Raymond Farhat : « Chez Saham, le gros des acquisitions est derrière nous »

En trois ans, le groupe marocain s’est implanté dans les marchés stratégiques que sont le Nigeria, le Kenya et l’Angola et a doublé ses revenus. Reste à relever le défi de la conquête commerciale.

Le Franco-Libanais opère dans l’assurance en Afrique depuis vingt-cinq ans. © Hassan Ouazzani pour Jeune Afrique

Le Franco-Libanais opère dans l’assurance en Afrique depuis vingt-cinq ans. © Hassan Ouazzani pour Jeune Afrique

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Publié le 25 janvier 2016 Lecture : 7 minutes.

Un milliard de dollars de revenus, 26 pays en Afrique et au Moyen-Orient, 49 filiales, dont 28 compagnies d’assurance et de réassurance, un réseau de distribution de plus de 650 agences en Afrique et 3 000 salariés : le pôle assurance du groupe marocain Saham est devenu en l’espace de cinq ans le principal acteur africain du secteur après les géants sud-africains.

Une offensive façon blitzkrieg, avec aux commandes Raymond Farhat, directeur général, et Nadia Fettah, directrice générale chargée des finances : acquisition en 2010 du groupe Colina, alors présent dans une dizaine de pays africains ; rachat en 2012 de Global Alliance Angola Seguros, première compagnie privée angolaise, et de l’assureur libanais LIA Insurance ; implantation au Kenya l’année suivante avec la reprise de Mercantile Insurance puis au Rwanda en 2014 avec celle de Corar AG ; acquisition en 2014 de 40 % du capital d’Unitrust Insurance au Nigeria ; puis, en 2015, prise de contrôle du réassureur nigérian Continental Re.

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Soutenu dans cette conquête par de solides actionnaires institutionnels (outre Moulay Hafid Elalamy, la Société financière internationale et les investisseurs Abraaj et Wendel), Saham entend désormais passer à la phase B de son développement : accroître son efficacité commerciale pour doper sa croissance sans avoir à sortir à nouveau la carte de paiement. Alliance avec BMCE Bank of Africa, rapprochement éventuel avec un assureur sud-africain, difficulté de conquérir une large clientèle : Raymond Farhat, présent dans l’assurance en Afrique depuis 1990, répond aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : En trois exercices, Saham Finances a doublé ses revenus, passant de 564 millions de dollars (435,5 millions d’euros) fin 2011 à plus de 1 milliard en 2014. Comment expliquez-vous cette spectaculaire progression ?

Raymond Farhat : Il y a la croissance des marchés, de 10 % par an en Afrique subsaharienne et de 5 % ou 6 % au Maroc. Mais la progression de nos revenus s’est faite essentiellement grâce à des acquisitions. Deux nouvelles sociétés, en Angola et au Liban, expliquent une partie importante de notre croissance. Le Nigeria, où nous avons acquis une entreprise [Unitrust Insurance], sera intégré dans les comptes et représentera environ 10 % de nos revenus.

Saham et FinanceCom viennent d’annoncer leur alliance dans la bancassurance. Quelle en est la portée exacte ?

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L’objectif est de créer des occasions de faire des affaires et de travailler sur des projets communs. Cela nous permettra de profiter du réseau de Bank of Africa [BOA] pour vendre des produits d’assurance, tandis que ce dernier pourra faire profiter ses clients de notre offre.

Ce qui est ironique, c’est que Colina et BOA étaient associés avant leurs rachats respectifs en 2010 par Saham et BMCE Bank…

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D’une certaine manière, on retourne en effet au point auquel nous étions avant ces rachats. Les deux groupes en sont arrivés à la conclusion qu’il valait mieux travailler ensemble. Nos empreintes géographiques sont très complémentaires.

Vous disiez il y a quelques années que dans le domaine de la bancassurance il faut nouer des liens capitalistiques forts. Est-ce le cas avec FinanceCom ?

Nous avons fondé une société commune détenue à parts égales. Ce n’est pas une entité à vocation commerciale, mais une structure qui a pour objectif de créer des synergies entre les métiers actuels des deux groupes et de travailler sur des développements futurs dans des métiers qui sont à la lisière de nos activités présentes.

Saham et FinanceCom pourraient réaliser des acquisitions communes ?

On pourrait l’imaginer, même s’il n’y a aucun projet précis aujourd’hui.

Ce rapprochement, tout comme l’entrée de la Banque nationale du Canada au tour de table de NSIA, n’est-il pas également le signe que la bancassurance est un passage obligé ?

Obligé, peut-être pas, mais c’est un axe important de développement pour l’assurance de personnes : assurance-vie, assurance automobile, habitation et, éventuellement, santé.

L’assurance santé croît ainsi de 15 % à 20 % par an. L’automobile d’un peu moins de 15 %

De manière générale, quels sont les produits d’assurance qui portent la croissance soutenue de vos filiales ?

L’assurance des particuliers. L’assurance santé croît ainsi de 15 % à 20 % par an. L’automobile d’un peu moins de 15 %.

À l’inverse, y a-t-il des produits qui freinent la croissance ?

Nous avons du mal à percer avec certaines de nos nouveautés, notamment l’assurance-crédit. Cette offre, qui permet de s’assurer lorsqu’on obtient un prêt auprès d’une banque, ou d’assurer un fournisseur contre le défaut de paiement d’un client, n’est pas encore entrée dans les mœurs.

La concurrence est forte au niveau des entreprises clientes, mais aussi des fonctionnaires et des salariés du privé. Est-il réellement possible d’élargir le nombre d’assurés au reste de la population, et comment ?

