Mali : le studio Bogolan reprend son élan

Le célèbre studio fondé par Yves Wernert et Ali Farka Touré tente de renouer avec le succès. En misant sur son ouverture à de nouvelles musiques et sur la qualité de son acoustique.

MEHDI-BA_2024

Publié le 4 décembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Ibrahim Boubacar Keïta, président du Mali. © Zihnioglu Kamil/SIPA
Issu du dossier

Mali : à la recherche du temps perdu

Réformes, Nord, élections, croissance, armée… À mi-mandat, le président Ibrahim Boubakar Keïta mesure les espoirs – et les impatiences – de ses compatriotes.

Sommaire

Quel point commun entre l’Islandaise Björk, les Français Ours (fils d’Alain Souchon) et Matthieu Chedid, l’Américaine Dee Dee Bridgewater et la griotte malienne Bako Dagnon ? Tous ont chanté au studio Bogolan, l’un des hauts lieux de la scène musicale bamakoise. Nichée dans une ruelle cabossée du quartier de Quinzambougou, la maison discrète qui abrite ce monument du patrimoine culturel national ne paie pas de mine. Bogolan est pourtant considéré comme LE studio d’enregistrement de Bamako et a accueilli les plus grands noms de la musique.

Le studio, fruit d’une collaboration franco-malienne

la suite après cette publicité

Il naît en 2002, sous un double parrainage prometteur. Son principal artisan ? Yves Wernert, un ingénieur du son français, qui collabore avec Mali K7, le premier fournisseur de l’industrie musicale nationale. Il se lie d’amitié avec le légendaire Ali Farka Touré, dont la musique métisse le blues et les sonorités traditionnelles maliennes. Les deux hommes installent le studio Bogolan dans la même rue que Mali K7, raccourcissant ainsi la chaîne de production – de l’enregistrement au pressage et à la vente des cassettes. Yves Wernert apporte un soin tout particulier à la conception acoustique du lieu.

Dans ce lieu-carrefour, d’autant plus prisé qu’à l’époque les studios professionnels sont rares dans la capitale, se croisent rappeurs, griots et stars de la pop

« Ce n’est pas une maison qui a été réaménagée, précise Olivier Kaba, son administrateur général. C’est une pièce conçue dès l’origine pour héberger un studio. » L’agencement des matériaux (briques en terre traditionnelles, laine de roche…), l’épaisseur des murs, la qualité du matériel, tout a été pensé pour que la prise de son des instruments acoustiques soit optimale. « Les sons qui sortent d’une kora ou d’un n’goni [un luth généralement doté de quatre cordes] sont faibles, donc on entend aussi les bruits alentour », explique Olivier Kaba. Au studio Bogolan, grâce au savoir-faire d’Yves Wernert, ces bruits parasites deviennent imperceptibles. « C’est le son du désert », plaisantait Ali Farka Touré.

À Bamako règne alors un bouillonnement musical qui assure les beaux jours du studio. Dans ce lieu-carrefour, d’autant plus prisé qu’à l’époque les studios professionnels sont rares dans la capitale, se croisent rappeurs, griots et stars de la pop. Les plus grands noms de la musique malienne viennent y enregistrer leurs opus : Oumou Sangaré, Toumani Diabaté, Rokia Traoré, Amadou & Mariam, Habib Koïté, Tinariwen, Djelimady Tounkara, Cheikh Tidiane Seck, Bassekou Kouyaté…

Olivier Kaba, une jeune ingénieur du son franco-guinéen installé depuis quelques années à Bamako, où il collabore avec Mali K7 et Yves Wernert, se met en tête de sauver le studio

Mais en 2007, un an après la mort d’Ali Farka Touré, Yves Wernert décide de quitter le Mali et de céder ses parts. Des propositions de rachat capotent in extremis. Olivier Kaba, une jeune ingénieur du son franco-guinéen installé depuis quelques années à Bamako, où il collabore avec Mali K7 et Yves Wernert, se met en tête de sauver le studio. N’ayant pas les moyens de le racheter seul, il se tourne vers le producteur sénégalais Ibrahima Sylla, fondateur du label Syllart Records et parfois surnommé le Quincy Jones de la musique africaine. « Il a racheté discrètement la majorité des parts car il ne voulait pas que le meilleur studio de Bamako mette la clé sous la porte », raconte sa fille, Binetou Sylla, qui a repris la direction du label depuis le décès de son père, en 2013.

