Portrait : Brahim Benjelloun-Touimi, président de Bank of Africa

Il a réussi à devenir l’incontournable numéro deux de BMCE Bank of Africa au Maroc comme au sud du Sahara… dans l’ombre d’Othman Benjelloun. Rencontre avec un banquier discret, fidèle et ambitieux.

Brahim Benjelloun-Touimi © Hassan Ouazzani pour Jeune Afrique

Brahim Benjelloun-Touimi © Hassan Ouazzani pour Jeune Afrique

Publié le 25 janvier 2016 Lecture : 8 minutes.

Quand Brahim Benjelloun-Touimi a été nommé président de Bank of Africa (BOA), en juin 2015, tout le monde l’a cru tombé en disgrâce. Administrateur-directeur général de BMCE Bank depuis plus d’une décennie, sa nomination à la tête de la filiale située au sud du Sahara avait été interprétée comme une mise au placard dans un groupe où l’on est habitué à voir les têtes tomber et où il est facile de se perdre dans des organigrammes à responsabilités croisées. « On a cru qu’Othman Benjelloun voulait l’éloigner du siège et de ce qui s’y trame. On s’est trompé », reconnaît un banquier marocain très au fait des enjeux de pouvoir en cours au sein de l’empire bancaire marocain.

Nommé au sommet de la pyramide du groupe en Afrique subsaharienne, Brahim Benjelloun-Touimi a également conservé son bureau au 8e étage de l’immeuble de l’avenue Hassan-II à Casablanca, non loin de celui du président Benjelloun. « Je continue de remplir mes fonctions d’administrateur-directeur général du groupe. Rien n’a changé », souligne Brahim Benjelloun-Touimi, qui confirme, jouant la carte de la modestie : « Je suis en effet le numéro deux de BMCE Bank, si l’on en croit l’organigramme et la volonté du président Benjelloun »…

la suite après cette publicité

La montée en puissance de l’homme du président

À l’inverse de ce que certains avaient cru un peu rapidement, cette nomination à la tête de BOA n’a fait que confirmer la montée en force d’un homme qui connaît le groupe comme sa poche. « J’ai intégré la BMCE en 1990, quand elle était encore publique. J’ai depuis été associé à tous ses chantiers », assure-t-il. Au milieu des années 1980, à l’occasion d’un stage de trois mois à Washington, il découvre l’admiration que les économistes du FMI portent au ministre des Finances de l’époque, Abdellatif Jouahri. Impressionné, il décide de prendre contact avec lui et active ses réseaux familiaux pour décrocher un rendez-vous avec celui qui a sauvé le Maroc d’une faillite annoncée. Il le rejoint quelques années plus tard dans ce qui s’appelle à l’époque la Banque marocaine du commerce extérieur, dont Abdellatif Jouahri est alors le PDG. Ce dernier est aujourd’hui le gouverneur de la Banque centrale.

À ses côtés, Brahim Benjelloun-Touimi met en place au milieu des années 1990 les prémices des activités de marché du groupe. Un terrain en ce temps dominé par la Wafabank d’Abdelhak Bennani. « C’était la course aux talents, c’était à celui qui recruterait les perles », se souvient un banquier d’affaires alors cadre au sein du département international de la Wafabank.

En retard sur son concurrent, Benjelloun-Touimi recrute des jeunes cadres brillants tels que Hassan Bouhemou, Zouheir Bensaïd ou Hassan Boulknadel. Trois personnes à qui il confiera les rênes de ses nouvelles filiales de marchés et dont les carrières prendront ensuite un tournant majeur. Hassan Bouhemou deviendra l’homme fort de l’économie marocaine, après sa nomination à la tête de Siger et de la Société nationale d’investissement (SNI), deux holdings qui chapeautent les participations du roi dans les affaires. Hassan Boulknadel prendra les rênes du Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM), le régulateur du marché casablancais.

la suite après cette publicité

Quant à Zouheir Bensaïd, il effectue une belle carrière au sein du groupe, gravissant tous les échelons jusqu’à décrocher, en 2011, la présidence de RMA Watanya, deuxième assureur du pays et société sœur de BMCE Bank. « Je suis fier d’avoir su les repérer. Ils sont devenus des figures de la finance marocaine », souligne Brahim Benjelloun-Touimi. Les activités de marché qu’il aura mises en place ne prendront toutefois leur envol que quelques années plus tard, avec la structuration de l’ensemble et la création de BMCE Capital par un autre homme fort du groupe, le tunisien Jalloul Ayed.

