Les Libyens veulent reprendre la main sur leurs investissements en Afrique
Malgré le chaos politique et sécuritaire dans leur pays, les dirigeants officiels de la Libyan Investment Authority se démènent pour restructurer et redynamiser les actifs du fonds souverain sur le continent.
Publié le 27 novembre 2015 Lecture : 8 minutes.
C’est le leitmotiv de Hassan Bouhadi depuis quelques mois : reprendre la main sur les nombreux investissements réalisés par le fonds souverain libyen en Afrique durant le règne de Mouammar Kadhafi et qui, depuis la chute de ce dernier, sont en souffrance ou repris par certains États. Nommé en octobre 2014 à la tête de la Libyan Investment Authority (LIA) par le gouvernement de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale mais dont le mandat a expiré le 20 octobre dernier, il est contesté par le gouvernement de Tripoli. Actuellement basé à Malte pour des raisons de sécurité, cet ingénieur formé à Londres est, selon son entourage, déterminé et prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour recouvrer les avoirs libyens.
Alors qu’une grande partie de l’ensemble des actifs détenus par la LIA, valorisés à 67 milliards de dollars (62,4 milliards d’euros), sont encore sous sanction, gelés par les Nations unies, les dirigeants du fonds assurent que ceux situés sur le continent sont toujours opérationnels. Les équipes de toutes ses filiales actives en Afrique sont ainsi mobilisées avec pour objectif de « revoir leur approche et de faire en sorte que leurs investissements soient gérés le plus efficacement possible », nous indique-t-on dans l’entourage de Hassan Bouhadi. Alors que la Libye semble plongée dans le chaos politique et sécuritaire, Jeune Afrique fait le point sur ce que deviennent les investissements de son fonds souverain sur le continent, dans quatre secteurs-clés.
Télécoms
C’est notamment dans ce secteur que la LIA a récemment mené l’offensive. En juillet, elle a lancé des actions contre quatre pays africains – le Rwanda, le Tchad, la Zambie et le Niger – qui ont nationalisé ses filiales dans les télécoms. « Des procédures sont en cours », nous confie sans plus de détails une source proche du dossier qui soutient que ces procédures ont été soit lancées auprès de la justice des pays concernés, soit ouvertes sous forme de programmes de règlement de contentieux.
D’après nos informations, au Niger, le différend porte sur la reprise de la Société nigérienne des télécommunications (Sonitel) par l’opérateur libyen LAP GreenN et pour laquelle un accord avait été conclu en janvier 2011. La Libye devait payer un bonus de 31 milliards de F CFA (environ 47,3 millions d’euros) au Niger dans les quarante-cinq jours suivant la signature de l’accord et mettre en place un programme d’investissement de 55 milliards de F CFA sur cinq ans.
Faisel Gergab, le président de LPTIC s’est rendu en Côte d’Ivoire pour régler une partie – 20 % – des dettes de l’opérateur, qui avoisinent en tout 9 milliards de F CFA
Mais, en février, le soulèvement contre le régime de Kadhafi a empêché la Libye de tenir ses engagements, obligeant le Niger à reprendre le contrôle de la société. « Aujourd’hui, les Libyens mettent en avant un cas de force majeure, comme le prévoit une clause de l’accord conclu en janvier 2011, pour réclamer la reprise de Sonitel », nous explique un conseiller à la présidence du Niger, qui avait participé aux négociations.
Depuis quelques mois, la LIA tente de relancer l’opérateur de téléphonie mobile LAP GreenN, aujourd’hui actif dans trois pays. En août, elle a ainsi cédé les actions détenues dans cette entreprise par sa filiale Libya Africa Investment Portfolio (LAP) à la Société libyenne des postes, des télécommunications et des technologies de l’information (LPTIC). Fin septembre, par exemple, Faisel Gergab, le président de LPTIC et par ailleurs membre du comité de direction de la LIA mené par Hassan Bouhadi, s’est rendu en Côte d’Ivoire pour régler une partie – 20 % – des dettes de l’opérateur, qui avoisinent en tout 9 milliards de F CFA.
