Sénégal : la « diplomacky » sans tambour ni trompette

Sans doute était-il, à ses débuts, peu porté sur l’international, mais le chef de l’État a compris le bénéfice qu’il pouvait en retirer. Il s’est lancé dans un intense lobbying diplomatique récompensé, mi-octobre, par une place au Conseil de sécurité.

Les couples Obama et Sall, en juin 2013 à Dakar. © DOUG MILLS/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

Les couples Obama et Sall, en juin 2013 à Dakar. © DOUG MILLS/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

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Publié le 16 novembre 2015 Lecture : 6 minutes.

Les dates ont parfois leur importance. Le 15 octobre 1987, le Sénégal d’Abdou Diouf était élu, pour la deuxième fois depuis l’indépendance, membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Vingt-huit ans plus tard, le 15 octobre, Dakar a retrouvé un siège parmi les quinze pays qui président à l’ordre mondial. Du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017, le Sénégal fera en effet partie des dix membres non permanents du « CS » (le Conseil de sécurité, en jargon onusien).

Ce retour sur le devant de la scène a été obtenu grâce à un long travail de lobbying diplomatique. « Nous avons fait du porte-à-porte pour ne négliger aucun pays [chaque État dispose d’une voix], sereinement, sans tambour ni trompette », explique Mankeur Ndiaye, le ministre sénégalais des Affaires étrangères. Depuis plus de trois ans, chaque rencontre bilatérale entre le président et ses homologues, chaque échange entre ministres et chaque déplacement au siège de l’ONU, a été l’occasion de mettre en avant ce projet. Résultat : un « plébiscite », comme se plaisent à le décrire les dirigeants sénégalais, avec 187 voix sur 191.

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Une présence internationale pour attirer les investisseurs, et défendre la paix

L’élection au Conseil de sécurité représente surtout le couronnement de la « diplomacky », terme en vogue à Dakar pour décrire la stratégie diplomatique mise en place par Macky Sall. Président du Nepad depuis janvier 2013, président en exercice de la Conférence des chefs d’État de la Francophonie depuis novembre 2014, président en exercice de la Cedeao depuis juin 2015… Initialement peu porté sur les questions extérieures, le chef de l’État sénégalais a rapidement saisi le bénéfice qu’il pouvait tirer d’une telle posture. Il a eu soin aussi de se distinguer de son prédécesseur, l’imprévisible Abdoulaye Wade, qui s’était mis à dos certains de ses alliés traditionnels lors de son second mandat en flirtant notamment avec les monarchies du Golfe.

« Certains partenaires, en particulier occidentaux, lui ont fait comprendre qu’il avait un leadership à jouer sur la scène africaine, de par sa jeunesse et les conditions de sa confortable élection », glisse un observateur proche du Palais. Ce n’est pas un hasard si François Hollande et Barack Obama ont tous deux choisi de faire escale à Dakar lors de leurs tournées sur le continent. Ce n’est pas un hasard non plus si Macky Sall a été invité au sommet du G8 en juin 2013, puis à celui du G20, en novembre 2014. Adepte de la diplomatie économique, il entend mettre à profit ces bonnes relations pour attirer les investissements étrangers « il faut évidemment que tous ces efforts soient rentables », reconnaît l’un de ses collaborateurs.

Aujourd’hui, environ 3 500 soldats sénégalais sont déployés dans des opérations de maintien de la paix faisant du Sénégal le troisième contributeur de Casques bleus au niveau continental et le septième sur le plan mondial

« Si nous sommes davantage présents, c’est aussi parce que la situation sécuritaire sous-régionale nous l’impose », tempère Mankeur Ndiaye. D’après une source diplomatique occidentale, le président est « réaliste » et « conscient » que les différentes crises qui frappent certains de ses voisins, en particulier le terrorisme, pourraient un jour toucher son pays. D’où aussi cette volonté de s’afficher en défenseur de la paix. Aujourd’hui, environ 3 500 soldats sénégalais sont déployés dans des opérations de maintien de la paix, principalement en Afrique (Mali, Côte d’Ivoire, Centrafrique, RD Congo, Darfour, Soudan du Sud), faisant du Sénégal le troisième contributeur de Casques bleus au niveau continental et le septième sur le plan mondial.

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Du novice au tacticien, malgré les couacs

Arrivé dans l’arène diplomatique sur la pointe des pieds après son élection, en avril 2012, Macky Sall, qui faisait alors figure de novice par rapport à certains de ses pairs africains, est progressivement monté en puissance. « C’est un fin tacticien, qui a patiemment tissé sa toile, analyse un diplomate en poste à Dakar. Il a d’abord renforcé sa présence au niveau sous-régional avant de se placer sur l’échiquier international. » Le tout en veillant à ne heurter personne. En octobre 2013, il a su s’effacer au profit des Nigérians pour la candidature au poste de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, pour mieux remporter la mise deux ans plus tard.

