Pourquoi les Congolais restent cash

Faiblesse des dépôts, manque d’agences bancaires, microfinance sous-développée… Malgré les mesures incitatives, peu d’habitants ouvrent un compte. Au grand désespoir de l’État de la RDC.

Image171886.jpg © GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR J.A.

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Publié le 5 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

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Ces dix dernières années, le secteur bancaire congolais a fait un grand bond en avant : une vingtaine d’établissements sont désormais présents dans le pays, contre une dizaine au début des années 2000, et le nombre de comptes est passé de 15 300 à 5 millions fin 2014. Un chiffre pourtant dérisoire au regard des 70 millions d’habitants que compte la RD Congo. Selon Michel Losembe, président de l’Association congolaise des banques (ACB), le taux de bancarisation n’est en effet que de 8 %, contre une moyenne de 24 % en Afrique subsaharienne et de 30 % en Afrique centrale.

Conséquence de cette faible bancarisation, le montant global des dépôts demeure lui aussi modeste : il s’élevait à 3,6 milliards de dollars (2,6 milliards d’euros) en 2013, soit environ 16 % du PIB, contre 90 millions de dollars en 2001. En outre, selon une étude du FMI publiée en 2014, la micro-finance reste elle aussi sous-développée. « À fin septembre 2013, souligne le rapport, le bilan du secteur de la microfinance était proche de 222 millions de dollars pour plus de 1 million de comptes ouverts, répartis à 60 % dans les coopératives d’épargne et de crédit et à 40 % pour les institutions de microfinance. »

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Marginal

Plusieurs mesures ont été prises pour encourager les Congolais à ouvrir un compte. L’État a donné un signal fort en bancarisant la paie des fonctionnaires et la solde des militaires. Lancée en juillet 2011, l’opération s’étend désormais à quelque 700 000 fonctionnaires. Quinze banques ont accepté, moyennant une contrepartie financière, d’assurer la distribution des salaires sur les comptes. L’impact de ce dispositif reste toutefois marginal, d’autant que ces paies ne font généralement que transiter par les banques, la plupart des fonctionnaires les retirant de leur compte dès qu’elles y ont été virées afin de faire face aux dépenses quotidiennes.

Quant aux services « classiques » comme les retraits d’espèces aux distributeurs automatiques et les opérations à distance (consultations de compte, transferts de fonds dans le pays et à l’étranger), proposés par la plupart des établissements, ils n’ont encore permis de convaincre que très peu de Congolais d’ouvrir un compte. D’où la nécessité d’innover pour faire évoluer les mentalités et les pratiques chez les particuliers comme chez les petits entrepreneurs, qui, très attachés aux espèces, continuent de thésauriser et de faire leurs transactions en liquide. Il s’agit aussi d’attirer les jeunes (sept Congolais sur dix ont moins de 25 ans).

L’un des avantages du mobile banking est qu’il permet de s’affranchir des contraintes géographiques et de sensibiliser les populations très attachées au cash et exclues du système bancaire

Un défi que la Banque centrale du Congo (BCC) et les banques commerciales comptent relever en s’appuyant sur la montée en puissance des technologies mobiles. En RD Congo, le nombre d’abonnements à un téléphone mobile était de plus de 37,3 millions fin 2014 (contre 11,6 millions en 2010), et celui des abonnements à l’internet mobile a dépassé les 6 millions (contre 650 000 en 2012), selon l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPTC).

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L’un des avantages du mobile banking est qu’il permet de s’affranchir des contraintes géographiques et de sensibiliser les populations très attachées au cash et exclues du système bancaire. L’immensité du territoire et ses nombreuses zones enclavées expliquent en partie que les agences se concentrent dans les chefs-lieux des provinces les plus faciles d’accès, où s’opèrent le plus de transactions commerciales (Kinshasa, Kongo-Central, Haut-Katanga, Haut-Lomami, Tshopo, Sud- et Nord-Kivu). « On ne peut pas s’implanter partout. Cela coûte cher et l’insécurité rend difficiles et dangereux les transferts de fonds, admet le patron d’une société de surveillance. Avec le mobile banking, ces contraintes sont diminuées. »

Les solutions de paiement et de transfert d’argent par mobile, seule « monnaie virtuelle » véritablement acceptée par les Congolais, se développent et permettent aux banques de capter une nouvelle clientèle. Plusieurs offres ont été lancées ces derniers mois, dont Orange Money, la solution de paiement mobile proposée par Orange en partenariat avec Bank of Africa ; Libiki, le premier service de microcrédit par téléphone, mis au point par Airtel et United Bank for Africa RDC ; ou encore le Pepele mobile, de la Trust Merchant Bank (TMB), qui, depuis juillet, permet de payer ou de recevoir de l’argent quel que soit l’opérateur mobile.

Zquity Bank a révolutionné la banque de détail dans son pays en nouant des partenariats avec les commerçants de proximité et en supprimant les minima de dépôt à l’ouverture de compte

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Autre avancée : le projet de monétique interbancaire. Lancé par la BCC en juillet, il va permettre d’interconnecter les opérations de paiement électronique et de retrait d’argent par carte d’ici à la fin de 2016. Il est financé par la Banque mondiale à hauteur de 3 millions de dollars et mis en place avec l’appui de l’américain Montran, spécialisé dans le transfert et le contrôle des paiements. Par ailleurs, l’abaissement du taux directeur de la BCC de 20 % à 2 % depuis 2012 vise à inciter les banques présentes en RD Congo à réduire elles aussi leurs taux d’intérêt et à développer le crédit.

L’arrivée d’Equity Bank devrait aussi changer la donne. Le géant kényan, adepte de la bancarisation de masse, a révolutionné la banque de détail dans son pays en nouant des partenariats avec les commerçants de proximité et en supprimant les minima de dépôt à l’ouverture de compte, ainsi que toutes les restrictions liées à la fréquence et au montant des retraits.

Il a obtenu le feu vert pour racheter 79 % du capital de ProCredit Bank Congo, septième banque de RD Congo par les actifs (200 millions de dollars, 170 000 clients). Avec son nouvel actionnaire majoritaire, l’établissement, qui avait déjà bouleversé les pratiques dans les années 2000 en s’implantant dans les quartiers populaires, devrait rapidement partir à la conquête d’une nouvelle clientèle, notamment les petites et très petites entreprises, et entraîner ses concurrents dans son sillage.

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