Musique : Natacha Atlas sort du désert avec un album concocté par Ibrahim Maalouf

La diva anglo-égyptienne s’offre une renaissance avec un album jazzy, concocté par le trompettiste, compositeur et producteur Ibrahim Maalouf. Rencontre.

La chanteuse sort un nouvel album, Myriad Road, en collaboration avec Ibrahim Maalouf © Denis Rouvre

La chanteuse sort un nouvel album, Myriad Road, en collaboration avec Ibrahim Maalouf © Denis Rouvre

leo_pajon

Publié le 17 novembre 2015 Lecture : 6 minutes.

Après trente minutes d’entretien, Natacha Atlas retire ses lunettes de soleil. Sous la monture bling-bling – de larges verres fumés ornés d’un nuage de faux diamants -, apparaissent des iris vert-jaune, lumineux. Un long trait d’eye-liner, des paupières lourdement fardées, lui donnent un air de déesse égyptienne. Une Isis un peu fatiguée mais sereine, qui fait parfois durer les silences en sirotant son thé au citron. Nous sommes dans un hôtel cossu du 16e arrondissement de Paris, où elle reçoit pour la promotion de son nouvel album.

Du collectif Transglobal Underground à l’album Mounqaliba

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« Myriad of the roads ahead, leave behind all the tears we shared » (« une infinité de chemins s’offre à nous, laisse nos larmes en arrière »), susurre-t-elle sur la première chanson. Des routes, à 51 ans, la diva world en a parcouru une flopée. Il y a eu les chemins de traverse, lorsqu’elle était la chanteuse (et la danseuse du ventre) des bidouilleurs électro du collectif Transglobal Underground, au début des années 1990. Il y a aussi eu les sentiers de la gloire qui se sont ouverts à elle avec ses premiers albums solos, Diaspora, Halim (hommage au chanteur égyptien Abdel Halim Hafez) et Gedida.

Son avant-dernier album, Mounqaliba, sorti en 2010, avec des orchestrations sages et classiques, n’enregistre qu’un succès timide malgré une presse dithyrambique

La soprano perfectionne alors la recette de son succès : un mélange de beat robotique percutant et de chant traditionnel arabe. Il y a aussi eu les grandes autoroutes de la variété, où la chanteuse va gagner en popularité et perdre en mordant. Sa reprise orientalisante de « Mon amie la rose », d’abord interprétée par Françoise Hardy, la fait connaître du grand public français et lui vaut de remporter une Victoire de la musique. Il s’agit toujours aujourd’hui de son titre le plus écouté sur internet. Dans les années 2000, le succès de « la rose pop du Caire » fane un peu. Et ce malgré un Best of, des bouquets de remixes plus ou moins inspirés (« Ne me quitte pas », « I Put a Spell On You »…), ou des collaborations détonantes (avec Sinéad O’Connor, notamment). Son avant-dernier album, Mounqaliba, sorti en 2010, avec des orchestrations sages et classiques, n’enregistre qu’un succès timide malgré une presse dithyrambique.

La collaboration avec Ibrahim Maalouf

La voilà donc de retour pour défendre Myriad Road. Les photos du portraitiste Denis Rouvre la montrent pieds nus, dans une robe noire, l’air détaché. Une sobriété de nonne pour cette femme-mirage qui avait réactivé le fantasme oriental des deux côtés de la Méditerranée et habitué son public à des tenues bariolées très décolletées. « J’aime toujours mes robes à paillettes, mais cette fois, je les ai laissées au placard », précise la charmeuse avant de raconter une anecdote. « Le créateur Christian Louboutin m’a dit qu’un jour la police égyptienne qui recherchait un voleur avait dû fouiller la somptueuse villa qu’il possède près de Louxor. Dans son bureau, il avait ce portrait de moi par Youssef Nabil, un portrait très sensuel, tenant un narguilé au niveau de la poitrine. Lorsque la police est partie il a retrouvé le cadre, mais pas la photo ! »

Ibrahim Maalouf, décidément très convaincant, réussit aussi à la faire chanter en anglais sur la quasi-totalité des titres

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Sur d’autres portraits récents disponibles pour la presse, elle pose avec le trompettiste et pianiste franco-libanais Ibrahim Maalouf. C’est ce multi-instrumentiste puisant dans le jazz et les musiques du monde qui est à l’origine du nouveau disque. « Nous nous étions déjà rencontrés, mais nous nous sommes vraiment parlé pour la première fois il y a trois ans lors d’un concert, à Istanbul, du oudiste Smadj, que l’on retrouve sur l’album, précise Natacha Atlas. Nous sommes tous les deux le produit d’une dualité, à mi-chemin entre l’Orient et l’Occident, nous avons des goûts communs pour la musique d’Oum Kalsoum, de Fairuz ou des Libanais de Soap Kills. Nous avions naturellement beaucoup de choses à nous dire. »

