Congo : le pouvoir au bout des urnes

Les chefs de l’opposition ont profité de l’organisation d’un référendum controversé pour tenter de déstabiliser le régime. Denis Sassou Nguesso a tenu bon. Et maintenant ?

Le chef de l’État et son épouse, après le vote, dans la capitale, le 25 octobre. © AFP

Le chef de l’État et son épouse, après le vote, dans la capitale, le 25 octobre. © AFP

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 3 novembre 2015 Lecture : 8 minutes.

Au Congo, l’Histoire repasse les plats. Et c’est bien à une tentative de remake des « Trois Glorieuses », quand une contestation sociale suscitée et manipulée par des politiciens déboucha sur la chute de Fulbert Youlou, le premier président congolais, en août 1963 (un mode d’accession au pouvoir devenu par la suite une habitude dans ce pays), que l’on a assisté au cours de la semaine du 19 octobre.

Chronique d’une insurrection avortée

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Depuis quelques jours déjà, il était clair que le but des dirigeants des deux plateformes de l’opposition, le Frocad et l’IDC, était non pas de boycotter le référendum sur la nouvelle Constitution, prévu pour le 25 octobre, mais bien d’en empêcher la tenue. Le pouvoir étant déterminé à l’organiser, l’affrontement était en quelque sorte programmé. Lorsque le 18 octobre, au cours d’un meeting tumultueux à Pointe-Noire, les leaders du front anti-Sassou lancent leur mot d’ordre d’« insurrection pacifique populaire » et annoncent une grande marche à Brazzaville pour le surlendemain, ils savent très bien que le mot « pacifique » n’est là que pour la consommation extérieure.

Rapidement, le mot d’ordre se précise : il faut marcher sur le palais du Plateau et tout bloquer « jusqu’à ce que le président s’en aille »

La plupart d’entre eux – André Okombi Salissa, Guy-Romain Kinfoussia, Emmanuel Boungouandza, Paul-Marie Mpouele, Pascal Tsaty Mabiala, Claudine Munari… – ont eu tout au long de leurs parcours respectifs une relation épisodique mais intime avec l’usage de la violence et du coup de force. Face à leurs jeunes partisans lâchés dans la rue en cette matinée du mardi 20 octobre, auxquels se sont joints d’anciens miliciens issus des comptes mal soldés de la guerre de 1997, la police et la gendarmerie vont tirer, parfois à balles réelles. Cocktails Molotov, pierres et machettes contre fusils à pompe. Pillages de magasins, incendies de commissariats et de domiciles de personnalités du régime contre grenades lacrymogènes jetées par des forces de l’ordre nerveuses et par endroits débordées. Rapidement, le mot d’ordre se précise : il faut marcher sur le palais du Plateau et tout bloquer « jusqu’à ce que le président s’en aille ».

À l’intérieur du pays, des troubles sont signalés à Pointe-Noire, Dolisie, Sibiti, et dans quelques localités du Pool. Le Centre, le Nord, ainsi qu’une bonne moitié de Brazzaville, eux, ne bougent pas. La présence des Bérets rouges de l’armée, dont le commandant en chef, le général saint-cyrien Guy Blanchard Okoï, avait lancé quelques jours auparavant un appel télévisé remarqué à la discipline républicaine, ramène peu à peu le calme. À l’aube du 21 octobre, Brazzaville se réveille choquée, sonnée, tétanisée par les morts et les blessés des échauffourées de la veille. Dans son bureau du Palais, où il a veillé presque sans dormir pendant quarante-huit heures, attentif au moindre détail, Denis Sassou Nguesso (DSN) sait qu’il vient de déjouer une tentative de renversement de sa personne et de son régime. Il a pu voir aussi qui, dans l’épreuve, l’a épaulé et qui a failli.

Référendum : que valent les résultats ?

