La crise des crédits déboussole les banques marocaines

Alors que la croissance du royaume atteint 5 %, que les dépôts augmentent de 7 %, les établissements ne parviennent pas à prêter à l’économie locale. Un phénomène nouveau qui inquiète les autorités monétaires.

Salle des marchés de Banque populaire, à Casablanca. © GUILLAUME MOLLÉ POUR J.A.

Salle des marchés de Banque populaire, à Casablanca. © GUILLAUME MOLLÉ POUR J.A.

Publié le 5 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

«C’est la première fois que je vois ce phénomène depuis que je suis dans cette maison. » Cette déclaration d’Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib, la banque centrale du Maroc, lors de son dernier conseil, en septembre, résume à elle seule le grand paradoxe que vit le secteur bancaire du royaume. Au moment où le pays réalise une croissance de près de 5 %, que les dépôts reprennent du poil de la bête avec une progression de 7 %, les crédits à l’économie stagnent. À fin juin 2015, le rythme de progression de ces créances s’établissait à 2,3 % seulement, loin des taux de croissance atteints ces dix dernières années. « On est arrivé à un bas historique », confirme le PDG de la Banque populaire, Mohamed Benchaaboun.

Une donnée qui a poussé la Banque centrale du Maroc à revoir à la baisse ses prévisions annuelles de croissance des crédits. En début d’année, Bank Al-Maghrib tablait sur une croissance de 4 %. Elle espère désormais atteindre un petit 3 % fin décembre.

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La fin d’un cycle économique

Ce phénomène, nouveau dans l’économie marocaine, inquiète avant tout les banquiers, puisqu’ils n’arrivent plus à placer de l’argent dans le circuit économique. « Ce qui est nouveau, c’est qu’on n’est pas dans un scénario de credit crunch [resserrement du crédit] – comme cela est arrivé dans des pays comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal -, mais de baisse de la demande sur les crédits », précise Brahim Benjelloun Touimi. L’administrateur directeur général du groupe BMCE Bank explique cette décélération par « l’essoufflement du cycle économique et un certain attentisme des investisseurs et des entrepreneurs dans cette conjoncture régionale et politique un peu trouble ».

Des affirmations que confirment les statistiques de la banque centrale. Si les crédits à la consommation ou à l’habitat continuent de progresser, ceux aux entreprises tirent les chiffres du semestre vers le bas. À commencer par les prêts à l’équipement, qui ont stagné par rapport à fin juin 2014, mais aussi et surtout par les crédits à la trésorerie, véritable huile de l’économie d’un pays, dont l’encours a fondu de 7,5 milliards de dirhams (environ 683 millions d’euros) entre juin 2014 et juin 2015. Sans parler des crédits à la promotion immobilière, qui chutent de 6 milliards de dirhams d’une année à l’autre.

Ce que démontrent réellement ces chiffres, c’est que l’analyse des économistes et des banquiers était inexacte ces trois dernières années

Pour Mohamed Benchaaboun, cette décélération subite prouve qu’on est arrivé à la fin d’un cycle économique, et au début d’un autre. « Distribuer des crédits trop rapidement engendre forcément une période de rattrapage par la suite, pour qu’in fine la croissance des crédits rejoigne la croissance de l’économie », souligne-t-il.

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Mais ce que démontrent réellement ces chiffres, c’est que l’analyse des économistes et des banquiers était inexacte ces trois dernières années. Quand le cycle de décélération a commencé, en 2011, on l’expliquait par le manque de liquidités sur le marché bancaire. Une lecture qui était à l’époque logique – une banque qui collecte moins de dépôts distribue mécaniquement moins de crédits. La cyclicité de l’activité économique n’était jamais abordée… Jusqu’au jour où les dépôts ont repris de plus belle.

« Nous tablons d’ici à la fin de l’année sur une croissance de 9 % », souligne-t-on à la banque centrale. Une belle progression due aux milliards rapatriés par les banques dans le cadre de l’amnistie fiscale de 2014 sur les avoirs des Marocains à l’étranger, mais aussi à la nette amélioration des réserves de change du pays, qui couvrent désormais plus de six mois d’importations, contre moins de trois mois il y a à peine trois ans. Une tendance qui se confirme de jour en jour grâce notamment à l’allègement de la facture énergétique et à une progression soutenue des exportations et des entrées de devises. C’est dire que, depuis 2011, les caisses des banques n’ont jamais été aussi pleines !

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« On s’est trompé, reconnaît un analyste casablancais. Il est clair que le problème des créances à l’économie est plus structurel qu’on le pensait. » Un avis qui rejoint celui du gouverneur de la banque centrale, qui a décidé de créer une cellule d’experts pour étudier ce phénomène et proposer des pistes de relance. « On essaie de mettre les choses les unes à côté des autres pour comprendre ce qui se passe », affirme Abdellatif Jouahri.

Quand les impayés explosent

L’hypothèse de la fin d’un cycle économique est appuyée par une autre donnée : l’explosion des créances en souffrance. Elles sont passées de 48 milliards de dirhams (4,3 milliards d’euros) à fin juin 2014 à plus de 55 milliards un an plus tard, portant le taux de contentialité du secteur à près de 7,5 %, contre à peine 5 % en 2010. Une montée des risques qui s’explique par le ralentissement de certains secteurs clés (immobilier, tourisme ou textile). Sans parler de certains dossiers isolés comme celui du raffineur Samir et son ardoise auprès des banques de plus de 8 milliards de dirhams.

Si les banquiers essaient de rassurer le marché en affirmant que ces risques sont largement couverts par l’effort de provisionnement et la qualité de leurs fonds propres, cette envolée des risques a fortement affecté leurs résultats financiers. À la fin de juin 2015, tous les établissements ou presque affichent une baisse de leurs bénéfices, surtout les plus petits d’entre eux comme la Banque marocaine pour le commerce et l’industrie (BMCI), Crédit du Maroc ou encore Crédit immobilier et hôtelier (CIH Bank).

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