Infrastructures : comment Djibouti veut retrouver son lustre d’antan

Renaissance du chemin de fer, construction de quartiers résidentiels, rénovation du patrimoine… L’État ne lésine pas sur les moyens pour rendre à la capitale son lustre d’antan et attirer les visiteurs.

La nouvelle gare est située à Nagad, à 10 km au sud du centre-ville de Djibouti. © Abou Halloyta

La nouvelle gare est située à Nagad, à 10 km au sud du centre-ville de Djibouti. © Abou Halloyta

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Publié le 2 décembre 2015 Lecture : 6 minutes.

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Djibouti : quel avenir ?

À cinq mois de la présidentielle et dans un environnement chaotique, le pays confirme sa position de plateforme militaire et commerciale. Beaucoup reste cependant à faire en matière de développement et de démocratisation.

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Après une pause que beaucoup croyaient éternelle, les rails du chemin de fer qui relie Djibouti à Addis-Abeba en 784 km depuis 1917 chantent à nouveau. Aucun convoi n’avait emprunté ces voies depuis 2002, moment où les perspectives semblaient prometteuses, entre l’éveil de l’Éthiopie et les projets portuaires en gestation dans la baie de Djibouti. Mais, faute d’entretien et d’investissements, les tarifs et les délais d’acheminement étaient beaucoup trop élevés pour attirer le chaland. « Une tonne de fret transportée par rail coûtait le double de celle qui empruntait la route. Et, surtout, elle mettait trois fois plus de temps », se souvient un transitaire djiboutien.

Un train ancré dans l’imaginaire local

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L’arrivée d’un repreneur aussi solide que sont tendus les flux de marchandises entre les deux capitales ces dernières années a finalement permis de débloquer la situation et de relancer la machine. Financées à hauteur de 440 millions d’euros par China Exim Bank et réalisées par China Civil Engineering Construction Corporation, la modernisation et l’électrification de la ligne, entamées en 2013, arrivent à leur terme.

Fin août, un premier convoi a circulé sur les 82 km du tronçon djiboutien. Le coup d’essai s’est révélé un coup de maître et tout le monde semble plus que jamais motivé pour finir les travaux au plus vite afin que les services puissent bien démarrer avant la fin de l’année, comme annoncé. Au sud-est de la capitale, dans le secteur de Nagad, les ouvriers s’activent pour terminer les finitions de la nouvelle gare multimodale, dont la livraison est prévue dès novembre.

Au-delà du millier d’emplois, directs et indirects, créés le long du tracé, le retour du train à Djibouti a surtout valeur de symbole tant il est ancré dans l’imaginaire local. Avec le port, la voie ferrée a longtemps été le poumon économique du pays, en même temps qu’une ligne de vie pour sa population. Dans le sillage du train, c’est tout Djibouti qui pourrait retrouver un peu de son lustre passé. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les autorités ont choisi d’implanter la « nouvelle » gare principale dans la zone d’extension urbaine de Nagad, plutôt que de conserver le site d’origine, situé au cœur de la vieille ville.

La renaissance du train s’inscrit en effet dans celle, plus générale, de l’agglomération, illustrée par le nouveau schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme concocté par les pouvoirs publics. Le précédent datait de 1998 et était, depuis longtemps déjà, caduc.

Le nouveau visage de la capitale © J.A.

Le nouveau visage de la capitale © J.A.

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La capitale concentre aujourd’hui plus de 450 000 habitants, soit un Djiboutien sur deux. Dont une majorité vit à Balbala, l’ancien bidonville devenu ces dernières années une excroissance monstrueuse de la ville. Au rythme actuel, la conurbation pourrait abriter plus de 700 000 personnes en 2028. Certains secteurs, comme le cœur historique de la presqu’île de Ras Dika, sont saturés, alors que tout autour se multiplient les développements urbains anarchiques, dans des zones trop étalées et trop peu densément peuplées – moins de 120 habitants par hectare – pour être correctement aménagées.

Une taxe pour lutter contre le stationnement sauvage sera instaurée en 2016 par la mairie

La création de la municipalité de Djibouti est très récente, les premières élections locales s’étant tenues en 2006. La ville est dotée d’un budget d’une centaine de millions de francs djiboutiens, versés en totalité par l’État, faute d’une fiscalité autonome à laquelle réfléchit le gouvernement mais qui continue de se faire attendre. Une taxe pour lutter contre le stationnement sauvage sera instaurée en 2016 par la mairie, dirigée depuis 2012 par Houssein Abdillahi Kayad, élu sous la bannière d’une liste indépendante.