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Comme en Côte d’Ivoire, où la présidentielle avait lieu le même jour, ce n’est pas tant le verdict des urnes qui pose problème à l’opposition que le taux de participation – le second étant la condition de la légitimité du premier. Au Congo, le 25 octobre, ce taux a été officiellement de 72,44 % (avec 92,96 % de oui).

Trois remarques : 1) en l’absence d’observateurs internationaux « classiques » (ONG, UE, UA, OIF, etc.), les seuls témoins extérieurs du scrutin ont été les (rares) journalistes, lesquels n’ont pu fonder leur jugement – un faible engouement des électeurs, selon eux – que sur quelques bureaux de vote de Brazzaville, capitale ethnicisée où certains quartiers sont des fiefs de l’opposition, et un seul de Pointe-Noire. 2) Sachant que le Congo, pas plus que la France, ne se réduit à sa seule capitale, quid du reste du pays ? On sait que dans quelques localités du Pool (Mayama, ex-sanctuaire du pasteur Ntumi) et du Sud-Ouest (d’où sont originaires beaucoup des leaders de l’opposition), le scrutin n’a pu avoir lieu, du fait du « boycott actif » prôné par des militants hostiles à la tenue même du référendum.

Faute de données objectives accréditant les thèses d’une abstention ou d’une participation massives, force est donc de « prendre note » du résultat, comme l’a signifié le Quai d’Orsay

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Incidents isolés, certes, mais qui s’ajoutaient au climat de tension qui régnait toujours à Brazzaville et à Pointe-Noire depuis les violences du début de la semaine, ainsi qu’à l’interdiction de toute circulation automobile systématiquement décrétée par les autorités les jours d’élections. 3) Faute de données objectives accréditant les thèses d’une abstention ou d’une participation massives, force est donc de « prendre note » du résultat, comme l’a signifié le Quai d’Orsay. Sans plus. Quant au pourcentage de oui, il n’est pas illogique, l’opposition ayant jusqu’au bout appelé ses militants à ne pas se rendre aux urnes.

À Paris : pédalage et rétropédalage

Entre le 21 et le 27 octobre, la position des autorités françaises a évolué en mbeba (« désordre »), comme on dit au Congo, signe d’un certain embarras. Les prises de parole neutres, voire favorables au pouvoir en place de François Hollande puis du porte-parole du ministère des Affaires étrangères étant suivies de communiqués de recadrage émanant de la cellule Afrique de l’Élysée, lesquels ont eu sur la situation un impact proportionnel au niveau de colonisation mentale (hélas particulièrement résilient) de l’ensemble de la classe politique congolaise. Selon nos informations, la situation au Congo a été abordée par Jean-Yves Le Drian lors du Conseil des ministres du 28 octobre.

Appuyé par son collègue des Affaires étrangères, Laurent Fabius, le ministre de la Défense a jugé inappropriés les communiqués émanant de la cellule Afrique de l’Élysée. Dans le fond, c’est donc la prudence qui domine ici, contrairement à l’engagement clair qui avait prévalu lors de la crise burkinabè : Sassou Nguesso, qui dispose aussi de relais efficaces à Matignon et parmi les majors du CAC 40, n’est pas Compaoré, et Brazza n’est pas Ouaga. Sur l’échiquier politique, si le parti socialiste a appelé (en vain) Denis Sassou Nguesso à renoncer à son référendum, le plus virulent est… le Front national.

À Brazza même, l’ambassadeur de France Jean-Pierre Vidon, très au fait de la situation réelle, a adopté une position équilibrée

Son vice-président, le député européen d’extrême droite Louis Aliot, dans une lettre adressée le 27 octobre à François Hollande, a une nouvelle fois exhorté le chef de l’État à faire cesser « ce scandale démocratique », avec des arguments tout droit sortis d’un communiqué des associations Sherpa ou Survie. À Brazza même, l’ambassadeur de France Jean-Pierre Vidon, très au fait de la situation réelle, a adopté une position équilibrée : s’il s’est soucié du sort de l’opposant franco-congolais Parfait Kolélas, en résidence surveillée, il s’est tenu à distance des leaders les plus radicaux du front antiréférendum.

