Télévision : au-delà de Casa, Ahmed Belghiti élargit son audience

Fort de ses succès au Maroc, le PDG de Videorama prospecte désormais au sud du Sahara. Dans ses valises, des émissions taillées pour la télévision mais aussi pour internet.

Image172638.jpg © LOTFI RACHIDI

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Julien_Clemencot

Publié le 5 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Ces derniers mois, Ahmed Belghiti, PDG de Videorama (VDR), est intarissable sur l’évolution du marché ouest-africain de la télévision. Et pour cause, le producteur marocain s’est mis en tête de vendre le concept de l’émission Fort Boyard – tournée entre les îles d’Oléron et d’Aix et diffusée depuis vingt-cinq ans en France – dans les pays subsahariens. Ce natif de Casablanca est dopé par ses récents succès à domicile : début 2015, il a fait un carton avec une adaptation marocaine du jeu, renommée Jazirat Al Kanz (« l’île au trésor ») et diffusée sur la chaîne publique 2M. Elle a dépassé les 60 % de part d’audience, un score historique en dehors de la période du ramadan. « Ce que les Marocains ont aimé, c’est voir leurs stars préférées passer des épreuves, sauter dans le vide, avoir peur, se casser la gueule. Au sud du Sahara, ce sera la même chose », soutient le producteur.

Présent au Discop Africa d’Abidjan en juin, le fondateur de VDR a rencontré Damiano Malchiodi, patron de la chaîne A+ (groupe Canal+), Ahmadou Bakayoko, qui depuis son arrivée à la tête de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI) en 2013 redonne des couleurs aux chaînes publiques, sans oublier Fabrice Sawegnon, la tête pensante de Voodoo, une des premières agences de publicité du pays. « Je m’inscris dans le sillage du développement africain des grands groupes marocains. J’ai l’accord des banques [Attijariwafa Bank, BMCE, Banque populaire], qui sont prêtes à sponsoriser le programme, et je peux le fournir gratuitement aux télévisions qui n’ont pas l’argent pour se l’offrir », assure-t-il, conquérant. La production d’une saison, tournée en une dizaine de jours, mobilise environ 150 personnes pour un budget d’au moins 2 millions d’euros.

Ce fils de diplomate, petit-fils d’exploitant de salles de cinéma veut également s’implanter à Dubaï dès l’an prochain

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Si, sur le papier, la stratégie paraît imparable, ses tentatives pour convaincre RTI, TV5 Monde et Canal+ sont pour l’heure restées sans effet. Mais Ahmed Belghiti est loin de s’avouer vaincu. Il réfléchit actuellement à une version panafricaine de l’émission, qu’il proposerait à un pool de cinq ou six chaînes publiques subsahariennes. Et il ouvrira début 2016 un bureau de représentation à Abidjan. Ce fils de diplomate, petit-fils d’exploitant de salles de cinéma, qui a adapté avec succès dans son pays d’autres formats internationaux comme l’émission Un dîner presque parfait ou la sitcom Caméra café, veut également s’implanter à Dubaï dès l’an prochain. « Il y a 400 millions de téléspectateurs arabes et le marché de la production reste encore largement ouvert », estime l’homme d’affaires, persuadé que VDR peut rivaliser avec ses concurrents du Golfe.

Un patron ambitieux

En un peu plus de vingt-cinq ans, Ahmed Belghiti est devenu le premier producteur marocain. Sa société emploie 120 salariés et a réalisé l’an dernier 12 millions d’euros de chiffre d’affaires. Passées les difficultés des débuts, c’est grâce à la publicité que ce diplômé de l’université Paris-Dauphine, très marqué par sa jeunesse madrilène en pleine Movida espagnole, a prospéré. Volubile, jovial, son sens du contact et la qualité de ses réalisations lui ont permis de tisser des liens privilégiés avec les directions des plus grands annonceurs marocains comme Attijariwafa Bank, Centrale laitière ou Maroc Télécom.

Principalement actif dans le royaume, il travaille aussi en Tunisie et en Algérie, mais dans une moindre mesure. « En Tunisie, j’ai réalisé jusqu’à 2 millions d’euros par an de chiffre d’affaires, mais c’était avant la révolution [et la chute des investissements publicitaires]. En Algérie, le problème, c’est le rapatriement des bénéfices. Comme je ne projette pas d’acheter une villa à Alger, s’y développer n’est pas un objectif », justifie-t-il, pragmatique.

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Si la production de spots publicitaires représente aujourd’hui 70 % des revenus de VDR (en y ajoutant l’organisation de tournages pour des productions étrangères), ce n’est pas uniquement dans ce domaine qu’Ahmed Belghiti imagine le futur de son groupe. « C’est un passionné, qui cherche toujours à évoluer. Il regarde des films publicitaires jusqu’à 4 heures du matin, achète vingt bouquins par mois… Il a une soif permanente d’apprendre », confie Driss Bennani, ex-journaliste-vedette de la télévision marocaine et, depuis trois ans, producteur pour VDR.

Début octobre à Marrakech, lors de l’African Cristal Festival, qui célébrait le meilleur de la création publicitaire, l’homme d’affaires a présenté sa stratégie en se définissant comme un producteur 2.0. « L’idée est de bâtir un écosystème qui réunisse les émissions et les marques. Quand vous fédérez 6 millions de spectateurs, vous devenez un vendeur d’audience », explique-t-il. Un modèle qui va au-delà du placement de produit ou du sponsoring et qu’il entend étendre à internet. La production de programmes télé-visuels et numériques représente 30 % de son chiffre d’affaires et ne cesse de prendre de l’importance parmi ses activités.

En trois mois, Jazirat Al Kanz a totalisé 21 millions de vues sur YouTube. Une telle audience ne peut pas laisser les marques indifférentes, résume Ahmed Belghiti

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« Au Maroc, les jeunes ne regardent plus la télévision, elle est trop conventionnelle. Ils préfèrent les vidéos sur la Toile. Si on insère les meilleures séquences de nos émissions sur des sites d’annonceurs ou si on les associe d’une manière ou d’une autre, elles vont pouvoir décupler leur visibilité. En trois mois, Jazirat Al Kanz a totalisé 21 millions de vues sur YouTube. Une telle audience ne peut pas laisser les marques indifférentes », résume Ahmed Belghiti, qui se voit déjà multiplier le nombre de ses clients.

« Pour faire une campagne publicitaire qui touche 6 à 7 millions de personnes à la télévision, il faut dépenser plus de 500 000 euros. Sur internet, vous pouvez avoir le même impact avec 100 000 euros. Même les PME vont pouvoir y prétendre », assure-t-il. Des ambitions que le producteur, propriétaire de 100 % des parts de Videorama, se verrait bien partager avec un partenaire stratégique, quitte à ouvrir son capital. Havas, Vivendi, Lagardère ? Une fois n’est pas coutume, Ahmed Belghiti n’en dira pas plus.

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