Les Républicains : la révolte des barons

Nicolas Sarkozy a reconquis son parti, lui a donné un nouveau nom – Les Républicains -et tente de le mettre en ordre de bataille pour la présidentielle de 2017. Mais il a bien du mal à asseoir son autorité. Du coup, ses ex-vassaux se sentent pousser des ailes.

Juppé, Sarkozy, Fillon, Le Maire et les autres. Meeting pour les élections régionales,le 27 septembre, près de Paris. © WITT/SIPA

Juppé, Sarkozy, Fillon, Le Maire et les autres. Meeting pour les élections régionales,le 27 septembre, près de Paris. © WITT/SIPA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 9 novembre 2015 Lecture : 6 minutes.

Ambiance pesante chez Les Républicains (LR, ex-UMP) ! Le grand parti de la droite française devrait pourtant se réjouir de sa victoire annoncée par tous les instituts de sondage aux élections régionales du mois de décembre. Ce qui le tourneboule, ce n’est pas que la gauche puisse, le cas échéant, conserver trois régions sur les treize mises en jeu. Ni même que l’extrême droite réussisse à en remporter une, voire deux. Non, la seule cause de son mal-être, c’est la présidentielle de 2017. Un an et demi avant l’échéance, les hostilités sont ouvertes entre les postulants, déclarés ou non, à la primaire, qui, en 2016, désignera le candidat du parti à la présidence de la République.

« Normal, analyse le sénateur Roger Karoutchi, un proche de Nicolas Sarkozy, le président des Républicains. Nous savons tous que la gauche sera hors jeu et que le second tour de la présidentielle se jouera entre Marine Le Pen et la personnalité désignée par notre primaire. Et que celle-ci l’emportera forcément. Cet enjeu explique qu’il y ait des moments d’énervement. »

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Pourtant, officiellement, tout va bien. « Sarkozy manage plutôt bien le parti, commente Hervé Gaymard, député de Savoie et homme lige d’Alain Juppé, le favori des sondages. La commission chargée de préparer la primaire fait du bon travail. Après les succès des municipales et des départementales, la large union LR-UDI-MoDem devrait nous permettre de prolonger cette stratégie gagnante lors des régionales. »

Juppé en tête des sondages

Sur le papier, tout se déroule donc conformément aux vœux de l’ancien président de la République. Il a repris le gouvernail de l’UMP, pacifié le parti, gagné les départementales… Bref, il s’est calmé. « Je suis devenu un vrai toutou ! » blague-t-il. Il entend déclarer sa candidature à la primaire le plus tard possible afin d’apparaître comme le patron incontesté qui aura permis à son parti de renouer avec la victoire. Il se veut rassembleur et tente de faire passer ses concurrents pour des diviseurs.

Bien qu’il ne soit encore candidat à rien, ses équipes travaillent d’arrache-pied sous la houlette d’Éric Woerth, député de l’Oise, et de Sébastien Proto, associé-gérant de Rothschild & Cie, pour lui fournir idées et programme.

L’ancien chef de l’État est donné botte à botte avec Alain Juppé au premier tour de la primaire et battu au second

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Pourtant, la mayonnaise a du mal à prendre. Sarkozy avait prévu que le nombre des adhérents passerait de 200 000 à la fin de 2014 à 300 000 à la fin de l’année suivante. Or les mauvaises langues susurrent que les renouvellements d’adhésion patinent. « Sarkozy avait mis la barre très haut, mais je ne suis pas inquiet, tempère Karoutchi. L’approche de la présidentielle et des votes internes provoquera une vague d’adhésions. »

Peut-être, mais les sondages non plus ne sont pas bons. L’ancien chef de l’État est donné botte à botte avec Alain Juppé au premier tour de la primaire et battu au second. L’étude du cabinet Elabe publiée par L’Opinion du 12 octobre fait apparaître qu’il l’emporterait au premier tour avec 42,9 % des suffrages, contre 34,7 %, mais que si l’on prend aussi en compte les personnes moins sûres d’aller voter, Juppé serait en tête, avec 41 % des voix, contre 33,6 %.

