Michel Roger : « À Monaco, nous sommes plus proches de Tunis que de Paris »

À la tête du gouvernement princier, le ministre d’État revient sur les résultats économiques du Rocher, son retour à une dynamique vertueuse, et sur l’évolution de ses relations avec le continent africain.

Michel Roger, ministre d’État, avec Manuel Barosso, en 2014 © John Thys/AFP

Michel Roger, ministre d’État, avec Manuel Barosso, en 2014 © John Thys/AFP

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Publié le 3 décembre 2015 Lecture : 6 minutes.

Vue aérienne de la principauté © Valery Hache/AFP
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Monaco, cap au Sud

Dix ans après le début du règne d’Albert II, la principauté se tourne de plus en plus vers l’Afrique.

Sommaire

Nommé par Albert II, en mars 2010, ministre d’État de la principauté (l’équivalent d’un Premier ministre), le Français Michel Roger a mis en œuvre la volonté du souverain de redresser en priorité les comptes publics, mais aussi d’ouvrir le Rocher sur l’extérieur, notamment l’Afrique, qui intéresse de plus en plus les entrepreneurs monégasques.

L’ancien avocat (66 ans) a sanctuarisé l’aide au développement quand la prudence budgétaire était de mise et, la croissance et les excédents étant désormais de retour, il a rouvert les vannes pour augmenter cette aide de 1 million d’euros par an (environ 10 %) jusqu’en 2017, conformément aux vœux du prince Albert II. Sans oublier de donner un sérieux coup de main à quelques familles syriennes qui ont fui la guerre civile dans leur pays. Ni d’appuyer les entreprises monégasques qui commercent avec l’Afrique ou y ont implanté des filiales, fortes de l’absence de passé colonial avec ce continent.

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Jeune Afrique : Comment va Monaco ?

Michel Roger : Économiquement, très bien. Après quelques années de déficit budgétaire, nous avons renoué avec les excédents depuis trois ans. Le retour à l’équilibre était absolument indispensable, car la principauté est un trop petit État pour se permettre de perdre la confiance des investisseurs. Personne ne ferait crédit à un pays de 2 km2 – qui représente cependant 10 % du bassin d’emploi du département français voisin des Alpes-Maritimes – s’il accumulait déficits et dettes.

Nous avons donc maîtrisé nos dépenses, et les banques ont accepté de participer aux activités culturelles que l’État monégasque assurait seul jusque-là. Cette discipline budgétaire, associée à une augmentation des recettes due à la reprise, nous a permis de réaliser des excédents de 3,7 millions d’euros en 2012, 12,1 millions en 2013, 25,7 millions en 2014. Notre budget rectificatif 2015, qui vient d’être voté par le Conseil national, affiche un excédent prévisionnel de 4,1 millions d’euros, sur un total de recettes de 1 135,2 millions. Nous sommes revenus dans une dynamique vertueuse, et nos réserves totales s’élèvent à 4 milliards d’euros.

Nous avons enregistré la création nette de 239 entreprises et une hausse de 3,8 % des emplois sur notre territoire en 2014

Nous avons même pris le pari de baisser les droits de mutation, ce qui a contribué à faire repartir notre marché immobilier avant celui de la Côte d’Azur. La crise est derrière nous, comme le prouve le bilan positif de l’année 2014 : nous avons enregistré la création nette de 239 entreprises et une hausse de 3,8 % des emplois sur notre territoire en 2014. Le total des actifs gérés par nos établissements financiers s’est élevé à 103 milliards d’euros, soit une progression de 7,1 %. Et l’activité croisière progresse nettement, tant du point de vue du nombre d’escales que de celui des croisiéristes.

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Et quelle place les jeux occupent-ils dans votre budget ?

Les concessions, notamment celles du port et des jeux, représentent 30 millions d’euros, soit moins de 3 % de notre budget total, dont je rappelle qu’il s’élève à quelque 1,2 milliard.

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Pourquoi l’Afrique a-t-elle une place spéciale dans la politique extérieure de la principauté ?

Par définition, nous sommes tournés vers l’Afrique, dont nous sommes seulement séparés par la Méditerranée. C’est notre géopolitique, car nous sommes plus proches de Tunis que de Paris. J’attends avec impatience que nous puissions renouer des liens avec la Tunisie, qui se relève, car un quart de nos échanges se font avec ce pays.

