De Trudeau à Poutine
Je ne vous ai jamais parlé du Canada, parce qu’il n’était pas dans l’actualité. Il vient d’y faire irruption, et je pense que, désormais, nous allons avoir de bonnes raisons d’en parler.
Nous savons tous que le Canada est un grand pays d’Amérique du Nord, partiellement francophone, ouvert à l’immigration. Et nul n’ignore qu’il est marqué, économiquement, par son grand voisin du Sud : le mastodonte que sont les États-Unis.
Au Canada, le pouvoir a changé de mains lundi 19 octobre, de façon spectaculaire.
Et vous le verrez : ce changement nous ramène une fois de plus au Moyen-Orient.
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Gouvernés depuis plus de neuf ans par Stephen Harper, Premier ministre conservateur, les Canadiens ne se sont pas encore remis de l’humiliation qu’ils ont subie il y a cinq ans : candidat à un siège non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, leur pays a été supplanté, le 12 octobre 2010, par le Portugal.
Ottawa payait ainsi la rigidité et les outrances verbales de M. Harper : le pouvoir lui était monté à la tête et il n’avait plus d’adversaires à combattre, seulement des ennemis à détruire.
En 2012, il a décidé de rompre les relations diplomatiques avec l’Iran et de fermer l’ambassade du Canada à Téhéran. Il s’est mis à clamer haut et fort son islamophobie, tout en affichant un soutien sans nuance non pas à Israël, mais à la personne et à la politique de Benyamin Netanyahou.
Ce faisant, il s’est aliéné non seulement les adversaires israéliens de Netanyahou, mais aussi une bonne partie de la diaspora juive de son pays et des États-Unis.
Sur un autre plan, il s’est déclaré farouchement opposé à toute action digne de ce nom pour lutter contre le réchauffement climatique.
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M. Harper et son parti ont subi, ce 19 octobre, une déroute électorale qui les écarte complètement du pouvoir. M. Justin Trudeau, 43 ans, et le parti libéral qu’il dirige ont remporté la mise et détiennent la majorité au sein du Parlement.
Il s’agit d’une rupture avec le passé, d’une alternance politique qui va sortir le Canada de son isolement et lui permettre de réviser sa politique économique et sa politique étrangère.
À la prochaine conférence de Paris sur le climat, on s’apercevra que le Canada a changé de cap : Justin Trudeau jouera un rôle positif. On s’en aperçoit déjà au Moyen-Orient, où le Canada a décidé de cesser ses frappes aériennes – conjuguées à celles des États-Unis – en Syrie et en Irak.
Le 19 octobre, M. Netanyahou a perdu le plus inconditionnel et le plus bruyant de ses alliés.
Nous voici ramenés au Moyen-Orient, où la question du moment est celle-ci : Quel est le dirigeant politique le plus actif, celui dont l’action risque de changer la carte de la région ?
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Il n’est ni arabe, ni israélien, ni turc, ni iranien, et n’est pas américain non plus.
De l’avis de tous les connaisseurs, il est russe et a pour nom Vladimir Poutine. On l’a vu recevoir, mardi 20 octobre, à Moscou, son protégé, Bachar al-Assad, visiblement mal à l’aise, car convoqué par l’homme tout-puissant qui le soutient comme la corde soutient le pendu.
Bachar al-Assad n’avait pas quitté sa capitale, Damas, depuis que la guerre civile y a éclaté, il y a plus de quatre ans. Son voyage de quelques heures à Moscou est donc un événement.
Après l’avoir reçu, le chef du Kremlin, jouant le rôle laissé vacant par le président des États-Unis et que ne peuvent plus jouer les Anglais et les Français, a passé des heures au téléphone avec les principaux dirigeants politiques de la région. Le roi d’Arabie saoudite, le président de l’Égypte, celui de la Turquie, celui de l’Iran et enfin le roi de Jordanie ont ainsi entendu son compte rendu des entretiens qu’il a eus avec Bachar al-Assad.
Il les a également informés des résultats militaires des bombardements russes : plus de 500 frappes depuis le 30 septembre, qui ont permis de desserrer l’étau autour de ce qui reste de l’armée d’Assad et du territoire exigu que lui et ses troupes contrôlent encore.
C’est pour demander à Assad de se préparer à une issue politique que le maître du Kremlin l’a fait sortir de sa capitale et se montrer à Moscou auprès de l’homme qui, l’ayant sauvé, le tient à sa merci.
Le voyage de Bachar al-Assad à Moscou et les explications que Poutine et son ministre des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, en ont donné dès le lendemain indiquent que la Russie a donné le départ de l’étape politique.
Mais s’agit-il, cette fois-ci, du « bon départ » ?
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Qui est ce Vladimir Poutine, allié de l’Iran et dont l’aviation pilonne depuis près d’un mois les insurgés syriens ? Faut-il le croire lorsqu’il prétend faire la guerre pour favoriser une solution politique ?
En Occident, il a mauvaise presse et l’on a tendance à voir en lui le diable.
Mais un journaliste allemand, Hubert Seipel, publie une biographie du président russe, fondée principalement sur de nombreux entretiens avec lui. Dans une interview à un magazine suisse, L’Hebdo, il nous donne de Vladimir Poutine une image différente et qui, à mes oreilles, sonne juste :
« Pour Poutine, le président syrien est un pion important, utile. La Russie le soutiendra jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée.
Poutine m’a dit, il y a trois ans : « Je ne tiens pas personnellement à Assad. »
Ce qui compte surtout pour Poutine, c’est qu’on n’ait pas, avec la Syrie, un nouvel Irak, une nouvelle Libye.
En 2012 déjà, Poutine avait proposé de former un gouvernement de transition comprenant le régime Assad et l’opposition. Avant que, dans un deuxième temps, Assad s’en aille. Mais, à l’époque, les États-Unis et l’Arabie saoudite insistaient pour un départ immédiat du dictateur. »
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Hubert Seipel donne sa propre conclusion en quatre points. Qui ne veut pas se tromper sur Vladimir Poutine doit les prendre en considération :
1- En Syrie, il n’y aura pas de solution sans Moscou. Qu’on le veuille ou non, la Russie sera le principal interlocuteur de l’Occident.
2- Sans l’Ukraine, la Russie n’est plus une grande puissance. Et cela, Poutine ne saurait le permettre.
3- À la différence d’autres membres de l’élite du pouvoir moscovite, Poutine n’a pas fait une croix sur l’Europe. Il tient à l’Europe.
4- Il m’a dit : « Je dois être ce que mon peuple attend que je sois. Après tout, je ne suis pas candidat au poste de chancelier de l’Allemagne. »
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