LAP GreenN, qui, pénalisé par les troubles politiques en Libye, n’a pas pu passer à la 3G en Côte d’Ivoire, cherche ainsi à se mettre en règle vis-à-vis des autorités du pays. Son objectif : se donner toutes les chances de décrocher la quatrième licence globale pour laquelle l’État a lancé un appel d’offres.
Hôtellerie & immobilier
D’après nos informations, Hassan Bouhadi et son équipe ont mis en place un groupe de travail pour revoir les investissements de la LIA dans certains pays, comme la Tunisie, ou le fonds souverain détient des actifs dans le tourisme et l’immobilier. Sur le continent, c’est sans doute dans ces deux secteurs que la Libye de Kadhafi avait le plus investi via la Libyan Foreign Investment Company (Lafico), une autre filiale du fonds souverain.
Mais plus de quatre ans après la chute du dictateur, un nombre important de ces actifs connaissent des difficultés et de nombreux projets ont été gelés. Au Mali, autrefois considéré comme la principale terre d’accueil des investissements de Tripoli en Afrique subsaharienne, sur quatre établissements hôteliers libyens, seul l’hôtel de l’Amitié fonctionne aujourd’hui. Et ce grâce notamment à la Minusma, qui paie environ 800 000 millions de F CFA par mois pour y loger ses troupes.
Et, au Togo, les autorités ont dû employer la manière forte pour reprendre le contrôle de l’hôtel du 2-Février, autrefois géré par Sofitel. Laico avait repris cet établissement en 2006 en transformant en actions un prêt de 15 millions de dollars accordé au gouvernement de ce pays quelques années plus tôt. Mais la filiale du fonds souverain libyen n’a pu respecter son engagement de rénover cet établissement de 36 étages et de relancer rapidement son exploitation. Les bouleversements en Libye et l’instabilité qui y règne depuis n’ont rien arrangé.
Après avoir confié une étude sur l’opportunité juridique de la manœuvre à des avocats locaux et français, le Togo fait voter une loi de nationalisation le 6 novembre 2014, qui prévoit néanmoins l’indemnisation des actionnaires libyens. Après des mois de négociations et parfois de descentes musclées des forces de l’ordre sur le site ou étaient installés les bureaux locaux de Laico, les deux parties trouvent finalement un accord. L’hôtel du 2-Février est aujourd’hui à 100 % la propriété de l’État togolais, qui a confié sa rénovation au groupe sud-africain ZPC. Et son exploitation – à partir de décembre – au mauricien Kalyan Hospitality Development Limited, sous la marque Radisson Blu.
La chute du régime Kadhafi et les changements politiques n’ont absolument rien changé à notre relation avec la LIA, indique Abdellatif Kabbaj
Désormais, la LIA semble miser davantage sur l’Afrique du Nord, où la situation est plus favorable. « Cinq de nos dix hôtels appartiennent au fonds souverain libyen, avec qui nous travaillons depuis 2009 dans le cadre d’un partenariat signé pour quinze ans, indique Abdellatif Kabbaj, président du groupe Kenzi Hotels, basé à Marrakech. La chute du régime Kadhafi et les changements politiques n’ont absolument rien changé à notre relation avec la LIA, qui consiste essentiellement à lui régler des loyers pour les établissements que nous gérons et dont elle est propriétaire. C’est la même équipe qui est en place depuis le début de notre collaboration. »
Énergie
Alors qu’une libéralisation des prix des produits pétroliers est en cours au Maroc, en Tunisie et au Sénégal, le fonds souverain libyen incite sa filiale OilLibya à se renforcer dans ces pays. Gérée depuis Dubaï, cette dernière est l’une des rares entreprises libyennes qui se portent plutôt bien sur le continent. Au Maroc, l’un de ses principaux marchés (elle y est quatrième en termes de part de marché), la société a vu ses revenus passer de 4 milliards de dirhams (environ 355,8 millions d’euros) au cours de l’année précédant la révolution libyenne à 6 milliards en 2014.
