Maroc : requiem pour l’Union socialiste des forces populaires
Déconnectée du peuple, devenue un parti de notables, l’Union socialiste des forces populaires a vu son influence réduire comme peau de chagrin. Et n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Sinistrée, la gauche marocaine, à l’issue des élections locales de début septembre. Rabat, Casablanca, Agadir et Tanger, les places fortes tenues pendant des années par l’Union socialiste des forces populaires (USFP), sont tombées, et les lambeaux de cette – jadis – grande armée ont dû se replier sur les campagnes et le Sud. Celle qui fut la première force politique du pays après les législatives de 1997 a été reléguée, dix-huit ans plus tard, au sixième rang sur le plan local et au huitième au sein de la deuxième chambre. Le parti des grands combattants de l’indépendance et de la démocratie, Abderrahim Bouabid, Omar Benjelloun ou Mehdi Ben Barka, ne mobilise plus.
La défaite des élections locales, une nouvelle étape de la retraite du parti
En conflit avec son état-major, dirigé depuis 2012 par l’autoritaire Driss Lachgar, des barons, rassemblés dans le courant Ouverture et Démocratie, de feu Ahmed Zaïdi, avaient annoncé, dès le 21 février 2015, leur défection. « L’USFP n’est plus que l’ombre d’elle-même, on y trouve des gens qui n’ont rien à y faire, et, après avoir porté les revendications démocratiques du peuple pendant des décennies, elle se signale par son absence de proposition. On ne se reconnaît plus dans ce parti », constate, amer, Tariq Kabbage, qui, bien qu’ayant rejoint Ouverture et Démocratie en avril, a fait les frais de l’inexorable recul socialiste en perdant sa mairie d’Agadir au profit des islamistes. Les troupes de base ont été elles aussi décimées, le parti ayant perdu des milliers d’adhérents. Faute de militants bénévoles, il doit maintenant recruter contre rémunération les animateurs de ses campagnes.
Le rôle même de fer de lance de l’opposition tenu par l’USFP depuis sa création en 1975, est aujourd’hui revendiqué par le PAM
Car la déroute de septembre n’est qu’une nouvelle étape de la grande retraite amorcée en 2002, quand l’USFP, bien que conservant sa prééminence, perdait sept sièges aux élections législatives. En 2007, douze nouveaux fauteuils lui étaient ravis, et, si elle en a regagné un en 2011, les élections locales de 2009 avaient confirmé l’anémie croissante de ses forces, aujourd’hui moins populaires que jamais. La récente défaite augure-telle une bérézina aux législatives de 2016 ?
Côté médias, la nouvelle victoire des islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) aux élections des conseils régionaux et celle du Parti Authenticité et Modernité (PAM) aux communales ont focalisé l’attention. La débâcle de l’USFP, peu commentée, semblait aller de soi. Le rôle même de fer de lance de l’opposition tenu par l’USFP depuis sa création, en 1975, si l’on excepte la parenthèse de son « gouvernement de l’alternance » (1998-2002), est aujourd’hui revendiqué par le PAM.
Je ne démissionnerai pas. L’USFP a évacué les contestataires qui entravaient sa marche, a annoncé Driss Lachgar au lendemain des résultats
Refusant d’assumer l’échec de son parti, son secrétaire général, Driss Lachgar, tempêtait au lendemain de l’annonce des résultats : « Je ne démissionnerai pas. L’USFP a évacué les contestataires qui entravaient sa marche. » Et d’attribuer le mauvais score de son parti à « la falsification des échéances électorales à travers la corruption, l’achat des voix et des candidats ». « Nous refusons les lamentations a posteriori », a répliqué le roi Mohammed VI dans son discours d’ouverture de la session parlementaire, le 9 octobre. « Derrière cette accusation lancée aux autorités, il faut surtout entendre le reproche que Lachgar leur adresse de ne pas l’avoir favorisé », suggère Kabbage.
La présence remarquée de l’ancien leader de l’USFP et Premier ministre entre 1998 et 2002, Abderrahmane el-Youssoufi, à la table du déjeuner offert le 20 septembre par le roi au président français en visite à Tanger lui avait-elle laissé cet espoir ? Si Lachgar nourrissait l’ambition de devenir le prochain chef de gouvernement socialiste du Maroc, les dernières élections lui ont signifié qu’il restera sur sa faim. Aussi opportuniste qu’autoritaire, le chef du parti de la rose concentre sur lui les critiques des déçus et des dissidents. « La crise date d’il y a plusieurs années, et Lachgar n’a fait que l’aggraver, explique Kabbage. N’écoutant pas les avis des militants, les empêchant même de s’exprimer, il a jeté dans la clandestinité les courants affichant des opinions divergentes. Depuis son élection, en 2012, le parti de la démocratie est géré d’une manière qui relève de l’antidémocratie ! »
L’USFP, un parti de notables ?