Très entreprenant, Ibrahim Maalouf invite la chanteuse à réaliser un album. « J’avais déjà « flirté » avec le jazz lorsque j’ai repris « It’s a Man’s Man’s Man’s World » ou encore « Riverman », de Nick Drake, mais cela restait un univers très éloigné de moi. Mon langage musical n’est pas le même que celui d’un Thelonious Monk ou d’un Lennie Tristano. Mais Ibrahim, avec son « sexy smile », a su me caresser et me persuader qu’il y avait de la place pour moi dans ce style. Cela n’a pas été facile, et j’avais parfois envie de l’étrangler gentiment », ironise la quinqua avec un sourire de midinette. Le Libanais, décidément très convaincant, réussit aussi à la faire chanter en anglais sur la quasi-totalité des titres.

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Son rapport à la spiritualité

Bref, avec cet album, la chanteuse née de l’union d’un médecin juif égyptien et d’une costumière british s’éloigne un peu du Nil pour se rapprocher de la Tamise. En 1996, elle avait tenté de s’installer au Caire. L’expérience avait duré six ans. « À l’époque, le Moyen-Orient n’était pas prêt pour ce que je proposais, estime-t-elle. Maintenant c’est différent, la scène musicale s’est modernisée, il n’y a qu’à voir la création du Cairo Jazz Festival. » Sa plus belle expérience scénique, elle l’a vécu au El Genaina Theatre, cet amphithéâtre cairote à ciel ouvert. « Je n’ai jamais reçu autant d’amour qu’avec ce public-là, c’était comme si je retournais chez mes parents. » L’artiste est née à Bruxelles, mais elle s’est régulièrement rendue chez son oncle égyptien, compositeur et joueur de oud. « J’étais très proche de lui, plus que de mon propre père. Depuis qu’il est mort, il y a dix ans, j’ai beaucoup de mal à retourner là-bas. »

Je regrette la vision du monde très manichéenne portée par une partie des musulmans. Les religions sont responsables de la plupart des grands conflits… Il faut rester ouvert à d’autres formes de spiritualité, explique-t-elle

Une autre disparition, celle de sa mère, en 2006, l’affecte profondément. Natacha Atlas, convertie à l’islam, commence à prendre de la hauteur. Aujourd’hui, elle se dit toujours attirée par l’ésotérisme du soufisme, mais préfère la méditation à la prière. « Je regrette la vision du monde très manichéenne portée par une partie des musulmans. Les religions sont responsables de la plupart des grands conflits… Il faut rester ouvert à d’autres formes de spiritualité. » Sur la dernière chanson de l’album, « Hikma », Natacha Atlas met en scène un garçon qui cherche la voie de la vérité. Il demande à un sage : « Comment trouver le bon chemin ? ». « Connais-toi par toi-même et pour toi-même », répond le vieil homme. « Ce sont des questions qu’on pose rarement dans le monde arabe, regrette-t-elle. Il faut laisser de la place à l’introspection. »

Chez elle à Londres, en tournée dans les hôtels ou en coulisses, elle chante aujourd’hui des mantras méditatifs hindous. Elle aimerait que les hommes développent leur intelligence émotionnelle, fassent taire leurs dissensions, respectent la planète. En s’accordant un album aux antipodes de son style habituel, l’artiste new age s’offre en fait un nouveau départ. « Être quelqu’un de nouveau, pouvoir tout recommencer, oui, c’est mon grand fantasme », avoue-t-elle dans un rire gourmand. Et on jurerait alors que ses grands yeux pleins de candeur sont ceux d’une jeune fille.

Jazz des sables

Si vous êtes un inconditionnel de Natacha Atlas, Myriad Road risque de vous désarçonner. La soprano y chante principalement en anglais, accompagnée par un quintet de haut vol (Ibrahim Maalouf à la trompette, mais aussi André Ceccarelli à la batterie et Vincent Ségal au violoncelle), sur des arrangements dignes d’un classique de cool jazz.

N’étaient quelques ornementations musicales arabisantes à la voix, on aurait du mal à la reconnaître. L’ensemble est doux, agréable, inventif, et réserve quelques surprises (comme l’incursion du oud sur le titre « Nafs El Hikaya »), mais les fans des premiers albums regretteront que l’ex-petite princesse de l’underground ait perdu de son piquant. Qu’ils se rassurent : un album électro est actuellement en préparation.

Ntacha Atlas, Myriad Road © DR

Ntacha Atlas, Myriad Road © DR

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