Burkina – Zéphirin Diabré : « Je ne refuse le soutien de personne » pour la présidentielle

Il est, avec Roch Marc Christian Kaboré, l’un des deux favoris à la présidentielle du 29 novembre. Candidat sous la bannière de l’UPC, l’ancien chef de file de l’opposition sait que mieux vaut ne fermer aucune porte, pas même au CDP…

Zéphirin Diabré, le 31 octobre 2014 à Ouagadougou. © Issouf Sanogo / AFP

Zéphirin Diabré, le 31 octobre 2014 à Ouagadougou. © Issouf Sanogo / AFP

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 24 novembre 2015 Lecture : 7 minutes.

Il a patiemment jalonné le chemin devant le mener au palais de Kosyam. Chef de l’opposition de 2012 jusqu’à la chute de Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, Zéphirin Diabré, 56 ans, a été un des meneurs de la lutte contre le projet de modification constitutionnelle qui devait permettre à l’ancien président de se maintenir au pouvoir. Aujourd’hui candidat de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) à la présidentielle du 29 novembre, c’est un homme pondéré et prudent, plus que jamais concentré sur son objectif.

Pas question de commettre un faux pas si près du but. Il évite soigneusement de critiquer son rival annoncé, Roch Marc Christian Kaboré, et appelle au rassemblement derrière sa propre candidature… Sans fermer la porte à un rapprochement avec le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré.

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Jeune Afrique : Quelles seront vos priorités si vous êtes élu ?

Zéphirin Diabré : Nous sommes dans une situation où tout est prioritaire. Notre pays rencontre de grandes difficultés de développement et chaque question a son importance. Dans le programme que je propose, nous avons listé onze priorités. Parmi elles figurent notamment les aspirations de la jeunesse, l’accès à des soins de qualité et à des services sociaux de base ou encore la lutte contre la corruption et l’impunité.

Quelles relations entretenez-vous avec Roch Marc Christian Kaboré, dont tout le monde prédit que vous le retrouverez au second tour ?

Nous avons des relations d’hommes politiques. Nous avons eu à cheminer ensemble dans le cadre de l’opposition. Notre collaboration est à saluer car elle a permis d’obtenir le changement. Je n’ai pas d’autres commentaires à faire sur cette question.

Le MPP et les autres formations politiques, notamment celles de l’ancienne opposition, seront associés à l’action du gouvernement que je conduirai

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Pourriez-vous, en cas de victoire ou de défaite, collaborer avec lui ?

J’ai déjà dit que si nous gagnons, nous procéderons au rassemblement des forces politiques du pays. Nous avons besoin de toutes les énergies pour construire le Burkina nouveau. Le MPP [le Mouvement du peuple pour le progrès, le parti de Kaboré] et les autres formations politiques, notamment celles de l’ancienne opposition, seront associés à l’action du gouvernement que je conduirai.

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Et si vous perdez ?

Nous verrons le moment venu. Cela dépendra des dispositions de celui qui aura gagné.

Kaboré n’a claqué la porte du CDP qu’en janvier 2014. Le considérez-vous comme un véritable opposant à Blaise Compaoré ou comme un opportuniste ?

Je ne rentre pas dans ce débat. Je ne parle que de moi et de mon projet de société.

Lui est mossi – il appartient à l’ethnie majoritaire au Burkina. Vous êtes bissa. Est-ce un désavantage ?

Ce genre de questions ne me préoccupe pas.

Avec qui pourriez-vous passer des alliances si vous vous qualifiez au second tour ?

Plusieurs partis se sont déjà ralliés à ma candidature. Pour le second tour, tout dépendra des circonstances.

Il y a bien des candidats avec lesquels vous avez plus d’affinités…

J’ai des affinités avec tout le monde puisque tout le monde ou presque était membre de l’opposition lorsque je la dirigeais ! Je n’aurai donc aucun problème à m’entendre avec qui que ce soit.

Fallait-il exclure le CDP de la présidentielle et des législatives ?

Ce débat est dépassé. C’est une loi adoptée par le CNT [Conseil national de transition, le Parlement intérimaire]. Comme toute loi, elle peut être dure mais elle doit être appliquée. Beaucoup de ceux qui ont été exclus l’ont bien compris et l’ont accepté. J’ajoute qu’ils ont été mis à l’écart en tant qu’individus ; aucun parti politique n’a été exclu.

Je rencontre beaucoup de responsables de parti, y compris ceux du CDP

Mais avez-vous personnellement approuvé cette loi ?

Notre parti est au CNT et il a voté pour cette loi.

Avez-vous eu récemment des contacts avec des responsables du CDP ?

Je rencontre beaucoup de responsables de parti, y compris ceux du CDP, à diverses occasions, mais nous n’avons pas eu de réunion formelle.

Seriez-vous prêt à accepter leur soutien pour être élu ?

Je ne refuse le soutien de personne. Mais à l’heure où je vous parle, je n’ai pas fait de démarche pour demander le soutien de ce parti.

