Algérie : Beihdja Rahal, l’icône de la musique arabo-andalouse
Devenue avec les années une icône de la musique arabo-andalouse, l’Algérienne s’investit corps et âme dans la sauvegarde de ce patrimoine musical ancestral.
Sur la scène du Centre culturel algérien de Paris, elle apparaît, droite, concentrée, la kwîthra – instrument à mi-chemin entre le luth et le oud – à la main. Vêtue d’une veste et d’un sarouel dorés, elle parcourt le public de ses yeux sombres, puis s’installe au centre de la scène. Un regard pour chacun de ses quatre musiciens et la mélodie retentit, plongeant les spectateurs dans l’univers allègre de la période d’al-Andalus.
Beihdja Rahal veut sauvegarder un patrimoine trop longtemps condamné à la confidentialité. L’Algérienne peut se muer en véritable chercheuse, n’hésitant pas à parcourir bibliothèques et maisons familiales pour y dénicher des trésors enfouis. « La recherche de la mélodie est parfois difficile, car on est confronté à des familles pour qui le précieux enregistrement est un secret bien gardé », confie-t-elle.
Ce travail, Beihdja Rahal l’a entrepris avec passion en 1995, année de sortie de son premier album, sur lequel elle chante la nouba Zidane. Trois ans auparavant, alors que la guerre civile commençait à enflammer son pays, c’est avec l’espoir de vivre de la musique qu’elle s’était installée en France, quittant ses proches et son métier de professeur de biologie. Peu bavarde sur les véritables raisons de ce départ, elle confie qu’un retour définitif au pays n’est pas envisageable et que sa vie « est en France ». Ses séjours réguliers en Algérie sont cependant essentiels à son bien-être, synonymes de grands repas de fête en famille où frères et sœurs se retrouvent autour de leur mère. Depuis son exil à Paris, la chanteuse a composé vingt-quatre albums, créé une association et donné nombre de concerts.
Le conservatoire était un loisir. D’ailleurs, jusqu’à ce que j’intègre la Fakhardjia, personne ne m’avait dit que j’avais du talent, soutient-elle
En juillet 1962, à l’heure où le peuple algérien en liesse célébrait l’indépendance, la famille Rahal accueillait Beihdja, « la joie » en arabe. Tout comme ses huit frères et sœurs, elle allait suivre une formation musicale au conservatoire d’El-Biar à Alger, sa ville natale, conformément à la volonté de sa mère, pour qui l’apprentissage de la musique est essentiel. En 1982, celle qui est capable de s’imposer une sévère rigueur intègre l’école d’El-Fakhardjia, qu’ont également fréquentée les musiciens Hamidou et Nacereddine Chaouli, puis celle d’Es-Sendoussia, reconnues pour leur prestige. En parallèle, Beihdja Rahal suit des études de biologie. Si sa mère jugeait l’éducation musicale indispensable, son père, lui, exigeait une assiduité à l’apprentissage scolaire. « Il répétait sans cesse « les études et l’école d’abord » », se souvient avec nostalgie la musicienne.
Lorsque l’on revient sur cette période, l’interprète soutient qu’elle n’a jamais envisagé de faire carrière dans la musique : « Le conservatoire était un loisir. D’ailleurs, jusqu’à ce que j’intègre la Fakhardjia, personne ne m’avait dit que j’avais du talent. »
En 1989, après sa licence en biologie, elle se lance dans l’enseignement scientifique, sans savoir que quelques années plus tard le chant et les instruments arabo-andalous feront résonner de leurs notes d’autres salles de classe. « Je sentais que l’enseignement des sciences naturelles allait m’ennuyer. Je ne m’y épanouissais pas. Aujourd’hui, à travers mon association Rythmeharmonie, j’enseigne la passion de ma vie, la musique, ce qui est beaucoup plus grisant. » Aux commandes des cours de chant et d’instruments de l’association, Beihdja Rahal dose savamment rigueur et bienveillance à l’égard de ses élèves, même si elle reconnaît être avare de compliments – pour leur bien !
Beihdja n’hésite pas à se mettre en retrait pour laisser libre cours à l’expression artistique de ses élèves, confie Saadane Benbabaali
« Il ne faut pas leur dire qu’ils sont bons. Ou pas trop. Sinon ils prennent la grosse tête. » En revanche, « elle sait tirer le meilleur de chacun, précise son traducteur et ami depuis de nombreuses années, Saadane Benbabaali. Beihdja n’hésite pas à se mettre en retrait pour laisser libre cours à leur expression artistique. Lors des représentations de fin d’année, elle n’intervient que lorsque c’est nécessaire, là où d’autres confisquent parfois le spectacle de leurs élèves. »
Beihdja Rahal a beau être aujourd’hui une référence, elle n’en est pas moins angoissée à l’idée de présenter son nouvel album, Nouba Raml El Maya 2, à son fidèle public. « J’ai presque plus le trac qu’il y a vingt ans. Mon public est devenu un spécialiste de la musique d’al-Andalus. Je n’ai pas le droit à l’erreur », livre-t-elle. Mais la reconnaissance est là, dans les salles combles. Rahal est aussi reconnue par le milieu culturel, puisqu’elle a reçu le prix Mahfoud Boucebci pour sa contribution à la sauvegarde du patrimoine musical andalou. Aujourd’hui, son travail est un engagement. « Bien sûr, je chante avec joie. Mais, au fil des années, ce plaisir est aussi devenu un devoir. »
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