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Sont-ce les « affaires » (Bygmalion, sondages de l’Élysée, trafic d’influence dans l’affaire Bettencourt) qui nuisent au président des Républicains ? « Non, répond Bernard Sananès, président d’Elabe, elles n’ont pas d’impact sur le cœur de son électorat, qui l’estime victime d’un acharnement judiciaire. En revanche, au-delà de son noyau dur, sa personnalité fait l’objet d’un rejet, et sa surexposition médiatique l’use. Il est frappant que Juppé, qui communique avec retenue, se renforce mois après mois. »

Les « moments d’énervement »

La multiplication des candidats à la primaire confirme la perte d’autorité de Sarkozy. Ils sont déjà six prétendants déclarés : Alain Juppé, François Fillon, Xavier Bertrand, Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson (Parti -chrétien-démocrate) et Nadine Morano. Deux sont attendus : Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire. Et deux hésitent : Nathalie Kosciusko-Morizet et Christian Estrosi. Même si le tandem Sarkozy-Juppé distance largement ses concurrents dans les intentions de vote, tous ont mis en route des groupes de travail, sillonnent la France, publient des livres et affinent leurs programmes. Mais il existe une différence notable entre Sarkozy, qui joue ostensiblement la carte des adhérents LR, et ses challengers, qui visent l’électorat plus large de la primaire ouverte et soupçonnent leur concurrent de vouloir la saboter. D’où la multiplication des « moments d’énervement » dont parle Karoutchi.

Sarkozy a jugé le nombre de bureaux de vote trop élevé pour les capacités d’organisation du parti. Tous les autres y ont vu une manœuvre pour réduire le poids des électeurs non encartés, censés leur être plus favorables

Premier « moment d’énervement » : le nombre des bureaux de vote. Sarkozy a jugé ce nombre trop élevé pour les capacités d’organisation du parti. Tous les autres y ont vu une manœuvre pour réduire le poids des électeurs non encartés, censés leur être plus favorables. Le président LR n’en a plus parlé. « Il reviendra peut-être à la charge en prétendant que le coût de la primaire est trop élevé pour que le parti puisse donner sa caution au prêt nécessaire », se méfie le lieutenant d’un de ses adversaires.

Le deuxième ? Les questionnaires que le président fait remplir aux adhérents, sur l’immigration par exemple, histoire de mettre ses adversaires – et notamment le réformiste Alain Juppé, partisan d’une « identité heureuse » – en contradiction avec la base du parti, beaucoup plus dure.

Le troisième ? La volonté de Sarkozy de contraindre tous les candidats à la primaire à souscrire à un « projet d’alternance » qui les engage. Comme un seul homme, Juppé, Fillon et Le Maire ont dit qu’ils étaient d’accord pour un « socle » commun de valeurs, mais qu’il était hors de question de se lier les mains. Depuis, le projet a été mis en sourdine.

Il a ouvert un nouveau « front » en proposant que les investitures pour les législatives de 2017 soient accordées au cours de l’été 2016, c’est-à-dire avant la primaire

Mais Sarkozy n’est pas homme à renoncer au premier vent contraire. Il a donc ouvert un nouveau « front » en proposant que les investitures pour les législatives de 2017 soient accordées au cours de l’été 2016, c’est-à-dire avant la primaire. Hurlements de ses concurrents, qui le soupçonnent de vouloir faire pression sur les candidats à l’investiture : « Si vous voulez être autorisé à concourir, déclarez-vous en ma faveur pour la primaire. » Rien n’est tranché, mais les couteaux sont sortis.

Gageons qu’en janvier l’élection des présidents des fédérations LR donnera lieu à un nouveau bras de fer. Et que la méfiance au sein de la droite durera jusqu’à la primaire. « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. De mes ennemis, je me charge ! » Ce propos désabusé est attribué à Voltaire. Il reste plus que jamais d’actualité.

Primaires « ouvertes », oui, mais à qui ?

L ‘élection primaire de la droite et du centre (Les Républicains, UDI et MoDem) sera organisée les 20 et 27 novembre 2016 afin de désigner un candidat unique à l’élection présidentielle de 2017. Conçue sur le modèle américain, elle est dite « ouverte » à tous les Français, car elle ne sera pas réservée aux adhérents des partis qui l’organisent.

Conditions pour être candidat : être parrainé au moins par 20 parlementaires, 250 élus locaux et 2 500 adhérents de partis. Les candidatures seront validées par la haute autorité chargée de l’organisation du scrutin. Date d’ouverture de la campagne électorale : septembre 2016.

Conditions pour être électeur : être inscrit sur les listes électorales que le ministre de l’Intérieur a promis de fournir pour l’occasion, acquitter la somme de 2 euros et signer un manifeste proclamant les valeurs de la droite et du centre.

Où voter : 9 446 bureaux de vote, plus 500 dans les zones très rurales, seront ouverts dans des lieux publics (salles municipales, cantines scolaires, gymnases, etc.) aux heures habituelles d’ouverture lors des élections classiques. Pour mémoire : la première primaire « ouverte » organisée en France – elle avait désigné François Hollande comme candidat socialiste à la présidentielle de 2012 – l’avait été dans 9 595 lieux de vote et avait attiré 2,9 millions de votants. À droite, les plus optimistes escomptent que cette nouvelle consultation intéressera 3 millions d’électeurs.

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