En Guinée, notre gestion de la crise Ebola puis la présence remarquée de Cellou Dalein Diallo à Dakar ont passablement énervé Alpha Condé, indique un de ses détracteurs

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« Il a évolué grâce à ses voyages et à ses nombreuses rencontres. Il a désormais une meilleure compréhension des enjeux auxquels il est confronté », confie l’un de ses proches. À l’écouter, l’ancien opposant à Abdoulaye Wade s’entendrait à merveille avec tout le monde et mènerait une politique de bon voisinage. Une thèse battue en brèche par ses détracteurs. « Il y a eu beaucoup d’erreurs commises, qui ont rendu nos relations délicates avec plusieurs de nos voisins, affirme l’un d’eux. Au Mali, nous n’avons pas joué le rôle qui aurait dû être le nôtre. Au Nigeria, nous ne sommes pas assez solidaires dans la lutte contre Boko Haram. En Guinée, notre gestion de la crise Ebola puis la présence remarquée de Cellou Dalein Diallo à Dakar ont passablement énervé Alpha Condé. Et je ne vous parle pas des approximations sur le Burkina… »

Les relations avec les pays voisins

Le dossier burkinabè. Un sujet qui a le don d’agacer l’entourage de Macky Sall. Accusé d’avoir proposé, en tant que médiateur, un plan de sortie de crise favorable aux putschistes, le président sénégalais a fait beaucoup de mécontents au Burkina. L’un de ses proches affirme pourtant que tout a été mis en œuvre pour « aider ce pays frère en difficulté ». Et de citer, pêle-mêle, les deux sommets extraordinaires de la Cedeao consacrés au Burkina, le déplacement présidentiel express à Ouagadougou dès le lendemain du coup d’État (« le chef de l’État voulait partir plus tôt, mais son avion était en révision, nous avons dû en louer un autre »), ou encore sa visite dans le camp des putschistes – visite durant laquelle il a ouvertement soulevé la menace de la Cour pénale internationale… La même source affirme que les relations sont aujourd’hui très bonnes entre les deux pays, et en veut pour preuve la visite de « remerciement » effectuée le 16 octobre, à Dakar, par le Premier ministre burkinabè, Yacouba Isaac Zida.

Il est désormais sous le feu des projecteurs, et la pression internationale ne sera pas la même, analyse un diplomate européen

Les relations en dents de scie avec la Gambie, l’encombrant voisin avec lequel le Sénégal est obligé de composer, sont aussi souvent reprochées à Macky Sall. Après avoir tenté des efforts dès le début de son mandat, notamment en se rendant dans la foulée de son élection à Banjul, le président sénégalais paraît subir, sans toujours savoir comment les gérer, les excès de son homologue Yahya Jammeh.

En dépit de tout cela, Macky Sall est parvenu à s’imposer sur la scène africaine. Mais les deux années à venir s’annoncent périlleuses. « Il est désormais sous le feu des projecteurs, et la pression internationale ne sera pas la même, analyse un diplomate européen. Il ne faudra pas décevoir les partenaires qui lui ont fait confiance. » Le tout à un moment crucial du mandat du président sénégalais, le doute n’ayant toujours pas été levé sur la tenue, ou non, d’une présidentielle avancée à 2017.

Un œil sur le Sahel

Une source ministérielle sénégalaise le reconnaît : « Il faut qu’on soit davantage actifs dans la lutte contre le terrorisme. » Pour l’instant épargné, le Sénégal constitue, comme tous les pays sahéliens, une cible potentielle pour les groupes islamistes radicaux de la région. Les autorités le savent et restent donc sur leurs gardes. Outre la surveillance des éventuelles menaces intérieures, leur regard est tourné vers le Mali, où de récentes attaques aux frontières avec la Côte d’Ivoire et le Burkina ont montré que le rayon d’action des terroristes s’était élargi.

Selon une source sécuritaire à Bamako, « aucun élément inquiétant » n’a pour l’instant été repéré dans la zone frontalière avec le Sénégal, ratissée régulièrement par des patrouilles conjointes entre forces maliennes et forces sénégalaises – lesquelles partagent aussi du renseignement. « Les Sénégalais ont une armée solide, un appareil sécuritaire qui tient la route et un régime démocratique stable, soit autant d’ingrédients nécessaires à la lutte contre le terrorisme », analyse un diplomate occidental. Symbole du volontarisme sécuritaire de Dakar, la capitale accueille les 9 et 10 novembre, pour sa deuxième édition, le Forum sur la paix et la sécurité en Afrique.

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