Angola : 40 ans d’indépendance avec Dos Santos, un point « Zedu »

C’est l’histoire d’un pays, indépendant depuis tout juste quarante ans. C’est également l’histoire d’un homme, José Eduardo dos Santos, au pouvoir depuis presque aussi longtemps, mais auquel la communauté internationale se garde bien de faire des remontrances.

En juillet, à Luanda. Son extraordinaire longévité politique, c’est à l’or noir que le chef de l’État la doit. © ALAIN JOCARD/AFP

En juillet, à Luanda. Son extraordinaire longévité politique, c’est à l’or noir que le chef de l’État la doit. © ALAIN JOCARD/AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 23 novembre 2015 Lecture : 7 minutes.

Le silence… Depuis trente-six ans, c’est la stratégie de José Eduardo dos Santos, que beaucoup d’Angolais surnomment « Zedu » en faisant la contraction de ses deux prénoms. En septembre 1979, à la mort d’Agostinho Neto, ce jeune ingénieur de 37 ans était déjà d’une extrême discrétion ; il s’excusait presque devant ses camarades du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) de succéder au père de l’indépendance. Au plus fort de la guerre contre l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) du médiatique Jonas Savimbi, il s’était réfugié au Futungo, un complexe militaire ultrasecret près de Luanda. Aujourd’hui, alors que le pays a célébré, le 11 novembre, les quarante ans de son indépendance, le président partage son temps entre sa résidence et son palais rose et blanc situé sur les hauteurs de Luanda, la Cidade Alta. Les téléphones portables y sont interdits. Ses voyages à l’étranger sont rares et ses sorties en ville hypersécurisées. Pas de bains de foule. L’homme fuit micros et caméras. Dos Santos, c’est l’anti-Mugabe.

L’or et les diamants, sources de richesses

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À quoi tient la longévité politique de Zedu ? D’abord à l’or noir. Avec près de 2 millions de barils par jour, dont au moins 60 % sont extraits du plateau maritime au large de l’enclave de Cabinda, l’Angola est, derrière le Nigeria, le second producteur de pétrole du continent. Grâce aux pétrodollars, le MPLA a pu acheter quantité d’armes et venir à bout de l’Unita en 2002. En puisant largement dans le trésor de la Sonangol, la compagnie pétrolière nationale, et dans celui de la société diamantifère Endiama, le président angolais a pu créer un vaste système clientéliste où tout le monde dépend de lui. Sans doute l’Angola est-il l’un des pays les plus corrompus d’Afrique. Entre 2007 et 2010, le FMI a constaté un trou de 4 milliards de dollars dans les caisses de l’État. Mais c’est ce système « redistributif » qui fait que les gens de l’appareil n’ont aucun intérêt à casser la tirelire.

Grâce à cette manne pétrolière, l’Angola, qui compte quelque 24 millions d’habitants, affiche depuis 2002 un taux moyen de croissance de 10,1 % par an selon le FMI et est aujourd’hui, derrière le Nigeria et l’Afrique du Sud, la troisième puissance économique du continent. Depuis une douzaine d’années, Luanda est en plein boom. Sur le célèbre front de mer (l’un des plus beaux de la côte atlantique), les immeubles coloniaux viennent d’être restaurés. En surplomb, les buildings poussent comme des champignons. Pour désengorger la capitale, les Chinois construisent à 30 km de là une ville nouvelle qui doit abriter 500 000 personnes.

Quand le baril de pétrole était à plus de cent dollars, 200 000 jeunes Portugais au chômage y avaient émigré pour trouver du travail !

Dans ce nouvel eldorado angolais vivent quelque 250 000 Chinois, soit un quart de la population chinoise en Afrique. Et quand le baril de pétrole était à plus de cent dollars, 200 000 jeunes Portugais au chômage y avaient émigré pour trouver du travail ! Aujourd’hui, l’Angola est donc une terre de contrats, et José Eduardo dos Santos, un homme très courtisé. Le 3 juillet dernier, François Hollande est venu lui rendre visite en compagnie d’une cinquantaine de chefs d’entreprise. Le président français s’est bien gardé de lui parler démocratie et droits de l’homme. Aux deux voisins congolais, Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, François Hollande fait parfois des remontrances. À José Eduardo dos Santos, jamais.

Le gendarme de l’Afrique centrale

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Le problème, c’est que, derrière cette jolie façade, l’Angola est aussi l’un des pays les plus pauvres du monde. Classé 149e à l’indice du développement humain de l’ONU, le pays soigne très mal ses habitants. Un enfant sur six meurt avant l’âge de 5 ans. Certes, la part de la population qui survit avec moins de 1 dollar par jour est tombée de 68 % en 2002 à 37 % en 2014. Mais cela signifie aussi qu’un Angolais sur trois continue de vivre dans l’extrême pauvreté. Dans les rues de la capitale, les golden boys en Porsche côtoient des enfants qui se détruisent les neurones en snifant la gazolina – des petits bouts de tissu imbibés d’essence.