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Une première expérience qui pourrait en appeler d’autres, puisqu’une véritable réflexion sur la fiscalité locale a été lancée au niveau national. Elle pourrait déboucher sur un triplement du budget municipal. « Nous avons connu des avancées notables en matière de décentralisation, même si nous n’en sommes encore qu’à mi-chemin, note l’édile. Nous avons restructuré les comités de quartier et les associations de riverains, et leur avons donné un nouvel élan. Ils sont nos relais sur le terrain et gèrent de manière transparente les aides diverses tout en nous remontant les doléances de la population. »

Un triple défi

Les autorités sont confrontées à un triple défi. Elles doivent aménager et planifier pour rationaliser le développement urbain ; remédier au déficit de logements tout en résorbant l’habitat précaire ; et, enfin, mettre en œuvre une politique d’embellissement du cadre de vie en donnant une nouvelle jeunesse à un patrimoine architectural complètement décrépit.

L’État a donné l’exemple en rénovant le foncier qui lui appartient. Mais beaucoup d’immeubles du parc privé s’abîment toujours dans la poussière en raison de conflits d’héritage sans fin entre les ayants droit. En atteignant des sommets, la valeur des terrains du centre-ville aiguise les rivalités. Et la tentation de construire en hauteur est fortement réfrénée par la municipalité, qui délivre les permis au compte-gouttes pour les bâtiments de plus de dix étages dans l’espoir de préserver le cachet unique de Djibouti.

Des villas gigantesques, cachées derrière de hauts murs en béton, attendent encore leurs occupants

Elle a moins de scrupules en périphérie. De nouvelles zones résidentielles sont sorties de terre comme des champignons après la pluie pendant la dernière décennie. Haramous s’est par exemple recouvert en quelques années d’ensembles résidentiels aussi confortables qu’impersonnels. Des villas gigantesques, cachées derrière de hauts murs en béton, attendent encore leurs occupants. Les équipements publics sont inexistants le long des larges avenues tirées au cordeau et abruties de chaleur faute d’une quelconque verdure. « L’embellissement de la ville est pourtant une obligation si l’objectif est d’en faire un centre touristique, estime un professionnel. Dans les années 1980, avant l’émergence de Dubaï, Djibouti drainait une clientèle importante provenant des pays limitrophes. Pour faire revenir les gens, et surtout développer le tourisme d’affaires, il faut aménager des promenades, créer des espaces verts. »

Les projets ne manquent pas, tel l’aménagement de la corniche « de Venise », face au vieux port de commerce. Cette bande de terre gagnée sur les eaux du golfe s’est imposée au fil des années comme le lieu de rendez-vous privilégié de la jeunesse locale. À l’écart des quartiers chauds traditionnels qui ont fait la réputation des nuits djiboutiennes dans les corps de garde.

Le chantier le plus avancé est celui de « l’œil de l’Afrique », construit sur le modèle des fameuses palmes dubaïotes.

L’offre devrait également pouvoir s’appuyer rapidement sur deux immenses centres commerciaux, copiés sur les fameux malls si appréciés au Moyen-Orient, et sur plusieurs hôtels de standing dont les travaux ont déjà démarré pour certains. Le chantier le plus avancé est celui de « l’œil de l’Afrique », construit, à une échelle plus réduite, sur le modèle des fameuses palmes dubaïotes. Ses promoteurs, l’entrepreneur local Saïd Del Waïs, patron du groupe Halt, associé pour l’occasion au richissime homme d’affaires chinois Hei Liehui, s’adressent aux classes aisées émergentes du pays et de la sous-région, ainsi qu’aux futurs expatriés des extensions à venir de la zone franche portuaire adjacente. Le marché ne devrait donc pas être aussi étroit que l’annoncent les détracteurs du projet.

En 2006, l’hôtel Kempinski, construit par le groupe émirati Nakheel, suscitait les mêmes commentaires sceptiques. Beaucoup craignaient que le palace, qui avait coûté la bagatelle de 150 millions de dollars, ne disparaisse sous le sable une fois terminée la réunion des chefs d’État de l’Afrique de l’Est qui avait justifié sa réalisation. Bientôt dix ans plus tard, l’établissement ne désemplit pas et semble avoir largement contribué à replacer Djibouti sur la carte des visiteurs internationaux.

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