Brésil : Dilma Rousseff dans la nasse
Impopularité record (10 % d’opinions favorables), crise économique grave, scandales à répétition… La présidente n’a jamais été aussi proche du déclenchement d’une procédure de destitution.
Une mauvaise nouvelle, dit-on, n’arrive jamais seule. Pour Dilma Rousseff, la première est venue du Tribunal électoral suprême, qui estime qu’il existe des motifs suffisants pour enquêter sur ses comptes de campagne lors de sa réélection. La présidente a-t-elle bénéficié d’argent détourné par l’entreprise publique Petrobras ? Jusqu’à présent, elle n’est pas personnellement impliquée dans cet énorme scandale de corruption qui empoisonne la vie politique brésilienne depuis près d’un an, mais une quarantaine de responsables politiques y sont mouillés jusqu’au cou, au premier rang desquels João Vaccari, le trésorier du Parti des travailleurs (PT, au pouvoir), condamné à quinze ans de réclusion pour avoir servi d’intermédiaire lors du versement à sa formation de près de 1 million d’euros de pots-de-vin.
La seconde est venue de la Cour des comptes (le TCU), qui, dans son rapport annuel, a rejeté les comptes administratifs relatifs à l’année 2014 au motif qu’ils seraient entachés d’irrégularités. L’organe consultatif reproche à la présidente d’avoir eu recours à des pirouettes fiscales pour masquer un déficit budgétaire béant. Elle aurait ainsi fait supporter provisoirement aux banques le financement de divers programmes sociaux. A-t-elle maquillé les comptes ? Elle ne le nie pas, mais assume et accuse l’opposition de chercher à « provoquer un coup d’État », alors que les programmes en question ont permis de « sortir des millions de Brésiliens de la pauvreté ».
Des manipulations fiscales pour la bonne cause
Luiz Inácio Lula da Silva, son prédécesseur (2003-2010), a aussitôt volé à son secours. « Dilma n’avait pas d’argent pour faire ce qu’elle voulait. Elle a donc procédé à des manipulations fiscales pour financer la Bolsa Família (allocations familiales) et le programme Minha Casa Minha Vida (logements sociaux) », a-t-il expliqué lors du 1er Congrès national du mouvement des petits agriculteurs. Mais l’opposition n’en démord pas : rien, à ses yeux, ne justifie ce genre de pratique. Plusieurs demandes de destitution de la chef de l’État ont donc été déposées.
Cunha est accusé d’avoir créé de nouvelles règles pour déclencher une procédure de destitution sans les avoir au préalable soumises au vote des députés et des sénateurs
Eduardo Cunha, l’homme chargé de les examiner, n’est évidemment pas un inconnu. Président du Sénat, il est le plus farouche adversaire de Dilma Rousseff. C’est lui qui reçoit les demandes et décide de les soumettre ou non au vote des députés. Il s’apprêtait donc à déclencher une procédure de destitution après le rapport du TCU, quand il a été freiné dans son élan par trois juges du Tribunal électoral suprême, qui ont suspendu toute action jusqu’à ce qu’ils se soient prononcés sur le fond. Ils répondaient à la demande d’un député du PT, qui accuse Cunha d’avoir créé de nouvelles règles pour déclencher une procédure de destitution sans les avoir au préalable soumises au vote des députés et des sénateurs.
Cunha a fait appel de la décision, mais ira-t-il jusqu’au bout ? A-t-il vraiment intérêt à tenter coûte que coûte de destituer la présidente ? De son point de vue, n’est-il pas plus judicieux de la laisser s’enfoncer lentement dans d’inextricables difficultés afin de signer l’arrêt de mort du PT et d’écarter toute perspective d’un retour de Lula en politique ?
Eduardo Cunha veut-il la peau de Dilma Roussef ?
