Burkina : Fatoumata et Gilbert Diendéré ou la fugitive et le paria
Même après la chute de Compaoré, leur mentor, ils continuaient à faire la pluie et le beau temps au Burkina. Mais, depuis le putsch manqué, « la colombe » s’est envolée et le général est aux arrêts.
Ils étaient au faîte de leur puissance, mais ne le savaient pas encore. Elle, Fatoumata Diendéré, née Diallo, toute de blanc vêtue. Lui, Gilbert Diendéré, costume gris, chemise blanche, cravate bleue – et non pas son habituel treillis. Le 9 août 2014, vingt-quatre ans après leur mariage civil, « la colombe et le soldat », ainsi que les a qualifiés le prêtre lors de la cérémonie, se sont unis devant Dieu et quelques intouchables de l’époque, dont François Compaoré, le frère et très influent conseiller de « Blaise ». La députée et le général aux multiples casquettes (chef d’état-major particulier du président, patron des services de renseignements et, à l’occasion, libérateur d’otages occidentaux) formaient alors le duo le plus en vue du pays après le couple présidentiel.
Un couple dans la tourmente
Aujourd’hui, ils sont entre le purgatoire et l’enfer. Elle, en exil au Togo, sous la menace d’un mandat d’arrêt international et du gel de ses avoirs. Après s’être cachée plusieurs jours à Ouagadougou, elle est arrivée à Lomé autour du 12 octobre. Lui, dans une chambre certes confortable (avec réfrigérateur et climatiseur) située au camp Paspanga, mais qui reste une prison de laquelle il ne peut sortir que pour se dégourdir les jambes ou se rendre dans le bureau d’un juge militaire.
S’il pensait que son honneur était sauf lorsqu’il s’est rendu aux autorités de la transition, le 1er octobre, deux semaines après avoir tenté de prendre le pouvoir dans des circonstances encore troubles, l’ex-bras droit de Blaise Compaoré se trompait. Le voilà visé par onze chefs d’inculpation : « attentat à la sûreté de l’État », « collusion avec des forces étrangères pour déstabiliser la sécurité intérieure », « meurtre » et même, ce qui laisse dubitatifs bien des observateurs, « crimes contre l’humanité ». Il sera aussi déchu de son titre de chevalier de la Légion d’honneur française. À la demande de François Hollande en personne.
Fatou, la volubile qui rêve de pouvoir, était aussi une figure de la révolution : cette jeune assistante de police faisait partie de l’encadrement des Colombes de la Révolution
Dure est la chute pour ce couple pétri d’ambitions, dont l’amour est né sous la révolution. Gilbert, le taiseux, était déjà au cœur du système. Fatou, la volubile qui rêve de pouvoir, était aussi une figure de la révolution : cette jeune assistante de police faisait partie de l’encadrement des Colombes de la Révolution et des Petits Chanteurs au poing levé, deux formations musicales chantant les louanges de l’œuvre sankariste.
Longtemps, ils ont été dans le camp des vainqueurs. Pendant que Diendéré, après la mort de Sankara – qu’on le soupçonne d’avoir orchestrée – devenait le numéro deux de Blaise, Fatou gravissait les échelons du CDP, le parti présidentiel. Elle fut maire d’un arrondissement de la capitale, puis députée du Passoré, la province de son époux.
Le rôle de Fatou
Même après la chute de Compaoré, il y a un an, ils se sont accrochés au pouvoir. Certes, Diendéré a perdu tous ses titres, mais il restait le vrai patron du régiment de sécurité présidentielle (RSP) et des renseignements, ainsi que l’interlocuteur privilégié, en matière de sécurité, des chancelleries occidentales. Quant à Fatou, elle avait pris un peu plus de poids encore au sein du CDP en y plaçant un intime, Eddie Komboïgo, à la présidence.
« Tous deux ont mis le CDP en coupe réglée, témoigne un de ses cadres. Fatou a tout fait pour que Komboïgo soit notre candidat. » Elle a même tenté de convaincre le Premier ministre, Isaac Zida, un jour où l’ancien protégé de son époux leur rendait visite dans leur ville de Yako, de revenir sur le code électoral qui allait les exclure des élections quelques semaines plus tard.
Même leur fils resté au pays est suspect. Ismaël Diendéré a été arrêté à l’aéroport de Ouaga alors qu’il tentait de rejoindre le Togo
Est-ce cet acharnement qui lui vaut, aujourd’hui, d’être dans le viseur de la justice et de Zida, ou a-t-elle joué un rôle plus actif ? Lorsque Gilbert négociait sa reddition, fin septembre, Zida s’était opposé à ce que son épouse et son fils soient exfiltrés vers le Togo. Faure Gnassingbé, qui avait été sollicité par le président Michel Kafando pour les accueillir, avait pourtant proposé d’envoyer un avion. Mais Zida avait été catégorique, sans pour autant fournir d’éléments : « Elle est impliquée dans le coup d’État. »
Même leur fils resté au pays (l’autre vit aux États-Unis) est suspect. Ismaël Diendéré a été arrêté à l’aéroport de Ouaga alors qu’il tentait de rejoindre le Togo, début octobre. Il a été entendu, puis relâché. Suspectée de complicité avec les putschistes, sa fiancée est, elle, toujours aux arrêts.
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