Autrefois dénommé Tamoil, le groupe de distribution de carburants a commencé ses activités hors de la Libye dans des pays limitrophes, le Tchad et le Niger, puis au Burkina Faso
Entièrement détenu par OilInvest Group (qui lui-même est une filiale de la LIA), OilLibya est dirigé par le Franco-Libyen Ibrahim Bugaighis. Et est aujourd’hui présent dans 18 pays sur le continent, où il compte 1 022 stations-service et emploie plus de 1 500 personnes. Autrefois dénommé Tamoil, le groupe de distribution de carburants a commencé ses activités hors de la Libye dans des pays limitrophes, le Tchad et le Niger, puis au Burkina Faso, avant de poursuivre sa croissance par des acquisitions. Il a ainsi racheté successivement, entre 2004 et 2008, les filiales de Shell au Niger, au Tchad, à Djibouti, en Éthiopie et au Soudan, et celles d’ExxonMobil au Niger, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Cameroun, au Kenya, en Tunisie et au Maroc.
Agriculture
Selon nos informations, dans le domaine de l’agriculture, l’Afrique du Nord semble être la priorité de Hassan Bouhadi et de ses équipes de la LIA. Et notamment l’Égypte, un des principaux exportateurs africains de fruits et légumes. La Libye y a fait des investissements dans ce secteur, en particulier dans l’une des plus grandes fermes du pays.
En Afrique subsaharienne, la plupart des projets sont en souffrance ou tout simplement abandonnés, comme le projet public-privé Malibya. Lancé en 2008 au Mali, il prévoyait l’aménagement, pour un coût d’environ 56 milliards de FCFA, de plus de 100 000 hectares de terres au sein des vastes périmètres rizicoles de l’Office du Niger, la rice belt malienne, située dans la région de Ségou, quatrième du pays.
Un fonds, deux patrons
Qui dirige vraiment le fonds souverain libyen ? La réponse à cette question est loin d’être évidente. À l’instar du pays lui-même, la Libyan Investment Authority est divisée entre deux patrons. Hassan Bouhadi, nommé par le gouvernement reconnu par la communauté internationale mais dont le mandat a expiré le 20 octobre, est certes le plus actif sur le front de la reprise du contrôle des investissements libyens à l’étranger. Mais sa légitimité est loin de faire l’unanimité.
Légitimité surtout contestée par Abdulmagid Breish, son rival, basé à Tripoli mais qui révendique son indépendance vis-à-vis du gouvernement qui y est installé. Cet ancien banquier, qui a travaillé à la Libyan Arab Foreign Bank et à l’Arab Banking Corporation, avait été nommé à la tête du fonds souverain en juin 2013, lorsque le pays avait un seul gouvernement. Mais accusé d’avoir collaboré avec le régime de Kadhafi, il affirme avoir choisi de se retirer de ses fonctions dans le soucis de respecter la loi sur l’isolation politique et administrative. Blanchi à la suite d’un procès en appel, il revendique ce poste depuis avril dernier.
En attendant que cette bataille des chefs soit résolue, les deux hommes ont accepté en juillet de mettre de côté leur différend et de donner la priorité aux intérêts du fonds libyen. Via leurs avocats respectifs, ils ont nommé BDO, le cabinet international d’audit et de conseil, en tant que récepteur et gestionnaire des dossiers litigieux du fonds souverain libyen concernant l’Europe.
En Afrique, les deux parties ne sont pas forcément d’accord. Tandis que Hassan Bouhari et ses équipes n’hésitent pas à engager des procès pour récupérer les actifs libyens, Mohsen Derregia, le patron de Libya Africa Investment Portfolio (LAP), proche de Abdulmagid Breish, soutient : « Une action en justice ne devrait pas être notre première approche. D’autant que dans certains cas les États nous ont restitué nos actifs après la révolution. »
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