À l’inverse de sa consœur américaine (et lingalaphone) Stephanie Sullivan, appliquant à la lettre les consignes du département d’État, ou de la représentante de l’Union européenne, la Néerlandaise Saskia de Lang, toutes deux très remontées contre le scrutin et très actives aux côtés de l’opposition. À noter enfin que la tentative de médiation engagée par Abdoulaye Bathily, représentant spécial de Ban Ki-moon pour l’Afrique centrale, ne pouvait que faire long feu pour deux raisons : elle n’avait pas été sollicitée par le pouvoir, et l’opposition exigeait comme préalable à toute négociation l’annulation pure et simple du référendum.

Que va faire Sassou Nguesso ?

Sur le plan institutionnel et politique, l’essentiel devrait se jouer pendant ce mois de novembre. Le président va promulguer la nouvelle Constitution, nommer un Premier ministre, puis, sur proposition de ce dernier, un gouvernement désormais responsable devant le Parlement. L’exercice est évidemment source de tensions internes : quelle alchimie respecter entre les compétences et la géopolitique, les barons qui ne veulent surtout pas décrocher, la génération intermédiaire, qui piaffe d’impatience, les jeunes, les femmes, etc. ?

Une dizaine de responsables départementaux de la police et de commissaires centraux ont été limogés le 28 octobre, leur fiabilité pendant les événements de la semaine précédente ayant été jugée sujette à caution

Une chose est sûre, l’opinion bien sûr, mais aussi ceux qui, à l’extérieur, ont jusqu’ici fait preuve de compréhension à l’égard de la démarche choisie par le président congolais – à commencer par François Hollande et les chefs d’État africains avec qui il s’est récemment entretenu de ce dossier – concevraient difficilement qu’une nouvelle République accouche d’une équipe usée, au casting aussi obsolète qu’immuable. Sang neuf, coup de balai et signaux d’une volonté de démontrer que le Congo vient d’ouvrir un nouveau chapitre de son histoire : DSN doit forcer sa nature.

Côté sécuritaire, une dizaine de responsables départementaux de la police et de commissaires centraux ont été limogés le 28 octobre, leur fiabilité pendant les événements de la semaine précédente ayant été jugée sujette à caution. Enfin, la question de la candidature de Denis Sassou Nguesso à la présidentielle de juillet 2016 demeure ouverte, même si elle ne fait guère de doute. Il va de soi que l’intéressé ne s’exprimera sur ce sujet qu’au moment voulu.

Que peut faire l’opposition ?

Le « scénario Ouaga » – celui de la manifestation dégénérant en insurrection, puis en coup de force – ayant échoué, place à la « désobéissance civile », concept suffisamment vague pour englober tous les scénarios et envisager toutes les stratégies. Une chose est sûre : les dirigeants du Frocad et de l’IDC n’entendent pas céder et ils comptent sur la perspective électorale de la mi-2016 pour alimenter la mobilisation de leurs troupes.

Restent plusieurs inconnues : le leadership collectif de l’opposition tiendra-t-il la distance ? Les violences qui ont accompagné les journées de braise et dont les jeunes lancés dans la rue ont été les victimes mais aussi les auteurs ont-elles rapproché, ou au contraire éloigné du front anti-Sassou la masse critique d’une population qui a cru revivre le cauchemar de la guerre civile ?

Quid des poursuites judiciaires annoncées par le procureur général à l’encontre de plusieurs leaders (dont deux étaient toujours en résidence surveillée à Brazzaville, retranchés avec leurs partisans armés, à l’heure où nous allions mettre sous presse) ? L’ouverture d’un dialogue avec le pouvoir sur d’autres bases que celle du partage des postes rémunérateurs entre copains et coquins est-il encore possible ? Les appels à la paix civile lancés par l’Église catholique congolaise, à la fois influente et modérée, seront-ils entendus ? Les semaines à venir le diront.

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