Yehezkel Ben-Ari : juif d’Égypte, d’Israël à la France en passant par la Bosnie

Ce neurobiologiste reconnu qui a fait de la science sa ligne de vie croit toujours au pouvoir pacificateur de l’éducation.

Homme de convictions, il s’engage lors de la guerre des Six-Jours en juin 1967. © Geoffroy Mathieu/J.A.

Homme de convictions, il s’engage lors de la guerre des Six-Jours en juin 1967. © Geoffroy Mathieu/J.A.

Publié le 12 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Il parle l’hébreu, l’arabe, le français et l’anglais. Né en Égypte, engagé volontaire en Israël pendant la guerre des Six-Jours, il a fondé un institut scientifique à Marseille. Yehezkel Ben-Ari le dit lui-même : c’est un Méditerranéen. Le retraité de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui porte beau ses 71 ans, a de l’énergie, de la tchatche, de la niaque. À la fois européenne, juive et arabe, l’histoire de la région, faite de mélanges et de ruptures, croise aussi sa chronologie personnelle, « un maelström compliqué », qui lui a permis d’être « libre ».

À 13 ans, premier arrachement. Comme nombre de Juifs d’Égypte, la famille Ben-Ari est chassée de son pays après la crise de Suez, en 1956. Elle s’installe en Israël. Le père passe de « très riche à très pauvre » et n’y survivra pas. La mère, « coriace », plutôt du genre à n’avoir jamais travaillé, va fabriquer du caoutchouc en usine. Le fils apprend l’hébreu en six mois, passe son bac. Il rate la fac de médecine, s’inscrit en biochimie à l’université hébraïque de Jérusalem.

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Son service militaire accompli, il émigre une seconde fois. Pour sa thèse de neuro-sciences, ce sera la France. Le pays fait encore rêver. Les Lumières, la laïcité… L’immigré juif élevé dans un milieu musulman et scolarisé en école catholique en a « soupé » des monothéismes. La France est à ses yeux un éloignement de la religion, qui « gêne le processus général d’évolution du monde ».

Il se dit aussi qu’il ne sera pas dépaysé. Depuis Napoléon, l’élite puis la classe moyenne égyptiennes y envoient leurs enfants apprendre le français et son histoire. « Robespierre, nos ancêtres les Gaulois… », Yehezkel Ben-Ari connaît. N’empêche, en arrivant à Paris, le jeune homme bien éduqué débarque et découvre la liberté de penser, le théâtre, le cinéma, la musique, tout « ce que le monde devrait être ». Il se pose des questions, « ouvre les yeux », tombe amoureux.

En Israël, le coco pacifiste, qui a milité pour une séparation en deux États, finira même par être considéré comme un traître

Mai 68 achève de lui « changer la vie ». Dans le sillage de cette jeunesse française qui se révolte contre les « diktats conservateurs », il s’engage en politique, au Parti communiste. En désaccord avec « ce qui se passe à l’Est », il s’en éloignera, mais vote toujours de la même couleur aujourd’hui. En Israël, le coco pacifiste, qui a milité pour une séparation en deux États, finira même par être considéré comme un traître. « En 1967-1968, j’ai commencé à voir une autre réalité. » La politique israélienne vis-à-vis de ses voisins arabes ou des Palestiniens, « tu ne peux pas y être opposé » en étant là-bas, estime-t-il. « Il faut s’éloigner du conditionnement pour comprendre. »

Viscéralement contre le « prêt-à-penser », il constatera à nouveau les dégâts du conditionnement, du côté yougoslave de la Méditerranée. En 1994, alors en Bosnie avec cinq artistes, dont la metteuse en scène Ariane Mnouchkine, le neurobiologiste visite des hôpitaux, distribue du Valium, des instruments pour soigner des calculs rénaux.

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Le maire de Sarajevo, qu’il interroge sur le changement radical de la capitale bosnienne en trois ans, lui explique : « Si tu isoles une ville, avec une seule chaîne de télévision montrant à longueur de journée des musulmans violant des femmes blanches serbes, tu as ça. » En Bosnie, il a vu « des choses qui font presque pleurer tellement c’est à la fois beau et terrible ». Mais le chercheur évite de tomber dans les travers du philosophe français BHL. « Je suis un scientifique avant tout, c’est mon métier, ma passion, c’est en faisant de la recherche que je suis le plus utile. »

Il suit sa ligne directrice avec succès : en 2009, l’Inserm lui remet son Grand Prix. Et ses travaux, sur l’épilepsie notamment, ont été plusieurs fois récompensés.

Une centaine de chercheurs et de techniciens travaillent dans cette unité qui comprend aussi deux entreprises exploitant leurs découvertes et… une galerie d’art

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Il y a quinze ans, nouveau déplacement. Soucieux de « laisser une trace », il s’en va à Marseille, la plus méditerranéenne des villes de France, créer l’Institut de neurobiologie de la Méditerranée (Inmed), « sans doute l’institut le plus connu et l’un des plus beaux bâtiments d’Europe ». Une centaine de chercheurs et de techniciens travaillent dans cette unité qui comprend aussi deux entreprises exploitant leurs découvertes et… une galerie d’art. Chaque année, l’association Tous chercheurs, présidée par son épouse, Constance Hammond, avec qui il a eu deux filles, accueille 40 classes de lycéens de quartiers prioritaires. « Quand vous êtes éduqué, vous ne faites pas de conneries », dit-il.

Retraité, il poste de plus en plus d’articles mi-scientifiques, mi-politiques sur son blog, et sa carrière a encore pris un nouveau tournant. En ce moment, il développe un médicament pour traiter les enfants autistes. Les premiers essais semblent concluants. « Si ça marche, j’aurai servi la cause au moins autant qu’en faisant de l’humanitaire. » « Il se bat tout le temps, avec une capacité incroyable à rebondir sur les échecs », admire sa femme. Essayez donc d’arrêter un tourbillon.

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