique subsaharienne à des niveaux de fonds propres de 6 % ou 7 % qui ne suscitent aucune inquiétude. Et dans le total de bilan, les participations africaines représentent à peine 10 %. Nous avons mis 6 % de fonds propres pour obtenir une contribution au niveau du PNB de 12 %. Cela reste rassurant et limité quand on est un groupe panafricain de la taille et de la solidité financière de BCP.

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