France : les Maliens de Montreuil… entre les difficultés d’ici et d’ailleurs

Ils sont entre 6 000 et 10 000, pour la plupart soninkés, à vivre à Montreuil, en banlieue parisienne. Leur plus grande fierté ? Envoyer des fonds au pays. Et surtout, y construire une maison.

Dans une chambre du foyer Rochebrune, à Montreuil. © ANISSA MICHALON

Dans une chambre du foyer Rochebrune, à Montreuil. © ANISSA MICHALON

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Publié le 19 novembre 2015 Lecture : 5 minutes.

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«Vous êtes ici chez vous, vous faites ce pays, et en même temps vous participez au développement du Mali. Montreuil vous appartient, au même titre que Kayes ou Bamako, vous travaillez ici, vous construisez là-bas, vous êtes chez vous ici et là-bas », s’enflamme Djeneba Keïta, l’adjointe au maire chargée du développement économique. Derrière elle, assis sur un banc, à côté de hauts représentants soninkés et d’un marabout, Patrice Bessac, le maire, flanqué de son écharpe tricolore, applaudit en opinant. Et ajoute : « J’ai vu lors de mon récent séjour à Kayes tout ce que vous faites là-bas, vous pouvez être fiers de vous, nous aussi, nous avons besoin de vous ! »

À Montreuil, les Français d’origine malienne sont plus chouchoutés qu’ailleurs. Entre 6 000 et 10 000 d’entre eux, sur les 57 000 que compte l’Hexagone, habiteraient cette agglomération de banlieue parisienne que l’on surnomme « la deuxième ville du Mali », soit un peu plus de 10 % de la diaspora. Le 17 octobre, ils sont venus par centaines, vêtus pour certains de grands boubous soyeux, retrouver des « copains du village » dans la grande salle Art déco de l’hôtel de ville, lors d’une fête soninkée, l’ethnie la plus représentée au sein de la communauté malienne de France.

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Pour beaucoup, les fêtes de Montreuil sont l’occasion de se « rappeler le pays », de discuter, aussi, des difficultés du moment. Comme l’insécurité grandissante dans le Nord malgré les opérations militaires, qui complique l’envoi de fonds pour achever la construction d’une maison ou soutenir financièrement un clan. « Depuis quelques années, les Maliens de France sont de plus en plus angoissés à l’idée de voir leur argent détourné, explique l’adjointe au maire. Ce phénomène se produit notamment lors des transferts de fonds, via Western Union par exemple, lorsque des individus, profitant du fait que certains noms sont très répandus, usurpent des identités pour empocher l’argent à l’arrivée. Autre phénomène inquiétant : les coupeurs de route, de plus en plus nombreux sur l’axe Bamako-Kayes. »

Des projets au Mali

Diara Bougary a quitté son village natal de Tambakara au début des années 2000, et vit depuis au foyer Félix-Faure d’Aubervilliers, où il partage avec les derniers arrivés un quotidien modeste. Chaque mois, comme tous ses « voisins », il envoie de l’argent au pays. Mais, afin d’éviter de payer des commissions trop élevées, il préfère faire parvenir ses économies en recourant à ce qu’il appelle « le système malien ». Ceux qui rentrent au pays jouent les porteurs de valises pour les autres. Non sans difficultés ! Il faut passer le barrage des douaniers français et maliens, qui interceptent parfois des liasses de billets dissimulées et rarement déclarées.

Lorsque l’intermédiaire est passé entre les mailles du filet, il doit rejoindre le village sans se faire détrousser. Pour atteindre Kayes, la route est longue – 400 km en six ou huit heures – et bien souvent déserte. « Il y a trois mois, avec plusieurs collègues du foyer, on avait envoyé plus de 15 000 euros. Quelqu’un a dû récupérer le fax par lequel on avertissait nos parents. Quand notre intermédiaire est arrivé à Bamako, il a pris une voiture pour Kayes. Des bandits lui ont coupé la route et l’ont rançonné. On a tout perdu. »

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Diara est ouvrier dans une usine d’encre d’imprimerie. Son salaire mensuel ne dépasse pas les 1 300 euros. Chaque mois, il en envoie entre 200 et 400 à sa famille. La moitié est consacrée à l’achat de nourriture, le reste va à la construction d’une « maison en dur ». D’après la photo qu’il nous montre, celle-ci est loin d’être terminée. « Avec la guerre et l’insécurité, ce n’est pas facile. Mais on n’a pas le choix, pour nous les Soninkés, c’est plus qu’une obligation, c’est un devoir », confie-t-il.