Au milieu des années 2000, ce dernier forme avec Brahim Benjelloun-Touimi, Mohamed Bennani et Mamoun Belghiti le quatuor de dirigeants de BMCE Bank. Tous ont été nommés en 2004 au rang d’administrateur-directeur général. Entre eux, la bataille pour le pouvoir sera plus ou moins feutrée, mais réelle. « Brahim Benjelloun-Touimi ne les a jamais affrontés en face à face, il est trop intelligent et habile pour cela, analyse un ancien du groupe, témoin direct des jeux de pouvoir d’alors. Mais il a toujours été ambitieux et visait déjà le premier rôle à cette époque – enfin… le second, derrière Othman Benjelloun. »

la suite après cette publicité

Le rescapé du quatuor

En janvier 2010, Brahim Benjelloun-Touimi remporte une bataille importante. Mamoun Belghiti, aujourd’hui à la tête d’une filiale spécialisée dans le recouvrement, est écarté. Mohamed Bennani, le meilleur connaisseur de l’Afrique chez BMCE Bank, part à Bamako prendre la direction opérationnelle de Bank of Africa, alors que son fondateur, Paul Derreumaux, se retire. Jalloul Ayed rejoint Londres pour redresser MediCapital, la banque d’affaires internationale du groupe, et la faire fusionner avec Bank of Africa. Il quittera BMCE quelques mois plus tard, avant d’être nommé ministre des Finances dans son pays d’origine.

Mi-2015, lorsque Mohamed Bennani quitte son poste de PDG de Bank of Africa (BOA), Brahim Benjelloun-Touimi est donc le seul rescapé du quatuor des années 2000. L’avantage de l’âge (il a une dizaine d’années de moins que les trois autres), mais pas seulement. Sa fidélité à l’égard du président Benjelloun et son abnégation auront elles aussi été déterminantes. Face à un leader visionnaire, capable d’annoncer une alliance stratégique entre son groupe et l’assureur Saham sans en avoir au préalable informé ses dirigeants, Touimi, le super « secrétaire général », courbe l’échine. Et accepte sans broncher.

« La première fois que j’ai rencontré Benjelloun, c’était au moment de la passation de pouvoirs avec Jouahri. Depuis, on ne s’est plus quittés. Il a pris trois mois pour me tester, il m’a fait passer des épreuves avant de m’appeler pour travailler à ses côtés. Et je l’ai accompagné dans tous les chantiers de la banque depuis sa privatisation », rappelle celui qui, malgré la proximité du patronyme, n’a aucun lien familial avec l’actionnaire de contrôle de BMCE Bank depuis 1995. « Benjelloun-Touimi a appris peu à peu le métier de banquier. Sa principale qualité, c’est son immense capacité de travail, précise un ancien du groupe. Lorsque Othman Benjelloun lui demande quelque chose, il ne s’y oppose pas. »

Membre de la garde rapprochée de Jouahri, qui a quitté la banque avec fracas après sa privatisation, Benjelloun-Touimi a su se maintenir à son poste et gagner peu à peu la confiance du nouvel actionnaire de la banque en jouant le rôle de secrétaire général. Lorsqu’on évoque sa relation avec Othman Benjelloun, Benjelloun-Touimi parle de « respect, de confiance et d’affection mutuelle », sans oser prononcer le mot de « confident ». Selon un cadre de BMCE, « Touimi est bien plus qu’un simple confident d’Othman Benjelloun, c’est aussi son bras droit, sa plume, son ami… son chef de cabinet et son adjoint. »

Abderrahim Bouabid, le père d’Amine, a été un camarade de lutte d’Abdelkrim Benjelloun-Touimi, le père de Brahim.

