Marche verte : les Erguibi, une histoire marocaine

Mohamed Abdelaziz, chef du Polisario depuis quarante ans, El Habib, le frère avocat séparatiste, Khalili, leur père, qui a servi au sein de l’armée royale… Histoire d’une famille sahraouie pas comme les autres.

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 9 novembre 2015 Lecture : 3 minutes.

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Maroc : que reste-t-il de la Marche verte ?

Le 6 novembre 1975, des milliers de Marocains franchissent la frontière du Sahara espagnol afin d’accélérer la « récupération » de la colonie par le royaume sans passer par un référendum d’autodétermination. Pour certains, l’histoire n’est pas terminée.

Sommaire

Illustration de l’extrême complexité du dossier de l’ex-Sahara occidental espagnol, en ce 6 novembre 1975 : alors que l’actuel président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Mohamed Abdelaziz, figurait dans le premier cercle des fondateurs du Polisario, son père, Khalili Erguibi, servait lui au sein des forces armées royales marocaines. Aujourd’hui, l’essentiel des frères et sœurs de Mohamed Abdelaziz (de son vrai nom Mohamed Erguibi), vit d’ailleurs au Maroc, loin des camps de réfugiés de la Hamada de Tindouf. Tout comme le patriarche, Khalili, 90 ans. Natif de Oued Sakia El Hamra au sein d’une famille de nomades Reguibat qui transhumait dans le nord-est du Sahara espagnol, il rejoint en 1958 les rangs de l’Armée de libération du Sud, qui mène une guérilla contre l’armée du général Franco.

Après l’échec de l’insurrection, il rejoint le sud du Maroc, où il est intégré dans l’armée. Suit une longue série d’affectations (Tan Tan, Chefchaouen, Kenitra, Marrakech, Kasba Tadla) jusqu’à la retraite, en 1977. Membre du Conseil royal consultatif des affaires sahariennes, décoré du Wissam Al Rida et bénéficiaire d’un agrément de transport par autobus pour la ligne Rabat-Essaouira, Khalili Erguibi vit aujourd’hui entre Kasba Tadla et Laayoune. Parmi ses quelque treize enfants, seuls trois vivent toujours dans les camps du Polisario : deux filles – Ghalia et Salma, toutes deux de nationalité algérienne – et, bien sûr, Mohamed.

Le patriarche a rejoint dès 1958 l'Armée de libération du Sud. © DR

Le patriarche a rejoint dès 1958 l'Armée de libération du Sud. © DR

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à Marrakech en août 1947, bachelier puis étudiant en médecine à Rabat jusqu’en 1973, ce dernier dirige à la fois la RASD et le Polisario depuis… quarante ans. Marié à la fille d’un ancien wali de Tindouf, Khadija Hamdi (actuelle ministre de la Culture de la RASD), Mohamed Abdelaziz est père de six enfants. L’un d’eux, Lahbib, est le chef de l’« Unité spéciale » (la garde présidentielle).

La cause indépendantiste intéresse peu le reste de la fratrie

Le reste de la fratrie réside paisiblement au Maroc (à l’exception de Moulay, le cadet, électricien en Espagne). Driss, 50 ans, est chirurgien au CHU Ibn Rochd de Casablanca. Mohamed Salem, 55 ans, travaille à la municipalité de Smara et préside l’ONG unioniste Scouts du Sahara marocain . En avril dernier, il a organisé un sit-in devant la représentation de l’ONU à Rabat pour exiger le départ des Casques bleus de la Minurso.

Mohamed Saïd, 48 ans, est ingénieur au Pachalik (circonscription administrative) de Kasba Tadla, où est également employé son cadet Mustapha, 42 ans, en tant que secrétaire. Ahmed, 53 ans, est administrateur provincial à Beni Mellal. Quant à leurs sœurs Asma (opticienne à Agadir), El Ouilda (femme au foyer à Laayoune), Fatimatou (employée communale à Smara) et Khadidjatou (couturière à Kasba Tadla), elles vivent à l’instar de la plupart des Marocaines : discrètement.

Cet ancien étudiant de la faculté de droit de Rabat a été emprisonné pendant quinze ans sous Hassan II, avant d’être libéré en 1991

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Outre Mohamed Abdelaziz, un seul des fils de Khalili Erguibi a embrassé la cause indépendantiste – « séparatiste », dit-on au Maroc. Signe que les temps ont bien changé dans le royaume, Mohamed El Habib Erguibi, 67 ans, exerce son métier d’avocat pro-Polisario et son activité de lobbyiste auprès des délégations étrangères en plein jour, depuis son cabinet de Laayoune. Il n’en a pas toujours été ainsi, puisque cet ancien étudiant de la faculté de droit de Rabat a été emprisonné pendant quinze ans sous Hassan II, avant d’être libéré en 1991, puis de bénéficier d’une indemnisation de la part du Conseil consultatif des droits de l’homme. Soutenu par les barreaux espagnols, il s’est depuis spécialisé dans la défense des jeunes sympathisants du Polisario. Sans être inquiété.

Jeune Afrique : No pasara !

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Le rendez-vous était pris, mais le Polisario en a décidé autrement. Jeune Afrique devait rencontrer Khalili Mohamed El Bechir Erguibi, père de Mohamed Abdelaziz, à Laayoune le 14 octobre, afin de recueillir son témoignage sur le 6 novembre 1975 – mais aussi de l’entendre, en toute pudeur, dérouler le fil de sa vie. Des membres de sa famille proche avaient donné leur accord, ainsi que l’intéressé. Las. Consulté par téléphone à Tindouf par l’un de ses frères sur l’opportunité de cette rencontre, Mohamed Abdelaziz lui-même s’y est, selon nos informations, catégoriquement opposé en tant qu’aîné de la fratrie.

Son père et lui ne se sont pas revus depuis quarante ans, mais le président de la RASD n’ignore évidemment rien des positions promarocaines du vieil homme. Sans doute ne souhaitait-il pas qu’elles soient réitérées. La porte de son domicile est donc restée close et il était évidemment hors de question, bien que Khalili Erguibi ne soit pas sous tutelle, de la forcer…

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