Djibouti : présidentielle en ligne de mire

Un pays en paix, de solides soutiens étrangers, des projets d’infrastructures à tout-va… Ismaïl Omar Guelleh a beaucoup d’atouts en main pour le scrutin de 2016. L’opposition, revigorée, cherche encore son champion.

Manifestation de soutien au chef de l’État, le 1er novembre, à Djibouti. © ABOU HALLOYTA

Manifestation de soutien au chef de l’État, le 1er novembre, à Djibouti. © ABOU HALLOYTA

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 23 novembre 2015 Lecture : 6 minutes.

Les grandes manœuvres ont commencé. Même si le casting des candidats n’est toujours pas officiellement connu, les esprits sont déjà tournés vers l’élection présidentielle d’avril 2016.

Au pouvoir depuis 1999, le président Ismaïl Omar Guelleh (IOG), 68 ans, semble bien parti pour se succéder à lui-même pour un quatrième mandat qui devrait aussi être le dernier. Contrairement à ses homologues d’Afrique centrale, il n’a rien à craindre de la rue : la Constitution a été révisée en 2010 pour supprimer la limitation du nombre de mandats à deux. À l’époque, cette initiative avait été justifiée par la « peur du vide ». Il fallait laisser au chef de l’État djiboutien le temps d’achever les grands chantiers qu’il avait entrepris et de préparer la relève.

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IOG, le favori pour la présidentielle en 2016

Cinq ans plus tard, la situation n’a pas vraiment changé. Réélu très confortablement en 2011 avec 80 % des voix, il risque néanmoins d’être confronté à une opposition revigorée. Créée quelques semaines avant les législatives de février 2013, l’Union pour le salut national (USN), une coalition de huit partis – dont certains ne sont pas reconnus par le pouvoir -, avait réalisé une percée en décrochant 10 des 65 sièges au Parlement, marquant au passage un très bon score dans la capitale.

Un résultat suffisant pour suggérer une certaine usure du Rassemblement populaire pour le progrès (RPP), le parti présidentiel. Mais pour que l’opposition, qui n’a pas encore officiellement annoncé sa participation au scrutin, puisse espérer profiter de ce succès l’an prochain, elle doit se trouver une stratégie et un candidat unique.

D’ici là, le président Guelleh reste le grand favori. Il peut déjà compter sur les milieux d’affaires, qui ne jurent que par la stabilité qu’il représente pour Djibouti, îlot de tranquillité dans une corne de l’Afrique déchirée par les conflits (Somalie, Érythrée-Éthiopie, Soudan du Sud, et maintenant Yémen). IOG a su tirer parti avec intelligence des circonstances (les attentats du 11 septembre 2001 et le regain d’intérêt américain pour la zone) afin de diversifier les partenariats militaires de l’État, et de sortir de son tête-à-tête stratégique avec la France, longtemps restée le seul pays à disposer d’une base sur son territoire.

Mohamed Ali Houmed © Abou Halloyta

Mohamed Ali Houmed © Abou Halloyta

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Aujourd’hui, c’est l’embouteillage ! Aux 1 900 Français et aux 5 000 Américains présents sur ce territoire de 23 000 km2 s’ajoutent des contingents italien, espagnol, allemand, japonais… Et bientôt chinois, puisque Pékin ouvrira très prochainement une base navale à Obock, dans le nord du pays.

« Pour les Djiboutiens, l’engagement pour la paix et la réconciliation nationale sont les premières choses à mettre à l’actif du président Ismaïl Omar Guelleh », rappelle Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères et secrétaire général adjoint du RPP. IOG est derrière les accords de paix signés en décembre 1994 et en mai 2001 avec l’ex-rébellion du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud) qui ont mis un terme au douloureux épisode de la guerre civile. « Le président n’a jamais abandonné son bâton de pèlerin, que ce soit à l’intérieur du pays ou dans la région, poursuit le ministre. Les chantiers de développement qu’il a lancés et qui ont transformé le visage de Djibouti n’auraient jamais vu le jour s’il n’y avait eu, au préalable, la paix. »

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Le bilan économique

À l’heure du bilan, les efforts déployés par IOG pour remodeler et dynamiser l’économie de Djibouti et l’inscrire dans la mondialisation risquent également de peser dans la balance. Le pays, longtemps dépendant de la rente – portuaire et stratégique -, est en passe de devenir une -plateforme régionale de transport et de logistique. Il s’est ouvert aux investissements directs étrangers, arabes puis chinois, qui se sont matérialisés par l’extension et la modernisation du port à conteneurs, la construction de nouveaux terminaux et d’un terminal pétrolier, pendant que Tadjourah s’équipait d’un port minéralier.