Nos importations en provenance du continent africain sont stables, mais nos exportations – essentiellement vers le Maghreb et le golfe de Guinée – ont doublé depuis dix ans pour dépasser les 140 millions d’euros. C’est prometteur, car nous y disposons de bonnes bases. Nous avons l’image d’un pays neutre qui n’a jamais colonisé personne, et cela facilite évidemment les relations.

Manifestement, il y a chez nous une vraie appétence pour ce continent, car nous faisons le constat que la croissance y restera forte

Avant la crise politique et sécuritaire qui a secoué son pays, nous avions accueilli le président malien Amadou Toumani Touré, et plusieurs de nos sociétés spécialisées dans la logistique ou les plats réfrigérés s’étaient déclarées prêtes à investir au Mali. Quatorze de nos entreprises se sont regroupées dans le Club des entreprises monégasques en Afrique (Cema), lesquelles comptent 5 000 salariés travaillant avec et pour l’Afrique. Manifestement, il y a chez nous une vraie appétence pour ce continent, car nous faisons le constat que la croissance y restera forte. Et je pense que nos échanges sont appelés à se développer encore.

Allez-vous souvent en Afrique ?

Je me suis rendu à Kinshasa pour le sommet de la Francophonie, mais il n’est pas dans mon premier rôle de me déplacer. C’est le prince souverain qui représente la principauté partout dans le monde et y fait partager ses idées en matière de défense de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique, depuis l’accès à l’eau jusqu’à la lutte contre l’acidification des océans. Il est vraiment très mobilisé en faveur de ces causes, notamment au travers de la Fondation Prince Albert II.

Quelle place la coopération, c’est-à-dire l’aide aux pays en développement, occupe-t-elle dans votre politique africaine ?

Cette aide est importante et complète le commerce classique. Nous la pratiquons à la mesure de nos moyens. Pendant les années de contrôle renforcé de nos dépenses, nous avons préservé le budget de la coopération. Celui-ci atteindra 16 millions d’euros en 2016, car le prince souverain nous a donné l’instruction d’augmenter l’aide de 1 million d’euros par an jusqu’en 2017. Il entend respecter les Objectifs de développement durable [ODD], comme il nous avait demandé de suivre les Objectifs du millénaire pour le développement [OMD]. Je constate qu’il existe beaucoup d’ONG à Monaco qui œuvrent en complément pour l’Afrique, et c’est bien.

Le pavillon de Monaco de l’Exposition universelle de Milan sera démonté et reconstruit à Ouagadougou, au Burkina Faso, pour devenir un centre de formation aux métiers de la santé

J’ai plaidé pour la concentration de nos aides sur les pays les moins avancés [PMA], afin de ne pas disperser nos forces. Notre action est multiforme. Par exemple, le pavillon de Monaco de l’Exposition universelle de Milan sera démonté et reconstruit à Ouagadougou, au Burkina Faso, pour devenir un centre de formation aux métiers de la santé.

Nous ne faisons pas de prêts, sinon dans le cadre du microcrédit. Nous préférons les dons, que nous souhaitons intelligents, tel celui qui permet d’acheter un moulin à grains et de former ses utilisateurs à son maniement, afin de faire naître un circuit économique. Car le problème est bien de parvenir à faire entrer les populations dans un circuit économique.

À vos portes, un phénomène migratoire d’une ampleur exceptionnelle balaie la Méditerranée. Participez-vous à l’accueil de ces migrants chassés par la guerre ou la misère ?

En étroite collaboration avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés [HCR], nous nous préparons à accueillir deux familles de Syriens, soit une dizaine de personnes, qui ne sont pas encore arrivées. Nous allons les loger à Monaco même, où nous vérifions que le logement est adapté à la présence d’un handicapé. Nous prendrons également en charge cinq autres familles dans des appartements que la principauté possède à Beausoleil, la commune française limitrophe. Elles sont en partie arrivées. Nous les intégrerons dans un programme social ; leurs enfants seront scolarisés par nos soins, et les adultes seront accompagnés sur le marché du travail.

On peut trouver que cela n’est pas grand-chose, mais je rappelle que nous sommes un petit pays de 2 km2 qui compte moins de 30 000 résidents ! Depuis toujours, nous accueillons des réfugiés. Il y a quelques décennies, le prince Rainier avait ouvert les portes à une quarantaine de boat people vietnamiens. Nous continuons dans ce sens.

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