Le régime dos Santos continue d’investir trois fois plus dans son armée, qui compte 160 000 hommes, que dans la santé

À côté des nouveaux riches qui louent un deux-pièces 10 000 dollars (9 300 euros) par mois, la majorité des gens s’entasse dans des bidonvilles sans eau ni électricité. Est-ce seulement la faute à la longue guerre civile (1975-2002) ? Non. Depuis la fin de ce conflit, le régime dos Santos continue d’investir trois fois plus dans son armée, qui compte 160 000 hommes, que dans la santé. Sur le plan stratégique, le choix est payant. En octobre 1997, à Brazzaville, l’aviation angolaise a pris une part décisive dans la victoire militaire de Denis Sassou Nguesso sur Pascal Lissouba. En mars 2007, à Kinshasa, l’armée angolaise a apporté un soutien clé à Joseph Kabila contre l’opposant Jean-Pierre Bemba. Grâce à son armée suréquipée, José Eduardo dos Santos est devenu le gendarme de l’Afrique centrale.

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Une contestation qui prend forme

Le régime MPLA est-il encore là pour vingt ans ? Pas sûr. Certes, depuis la mort au combat de Jonas Savimbi dans le bush angolais en février 2002, l’opposition manque de leader charismatique. Aux dernières législatives d’août 2012, le parti au pouvoir l’a emporté haut la main, avec un score officiel de 71 %, devant l’Unita d’Isaias Samakuva, crédité de 18 % des suffrages, et devant le nouveau parti Casa d’Abel Chivukuvuku, qui s’est vu attribuer 6 % des voix. Depuis la réforme constitutionnelle de 2010, le président de la République est désormais élu par les députés, comme en Afrique du Sud. En septembre 2012, José Eduardo dos Santos a donc été choisi par le Parlement pour effectuer un nouveau mandat de cinq ans. En 2017, si le MPLA gagne les législatives, Zedu pourra se représenter devant l’Assemblée nationale pour un ultime mandat. À cette date, il aura 75 ans.

A priori, ces législatives s’annoncent sans histoire pour le MPLA. Mais, depuis la chute de moitié du prix du baril, l’économie angolaise est en crise. Le taux de croissance est en train de tomber de 6,8 % en 2013 à un chiffre estimé autour de 3 % cette année. Depuis mai dernier, les subventions sur le carburant sont supprimées et le transport coûte plus cher. Et le budget santé, qui était déjà notoirement insuffisant, a été réduit d’un tiers !

Le 20 septembre, l’indomptable rappeur a entamé une grève de la faim. Très vite, à la stupeur du régime angolais, la communauté internationale s’est mobilisée

Est-ce l’effet Burkina Faso ? Depuis un an, la société civile, qui surfe sur le mécontentement social, s’enhardit. Le 20 juin, quinze militants d’un mouvement de jeunesse qui réclamait le départ de José Eduardo dos Santos ont été arrêtés à Luanda et accusés de « rébellion » et « attentat contre le président de la République », deux crimes passibles de trois à douze ans de prison. Parmi eux, le rappeur Luaty Beirão, qui proteste ouvertement contre le régime dos Santos depuis 2011. Le 20 septembre, au terme de ses trois mois de détention provisoire (le délai maximal autorisé par la loi angolaise), l’indomptable rappeur a entamé une grève de la faim. Très vite, à la stupeur du régime angolais, la communauté internationale s’est mobilisée.

Le Parlement européen a voté une résolution pour demander la libération des quinze. Même la classe politique portugaise est sortie de sa torpeur. Tout à coup, Luanda s’est aperçu que, à l’heure d’internet, sa stratégie du silence ne marchait pas à tous les coups. Signe de la nervosité du régime, l’ambassadeur d’Angola à Lisbonne a dénoncé la « diabolisation insistante » de son pays par le Portugal. Après trente-six jours, Luaty Beirão vient de stopper sa grève de la faim et Luanda a annoncé que les prévenus seront jugés du 16 au 20 novembre.

Bien sûr, les quelques centaines d’opposants qui se réunissent depuis deux mois par solidarité avec les quinze du 20 juin ne suffiront pas à faire vaciller ce régime militaro-pétrolier qui tient le pays d’une main de fer depuis près de quarante ans. Mais dos Santos est prévenu : sa succession ne sera pas un long fleuve tranquille. Le président angolais a l’esprit de famille. Sa fille aînée, Isabel, 42 ans, est, selon le magazine américain Forbes, la femme la plus riche d’Afrique. De concert avec ses parrains, les généraux Dino et Kopelipa, elle possède un large portefeuille d’actions en Angola et au Portugal.

L’Angola est passé d’un conflit armé à une paix armée, estime Paula Cristina Roque

L’un des fils du président, José Filomeno, 37 ans, est depuis 2012 à la tête d’un fonds souverain doté de 5 milliards de dollars. Dos Santos souhaite-t-il qu’il lui succède ? À Luanda, on le dit de plus en plus. Pour Zedu, la solution dynastique est la meilleure protection qui soit pour sa famille et pour lui-même. Mais il ne sait pas comment réagiront les « grognards » du MPLA et de la guerre civile de 1975-2002. « L’Angola est passé d’un conflit armé à une paix armée, estime Paula Cristina Roque, analyste senior à l’ONG International Crisis Group. Le jour de la succession, José Filemino et Manuel Vicente, l’actuel vice-président, ne seront sans doute pas acceptés par le MPLA. » Pour elle, le scénario est « mal préparé », et, le jour venu, il risque d’y avoir « beaucoup de violences ».

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