Je fais construire une maison de deux étages à Bamako, du côté de la route de Guinée, après le quartier ACI-2000, tout près de chez le président IBK, précise Sékou, un brin de malice dans le regard

Sékou Bathily fait partie de l’association Les amis de Bada, qui a organisé la fête soninkée de Montreuil. Ce garçon lumineux et toujours souriant a longtemps travaillé au « black » dans les cuisines d’un restaurant parisien avant de suivre une formation de technicien d’ascenseur et de pouvoir vivre décemment. Dans son nouvel appartement de 40 m2 qu’il loue (« sans aide de l’État », précise-t-il), situé dans la commune voisine de Romainville, sur un long boulevard pluvieux et triste, Sékou se dit privilégié. « Dans la communauté, je suis un de ceux qui gagnent le mieux leur vie », explique-t-il. Aujourd’hui, grâce à un salaire mensuel avoisinant les 2 400 euros net, Sékou mène de front deux projets. Le premier, c’est la construction d’une maison commencée il y a vingt ans au village, près de Kayes. Sa mère, veuve, un vieil oncle, sa première femme et ses cinq enfants y habitent déjà, même « s’il n’y a pas encore tout le confort », avoue-t-il. Le second projet est un « investissement personnel ».

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« Je fais construire une maison de deux étages à Bamako, du côté de la route de Guinée, après le quartier ACI-2000, tout près de chez le président IBK », précise-t-il, un brin de malice dans le regard. « Au plus fort de la crise, on avait de la peine à faire parvenir l’argent, les banques fonctionnaient mal et personne ne voulait rentrer au pays. Comme il y avait pénurie de matériaux, le prix du sac de ciment avait explosé. Les ouvriers ont fini par demander à être payés davantage parce que c’est devenu risqué, etc. Bref, tout le monde prend sa commission, et ça fait deux ou trois ans qu’on galère un peu. Dans ce climat dégradé, quand les gens sont dans le besoin, il y en a qui sont prêts à voler leur propre cousin. »

La maison que je construis, j’ai pas les fenêtres, il me manque le toit, mais le plus dur est fait. Même si pour le moment ce sont les bêtes qui en profitent, ironise Traore Madimakan

L’ethnophotographe Anissa Michalon suit depuis dix ans le cheminement de migrants du foyer Rochebrune de Montreuil. Elle a fait à diverses reprises le voyage avec eux jusqu’au village pour découvrir ces fameuses « maisons » et tenter de « capter leur âme ». « Ces villas symbolisent une réussite personnelle, analyse-t-elle. Elles s’élèvent sur plusieurs étages dans un style parfois ostentatoire. Parce qu’elles sont le fruit d’immenses sacrifices, leurs propriétaires suivent de près, et parfois avec inquiétude, les étapes de leur construction, qui peut prendre des décennies. Pour eux, ces maisons sont le but de toute une vie. »

Dans la salle de réception de l’hôtel de ville de Montreuil, après les discours, réunis autour d’un plat de riz au gras et d’une « boisson gazeuse », ceux qui sont venus pour se retrouver préfèrent relativiser. « La maison que je construis, j’ai pas les fenêtres, il me manque le toit, mais le plus dur est fait. Même si pour le moment ce sont les bêtes qui en profitent », ironise Traore Madimakan, qui, arrivé en France en 2009, travaille comme agent de propreté dans le métro. Il ne cache pas son inquiétude, mais conclut, philosophe : « Petit à petit, l’oiseau fait son nid. »

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