Les retombées en matière d’emplois se font toujours attendre dans certaines couches de la société

Nouvel aéroport, nouvelle zone franche, remise en service du chemin de fer vers Addis-Abeba, pipelines, centrales géothermiques : les grands projets structurants se comptent par dizaines et débordent de la capitale pour atteindre l’ensemble des régions. Les chiffres, qui s’égrènent en milliards de dollars, donnent le vertige, même si les retombées en matière d’emplois se font toujours attendre dans certaines couches de la société.

Djibouti réussit enfin à exploiter sa position géographique privilégiée et à tirer profit du boom de l’Éthiopie voisine, en passe de devenir l’économie la plus attractive du continent. « Le pari de l’intégration économique avec l’Éthiopie était courageux, car Djibouti a longtemps cultivé un certain isolationnisme, de peur d’être subjugué par son grand voisin, observe un diplomate européen. Psychologiquement, il fallait se défaire de cette mentalité de « citadelle assiégée » afin d’exploiter les immenses opportunités offertes par ce marché. »

Le chef de l’État français a poliment décliné, en répondant que les entreprises tricolores n’en avaient pas les moyens

Le seul regret concerne l’attitude de la France : idéalement placée au départ pour donner naissance à ce mouvement et l’accompagner, elle n’a pas voulu suivre. « Le président Guelleh est d’abord allé voir son ami Jacques Chirac, au début des années 2000, pour lui demander que la France finance un nouveau port, explique un conseiller d’IOG. Le chef de l’État français a poliment décliné, en répondant que les entreprises tricolores n’en avaient pas les moyens. IOG est donc allé frapper à la porte du cheikh Maktoum de Dubaï, qui ne s’est pas fait prier. »

La démocratisation du pays, le plus grand chantier

L’ultime chantier – peut-être le plus délicat à mener – ne porte pourtant pas sur l’économie, mais sur la démocratisation du pays. Les rapports entre le pouvoir et l’opposition ont longtemps été heurtés et restent crispés, en dépit de la signature le 30 décembre 2014 de l’accord-cadre sur le dialogue politique, qui a permis aux dix députés de l’USN d’intégrer le Parlement élu en 2013. L’opposition avait en effet suspendu sa participation pour dénoncer les irrégularités qui avaient émaillé ce scrutin. Pour la première fois de son histoire, la République de Djibouti est aujourd’hui sortie de la logique du parti unique de fait, avec l’avènement d’une Assemblée pluraliste.

Le règlement intérieur sera refondu pour tenir compte de l’arrivée de l’opposition dans l’hémicycle

Autre nouveauté : l’élection à sa tête d’un représentant du Frud, en la personne de Mohamed Ali Houmed. Certes, l’ex-rébellion appartient à la majorité présidentielle (UMP), mais le symbole reste puissant, car c’est la première fois que la fonction échappe au RPP. Les dix députés de l’opposition ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils ont voté sans ciller en faveur de Mohamed Ali Houmed.

Le nouveau locataire du perchoir veut doter le pouvoir législatif des moyens juridiques, matériels et humains adéquats pour enraciner une démocratie parlementaire à Djibouti. Le règlement intérieur sera refondu pour tenir compte de l’arrivée de l’opposition dans l’hémicycle. Un site web doit voir le jour et même, à terme, une chaîne parlementaire. Enfin, un nouveau bâtiment de bureaux destiné aux députés sera construit sur un terrain adjacent au Palais du peuple.

Les représentants de l’USN veulent qu’elle se substitue au ministère de l’Intérieur et gère l’ensemble du processus électoral pour en garantir l’impartialité

Le rôle du président de l’Assemblée ne s’arrête pas là : il supervise les négociations sur la mise en œuvre des dispositions de l’accord-cadre au sein d’une commission paritaire de huit membres (quatre élus de la majorité et quatre de l’opposition). Si les volets relatifs au statut de l’opposition et au code de bonne conduite sont pratiquement bouclés, les discussions achoppent toujours sur la nature et la mission de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Les représentants de l’USN veulent qu’elle se substitue au ministère de l’Intérieur et gère l’ensemble du processus électoral pour en garantir l’impartialité.

La majorité regimbe. « L’opposition doit faire preuve de réalisme et développer une approche constructive, exhorte Mohamed Ali Houmed. L’organisation des élections est un défi logistique qui ne peut être relevé en quelques mois. Les discussions doivent se poursuivre pour que chacun saisisse l’enjeu réel de cet accord-cadre qui transcende l’échéance d’avril 2016. En réalité, ce processus a pour vocation de transformer les conditions de l’exercice de la démocratie djiboutienne… ».

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