Pour l’analyste politique et universitaire Ricardo Ismael, si Cunha agite ainsi le spectre de la destitution de Rousseff, c’est surtout pour « détourner les projecteurs de sa propre personne ». Car cet évangélique ultraconservateur, farouchement hostile à l’avortement et favorable à l’abaissement à 16 ans de l’âge de la responsabilité pénale, est loin, très loin d’être un enfant de chœur. Il est notamment embourbé jusqu’au cou dans le scandale Petrobras : les magistrats le soupçonnent d’avoir touché un pot-de-vin de 5 millions d’euros dans le cadre d’un contrat de construction de navires-sondes.
Eduardo Cunha manifeste un goût immodéré pour les voitures de luxe. Il en possède huit, dont une Porsche Cayenne, toutes, semble-t-il, achetées avec de l’argent détourné
Chaque jour, les casseroles s’accumulent : une vraie batterie de cuisine ! On vient ainsi de découvrir que Cunha possédait un compte en Suisse dont le montant reste inconnu. Selon l’Agência Brasil, l’agence de presse gouvernementale, un procureur suisse aurait récemment transmis aux autorités brésiliennes les résultats d’une enquête concernant une opération de blanchiment dans laquelle il pourrait être impliqué. Et puis Eduardo Cunha manifeste un goût immodéré pour les voitures de luxe. Il en possède huit, dont une Porsche Cayenne, toutes, semble-t-il, achetées avec de l’argent détourné. Les véhicules sont enregistrés au nom d’une étrange société dont le nom est à lui seul tout un programme : Jesus.com.
Fragilisé par toutes ces affaires, Cunha n’en conserve pas moins une grande capacité de nuisance. Peut-il vraiment avoir la peau de Rousseff ? Pour échapper à la destitution, la présidente doit impérativement renforcer sa base parlementaire et réussir à canaliser le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), son imprévisible allié centriste, qui dispose de 66 sièges à l’Assemblée. Lors du dernier remaniement, le nombre des ministères est passé de 39 à 31. Le PMDB en dirige désormais 7 (au lieu de 6 précédemment), dont celui de la Santé, le mieux doté de tous.
Dilma a la force de se maintenir au pouvoir, mais pas celle de surmonter la crise, commente Ricardo Ismael
La vérité est que Rousseff n’est inconditionnellement soutenue que par le PT, bien sûr, et par le Parti social-libéral (PSL), un autre parti centriste. Mais à elles deux, ces formations ne disposent que de 63 députés sur 513. Trop peu pour gouverner et espérer éviter une procédure de destitution. À titre de comparaison, Lula était en son temps soutenu par douze partis et disposait d’une majorité de 355 sièges. « Dilma a la force de se maintenir au pouvoir, mais pas celle de surmonter la crise, commente Ricardo Ismael. De toute façon, même si elle réussit à éviter l’impeachment, cela ne réglera pas le grand problème du Brésil. »
Ce grand problème est évidemment la crise économique qui frappe de plein fouet le pays. Le Fonds monétaire international table cette année sur un recul de 3 % du PIB. Et de 1 % l’année prochaine. Si elle n’est pas destituée, Rousseff pourrait-elle, dans ces conditions, être contrainte de démissionner ? Beaucoup l’espèrent, mais ils se bercent sans doute d’illusions. La présidente ne manque en effet pas une occasion de le répéter : elle ira jusqu’au bout de son mandat.
Une procédure complexe
Selon la Constitution brésilienne, destituer un président est une procédure fort complexe. N’importe quel citoyen peut en faire la demande, mais pour qu’elle aboutisse il faut prouver que le chef de l’État a commis un délit.
C’est le président du Sénat qui reçoit les demandes, les analyse et, le cas échéant, décide de les soumettre au vote des députés. Pour que la procédure soit engagée, il faut que deux tiers de ces derniers (342 sur 513) y soient favorables. Dans cette hypothèse, une commission d’enquête est constituée, qui dispose de cent quatre-vingts jours pour étudier la demande.
Dans l’intervalle, le président cesse d’exercer ses fonctions. Si la commission estime que le chef de l’État est coupable, le dossier est transmis aux sénateurs. Il faut alors une majorité des deux tiers pour que la destitution soit adoptée. Le chef de l’État est alors inéligible pendant huit ans. Et il est remplacé par le vice-président.
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