Son dauphin à la tête du groupe ? Depuis la nomination de Benjelloun-Touimi à la présidence de Bank of Africa, certains y pensent. Mais le principal concerné se garde bien de commenter. D’autant que le rapprochement stratégique avec Saham dans la bancassurance et la gestion d’actifs au sud du Sahara, annoncé en juin, brouille les cartes quant à l’avenir de BMCE Bank…

Benjelloun-Touimi, lui, préfère penser à ses premiers pas au sud du Sahara, zone dont il s’est tenu à l’écart depuis l’entrée de BMCE au capital de BOA, en 2007. Président du conseil d’administration, il officiera chez BOA avec un autre talent coopté par le groupe : Amine Bouabid. Un « joli tandem » pour remplacer Mohamed Bennani, note un cadre du groupe.

Grand nationaliste et militant socialiste, Abderrahim Bouabid, le père d’Amine, a été un camarade de lutte d’Abdelkrim Benjelloun-Touimi, le père de Brahim. « Mon père est l’un des signataires du manifeste de l’Indépendance. Il a aussi été le premier ministre de la Justice du Maroc indépendant dans tous les gouvernements de Mohammed V, le grand-père de Mohammed VI », rappelle le nouveau président de BOA. Un clin d’œil à l’Histoire qui ne laisse personne indifférent. « Deux fils de nationalistes pour mener la conquête de Benjelloun en Afrique subsaharienne, c’est une drôle de coïncidence », s’amuse un banquier marocain.

« Quand Mohamed Bennani a exprimé sa volonté de partir, Othman Benjelloun m’a proposé de prendre le poste. Je ne l’ai pas refusé, car je respecte la volonté du président et des actionnaires », dit Touimi. L’homme a tenu début octobre son premier conseil d’administration de BOA. Une étape nécessaire avant de rencontrer les équipes sur le terrain. « Je ne me suis pas encore rendu au sud du Sahara, puisque je tiens à ce que Bouabid, le dirigeant exécutif, effectue d’abord sa propre tournée, prenne connaissance de l’ensemble du groupe et découvre ses hommes », précise-t-il.

Lui, c’est avec les présidents de conseil qu’il sera en relation. « Mon job est clair : je dois à tout moment être en mesure d’exprimer la volonté des actionnaires au sein des organes de gouvernance de BOA et de ses filiales. Je n’ai pas l’intention d’infléchir la stratégie du groupe ou de changer de cap, mais simplement de porter la voix de l’actionnaire et d’exprimer ses volontés », insiste-t-il. Toujours respectueux de la volonté d’Othman Benjelloun…

Le goût des mots

Les mots sont l’autre passion du numéro deux de BMCE Bank of Africa. S’il n’était pas devenu banquier, Benjelloun-Touimi aurait très bien pu s’orienter vers une carrière en sciences humaines. Ses discours, ses courriers sont d’ailleurs truffés de tournures littéraires aussi élégantes que précieuses. « J’écris beaucoup. C’est ma manière de travailler. Un président est censé être très occupé et n’a pas à être sollicité verbalement à tout bout de champ. Je prends donc mon iPad, mon iPhone ou mon Blackberry pour rédiger des notes, des pistes de réflexion, que je soumets au président Benjelloun pour qu’il les lise à froid avant de prendre sa décision », signale Benjelloun-Touimi.

Grand amoureux de l’Histoire, il dit avoir été influencé par des auteurs comme Tocqueville ou Chateaubriand, et par le parcours d’hommes d’État tels que les trois rois du Maroc indépendant (Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI) ou des figures internationales comme Winston Churchill, JF Kennedy, Nelson Mandela… Lui-même perçoit son travail de banquier comme une participation active et positive à la vie de la cité. « J’ai grandi dans une famille de nationalistes, et mes frères et sœurs comme moi, nous regardons d’abord les choses à travers le prisme de l’intérêt de la communauté, pas seulement au niveau du Maroc mais aussi à l’échelle internationale », assure-t-il. Servir des causes transnationales, c’était d’ailleurs le rêve de jeune doctorant en monnaie, finance et banque de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image