la suite après cette publicité

Le déclin après l’apogée

À la fin des années 2000, d’autres lieux concurrents commencent à apparaître. « Avec les studios lancés par Salif Keita, Tiken Jah Fakoly ou Toumani Diabaté, Bogolan a perdu son monopole, même s’il demeurait une référence », raconte Olivier Kaba. Comme pour tout empire, à l’apogée succède le déclin. En janvier 2012, une rébellion touarègue venue du Nord et alliée à des mouvements jihadistes provoque une réaction en chaîne. L’armée malienne est défaite. Une large portion du pays est occupée.

la suite après cette publicité

Et, à Bamako, un putsch militaire chasse du pouvoir Amadou Toumani Touré à la veille de l’élection présidentielle. Le Mali, humilié, aura besoin du soutien de l’armée française, en 2013, pour éviter l’implosion. « Ces événements ont eu des répercussions fâcheuses pour la scène artistique, rappelle Bako Traoré, un administrateur culturel devenu le nouveau gérant du studio. Avec l’instauration de l’état d’urgence pendant plusieurs mois, les concerts et manifestations publiques ont été interrompus, et le milieu de la musique en a pâti. »

Aujourd’hui, avec un ordinateur et deux micros, des petits débrouillards font des choses incroyables, résume Olivier Kaba

Depuis les élections présidentielle et législatives de 2013, l’activité du studio reprend progressivement. Mais les temps ont changé. « Aujourd’hui, avec un ordinateur et deux micros, des petits débrouillards font des choses incroyables », résume Olivier Kaba, selon qui « la mode des grands studios est révolue ». Toutefois, dans le contexte malien, où les ensembles acoustiques et les instruments traditionnels restent importants, le studio Bogolan conserve une clientèle attitrée en raison de la qualité reconnue de son matériel et de sa conception. « Lorsqu’on veut ressentir quelque chose d’humain, on en revient au studio », ajoute Kaba.

« Ce n’est pas le genre d’endroit où l’on gagne de l’argent, sauf lorsqu’une star internationale vient faire une session d’une semaine », admet Binetou Sylla, pour qui le soutien apporté par Syllart Records au studio Bogolan relève clairement d’une forme de mécénat. Mais le prestige attaché à ce lieu récompense la jeune femme, qui s’efforce, depuis deux ans, de le redynamiser en suscitant une synergie avec le label dont elle a repris le flambeau.

« Le studio Bogolan, explique-t-elle, doit être un vecteur d’ouverture musicale en phase avec Syllart Records, avec qui je veux produire des artistes de ma génération, dans différents courants musicaux. » « Dans le domaine de la culture, la rentabilité n’est pas l’indicateur le plus pertinent », analyse Olivier Kaba, bien décidé à écrire un nouveau chapitre de Bogolan. Malgré les revers de fortune.

Collector

Sorti en 2013, le coffret Mali All Stars : Bogolan Music illustre mieux qu’un long discours le sillon creusé pendant une décennie par Yves Wernert, Ali Farka Touré, Ibrahima Sylla et Olivier Kaba. Composé de deux CD, d’un DVD et d’un livret, ce collector revisite les heures de gloire du studio à travers ses hôtes les plus prestigieux.

Un premier CD s’attarde sur les représentants de la « tradition » malienne, de Tessalit à Kayes en passant par Ségou : Oumou Sangaré, Toumani Diabaté, Boubacar Traoré (alias KarKar), Tinariwen… Le second CD, « Le Mali autour du monde », vagabonde d’Africando à Björk et de Rokia Traoré à Damon Albarn. Quant au DVD Mali All Stars, commenté par le journaliste Soro Solo, il retrace l’histoire de la musique malienne grâce à des images d’archive et à des interviews de producteurs, d’artistes ou d’ingénieurs du son.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image