Ancien président de la Fondation Abderrahim-Bouabid, un think tank proche de l’USFP, l’universitaire et intellectuel Larabi Jaïdi dresse un constat similaire : « Le dernier congrès de 2012 n’a pas permis que les différents courants soient représentés, et les dissensions internes n’ont fait que s’accentuer. La nouvelle direction a fait muter ce parti de militants en un parti de notables, un calcul à court terme qui lui a fait conserver ou gagner quelques sièges, mais qui dénature l’ADN de l’USFP et assure sa décadence à long terme si le parti ne se renouvelle pas. »
Reprenant les méthodes qui avaient réussi aux mouvements jadis dénoncés comme des « partis de l’administration » pour leur proximité avec le pouvoir royal (comme le Rassemblement national des indépendants, RNI, ou le PAM), la formation socialiste a attiré propriétaires fonciers, patrons ou hommes d’affaires susceptibles, par leurs réseaux clientélistes, de remporter des victoires locales.
« Cela explique que l’USFP se soit maintenue dans les campagnes, où il est plus facile pour ces notables de « convaincre » les électeurs, explique notre collaborateur Hamid Barrada, qui fut aussi un ardent militant de gauche. Il s’agit d’un phénomène général dû à l’émergence d’une nouvelle élite socio-économique au Maroc. Le multimillionnaire Faouzi Chaabi n’a-t-il pas été élu en 2003 sous l’étiquette des ex-marxistes du Parti du progrès et du socialisme (PPS) ? Une grande partie de la gauche y a perdu son âme. »
Contre la position, qui perdure chez certains radicaux, de vouloir changer le système avant d’y participer, l’USFP a fait, en 1975, le « choix démocratique » de participer au système pour le changer de l’intérieur.
Le calcul faustien pourrait se révéler risqué pour l’USFP, car ces notables choisissent telle ou telle force politique en fonction de leurs intérêts et de leurs ambitions, et le flétrissement inexorable du parti de la rose le rend beaucoup moins attrayant. Délaissé par les militants, il s’expose à voir bientôt ses mercenaires lui tourner le dos.
Mais pour Barrada comme pour Kabbage et Jaïdi, la principale erreur tactique de l’USFP a résidé dans sa gestion de la participation au pouvoir, après la grande victoire de 1997 qui a amené Abderrahmane el-Youssoufi à la tête du gouvernement. Contre la position, qui perdure chez certains radicaux, de vouloir changer le système avant d’y participer, l’USFP a fait, en 1975, le « choix démocratique » de participer au système pour le changer de l’intérieur. « L’erreur n’a pas été la participation de l’USFP au pouvoir de 1998 à 2007, mais la gestion de cette participation, analyse Larabi Jaïdi.
Habituée à se voir confier des maroquins, la direction est devenue autiste, bien au chaud dans ses pantoufles, et les grands projets positifs lancés sous le gouvernement Youssoufi ont été récupérés et détournés, explique Kabbage
Le parti n’a pas su gérer la proximité avec le peuple qui le caractérisait jusqu’alors, considérant que celui-ci lui était acquis. Occupé à réussir sa gestion gouvernementale « par le haut », il s’est déconnecté du bas de la société. Et l’islam politique, victorieux aujourd’hui, a eu l’intelligence de venir occuper ce vide sur le terrain. Il a, enfin, mal géré sa communication sur ce qu’il a alors réussi de positif. » Kabbage estime pour sa part que le parti, arrivé premier aux législatives de 2002 mais en fort recul par rapport à 1997, n’aurait pas dû accepter de prolonger sa participation au gouvernement jusqu’en 2007 : « Habituée à se voir confier des maroquins, la direction est devenue autiste, bien au chaud dans ses pantoufles, et les grands projets positifs lancés sous le gouvernement Youssoufi ont été récupérés et détournés. Le problème de fond de l’habitat a ainsi fini par ne servir que les intérêts des investisseurs immobiliers… »
Triomphant depuis 2011, le PJD semble avoir tiré les leçons des échecs de ses rivaux de gauche. Bien moins réformateurs que les socialistes, les islamistes ont su renforcer leur position dans la société en y conservant leurs relais et en maintenant, par la voix du charismatique Premier ministre Abdelilah Benkirane, leurs capacités de communication. Se proclamant réformateurs contre les conservatismes, éthiques contre la corruption des élites et démocrates contre l’autoritarisme, le PJD a fini par s’approprier le discours qui avait été celui de l’USFP. Et cette dernière, devenue « un parti d’apparatchiks qui ne se bat plus que pour ses sièges », selon les mots de Jaïdi, n’est plus crédible quand elle déploie cette rhétorique. « Ce qu’il manque à l’USFP, poursuit l’universitaire, c’est une capacité à repenser ses valeurs, et, pour cela, elle doit se réconcilier avec les intellectuels de gauche qui scrutent la société et sont à même de lui apporter des idées neuves et percutantes. »
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