Vous n’excluez donc pas une alliance avec le CDP…

Je vous dis que tous les partis qui accepteront de soutenir l’action que je mène seront les bienvenus sur la base du programme que j’ai défini. Certains se sont déjà manifestés. Si la liste s’allonge, je n’ai pas à rougir de cela.

Comment expliquez-vous la tentative de coup d’État de la mi-septembre ?

Je n’en ai pas été un acteur. Comme beaucoup, j’ai même été surpris.

Faut-il réorganiser l’armée maintenant que le régiment de sécurité présidentielle (RSP) a été dissous ?

Il faut la professionnaliser et la rendre plus républicaine. Il faut faire en sorte que l’ensemble de cette armée se mette définitivement au service du peuple. Il y a là un grand chantier qui fera partie des réformes que nous mettrons en œuvre si nous accédons au pouvoir.

Il n’y a plus de garde présidentielle depuis la dissolution du RSP. Que proposez-vous à la place ?

Il est clair qu’un chef d’État a besoin d’un système de protection autour de lui. C’est valable dans tous les pays. Mais il faudra réfléchir à la composition de cette unité, faire en sorte qu’elle comporte des éléments de l’ensemble des forces de sécurité du Burkina et mettre en place des garde-fous pour qu’elle ne devienne pas une garde prétorienne au service d’un seul homme.

Si je suis élu, je lancerai un débat national pour proposer une nouvelle Constitution, ce qui impliquerait donc le passage à une Ve République

Êtes-vous favorable au passage à une Ve République ?

Oui, mais la question est surtout de savoir si la Constitution actuelle doit être révisée, voire remplacée. J’ai dit très clairement que, si je suis élu, je lancerai un débat national pour examiner le texte actuel, pour tirer les enseignements des dernières décennies et sans doute proposer une nouvelle Constitution, ce qui impliquerait donc le passage à une Ve République.

Votre parti a laissé entendre que des fraudes avaient cours avant la tentative de coup d’État du RSP. Craignez-vous toujours des tentatives de triche lors des scrutins à venir ?

Ce n’est pas à exclure. La fraude fait malheureusement partie de l’histoire politique de notre pays. Il faut être naïf pour croire que ces manières de faire ont disparu du jour au lendemain.

Blaise Compaoré doit-il rentrer au pays ?

C’est à lui de voir : il y a un certain nombre de procédures en cours le concernant. À lui de dire s’il souhaite malgré tout rentrer ou pas.

Est-il un justiciable comme les autres ?

Oui. Être ancien chef d’État ne veut pas dire qu’on est au dessus de la loi.

Comment définiriez-vous votre ligne politique ?

Notre parti s’est déclaré social-libéral. C’est la ligne politique qui a inspiré tous nos débats sur la pauvreté ou le développement. Nous croyons à l’économie de marché et nous pensons que l’initiative privée doit être un moteur de la croissance. Mais en même temps, les fruits de cette croissance doivent être redistribués de manière beaucoup plus équitable.

Que pensez-vous de l’œuvre de réhabilitation en cours de Thomas Sankara ?

Je ne suis pas sankariste, tout le monde le sait, mais Sankara a eu à diriger notre pays : il a fait de bonnes choses, même s’il a aussi commis des erreurs. Il fait partie de notre histoire et il est normal que l’on se souvienne de lui. Il faut que ceux qui ont géré ce pays soient reconnus pour les actes positifs qu’ils ont posés.

Y compris Blaise Compaoré ?

Oui, si l’Histoire établit qu’il a fait des choses positives.

Qu’y a-t-il de positif dans son bilan ?

Nous sortons d’une insurrection, il est trop tôt pour répondre. Mais nous pouvons tout de même mettre à son crédit une grande stabilité politique pendant plus de deux décennies ; nos relations avec la communauté internationale ont aussi permis d’engranger un certain nombre de ressources. Il y a aussi le revers de la médaille, que vous connaissez bien, et qui a motivé le combat que nous avons mené pour le changement.

Nous pouvons féliciter Michel Kafando et Isaac Zida pour le travail abattu

Quel bilan tirez-vous de cette année de transition ?

Il est globalement positif. Une transition n’est pas facile à gérer : le président et le Premier ministre sont arrivés dans un contexte de postinsurrection, où il y avait beaucoup d’attentes. Ils ont fait face à des problèmes sécuritaires importants jusqu’à ce coup d’État, qui a été le point d’orgue de plusieurs mutineries au sein du RSP. Nous pouvons féliciter Michel Kafando et Isaac Zida pour le travail abattu, dont le couronnement sera l’organisation des élections.

Pensez-vous que vous aurez à recroiser Isaac Zida dans l’arène politique burkinabè dans les années à venir ?

Je ne suis pas dans ses confidences, mais c’est un citoyen comme un autre. S’il souhaite continuer en politique, il en a le droit.

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