C’est en tout cas le grand défi auquel nous sommes confrontés : passer de 5 % à 10 % de la population assurée à un taux de 15 % à 20 %. Il faut innover, tant en matière de distribution que de produits, tout en restant rentables. Pour l’instant, nous ne sommes par réellement satisfaits de ce que nous avons mis en place. Certains produits fonctionnent bien. C’est le cas d’une assistance vendue aux passagers des bus lors de l’achat du ticket. Il leur permet d’être aidés – y compris médicalement – en cas d’accident. Mais les volumes restent faibles.

Et innover en allant jusqu’à vendre de l’assurance en dehors des circuits classiques de distribution…

Cela pose des difficultés à la fois réglementaires et informatiques.

Saham est le premier assureur automobile au Maroc.

L’automobile représente 30 % de vos revenus. Est-ce, comme au Maroc, le point fort de Saham dans le reste de l’Afrique ?

Saham est le premier assureur automobile au Maroc. Ce n’est pas toujours le cas dans les autres pays, donc nous avons des marges de progression.

Développement d’un pôle clinique avec l’espagnol Asisa, création d’une coentreprise avec le français Cegedim Activ pour le TPA [administration de tiers]… Votre groupe fait beaucoup d’efforts dans la santé, alors que cette activité est structurellement déficitaire. Pourquoi ?

Elle n’est pas déficitaire structurellement. Elle l’est aujourd’hui car nous n’arrivons pas à équilibrer l’activité : il n’y a pas assez de souscripteurs et trop de sinistres. Il faut donc faire du volume. D’où notre développement dans le TPA, qui permet de négocier de meilleures conditions auprès des prestataires de santé s’il est réalisé en quantité importante. Ensuite, le fait d’avoir des cliniques nous permettra de donner des avantages à nos clients.

Vous avez annoncé en septembre le rachat d’une société de réassurance, Continental Re. Pourquoi ?

D’abord parce qu’il est préférable d’avoir ce type d’activité dans certains pays. C’est un avantage pour les multinationales qui s’adressent à nous, car cela limite le nombre d’interlocuteurs. Maintenant, nous ne voulons pas être le seul partenaire de Continental Re. Nous allons faire venir au tour de table d’autres assureurs et réassureurs.

L’Afrique compte encore de toutes petites compagnies d’assurance. Selon vous, les autorités de tutelle doivent-elles pousser à des rapprochements ?

Il faut une consolidation, car les marchés son trop petits et atomisés : cela bloque le développement de l’assurance. Le principal acteur de cette évolution est l’autorité de tutelle, qui peut soit augmenter le niveau de capital requis, soit imposer des niveaux de marge plus élevés.

En 2014 et en 2015, les leaders mondiaux de l’assurance comme Prudential, Axa ou Old Mutual ont engagé plusieurs centaines de millions de dollars pour se développer ou se renforcer sur le continent. Êtes-vous inquiet ?

Nous sentons cet intérêt pour l’Afrique, mais il ne faut pas exagérer, nous ne remarquons pas grand-chose sur le terrain. Il y a eu quelques grosses opérations et beaucoup de publicité !

Après une période de croissance externe nous allons ralentir

En multipliant les acquisitions, n’y a-t-il pas un risque important que le rapprochement, l’intégration des équipes, le nettoyage des comptes se passent mal ?

C’est exact, il y a un risque, et tout cela prend du temps. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’après une période de croissance externe nous allons ralentir et travailler à intégrer tout cela.

Pour Saham, les acquisitions dans l’assurance sont terminées ?

Ce ne sera jamais terminé, mais le plus gros est derrière nous.

Ce qui implique que vous ne visez plus d’implantations dans de nouveaux pays ?

Les grands pays que nous visions sont à présent couverts. Il s’agit désormais de compléter notre présence, notamment en Afrique de l’Est, soit via de petites acquisitions, soit en ouvrant des sociétés.

Un rapprochement avec un groupe sud-africain pour mieux couvrir cette région ainsi que l’Afrique australe est-il possible ?

On peut l’imaginer. Nous travaillons sur cette hypothèse, mais il n’y a rien de concret à ce jour.

[Depuis la réalisation de cet entretien, le géant sud-africain Sanlam a annoncé une prise de participation de 30 % dans le capital de Saham Finances]

Vous annonciez il y a quelques années des ambitions au Maghreb, le Maroc excepté. Mais cela n’a pas avancé, pourquoi ?

Nous avons pour l’instant mis cette région de côté. L’Algérie nous reste fermée, et la Tunisie est un marché mature où nous ne voyons pas quel rôle nous pourrions jouer.

Dans le domaine bancaire, le modèle panafricain est de plus en plus remis en question, notamment parce qu’il est peu porteur de synergies, qu’il multiplie les risques et les coûts. Ne peut-on appliquer la même analyse à l’assurance ?

Les petits pays seront toujours moins rentables que les grands. Mais cette présence nous permet d’offrir une réponse globale aux grands groupes et aux grands courtiers internationaux. C’est un avantage compétitif et, même si, à court terme, c’est bien un frein aux performances financières, cela ne le sera plus d’ici à cinq ans. Nous avons aussi développé une logique de hub avec des directions régionales légères, qui restent proches du terrain.

En 2014, toutes les filiales d’assurance du groupe ont adopté une marque unique : Saham. Quel bilan faites-vous de cette opération ?

Un bilan satisfaisant. Mais il faut continuer de communiquer pour que le nouveau nom soit bien assimilé.

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