Présidentielle au Burkina : duel au sommet entre Diabré et Kaboré
Ils sont quatorze à s’être lancés dans la course à la présidentielle du 29 novembre, mais deux d’entre eux se détachent : Roch Marc Christian Kaboré et Zéphirin Diabré. Deux hommes au style bien différent, dont les trajectoires se sont souvent croisées et qui aspirent maintenant à succéder à Blaise Compaoré.
Au premier abord, ils partagent quelques points communs. Ils sont de la même génération, ont tous les deux occupé de hautes fonctions sous Blaise Compaoré, puis ont fini, à quelques années d’intervalle, par voler de leurs propres ailes. Ils sont aussi, depuis un an, présentés comme les deux favoris de l’élection présidentielle du 29 novembre. Mais à y regarder de plus près, Zéphirin Diabré, le candidat de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), et Roch Marc Christian Kaboré, son adversaire du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), sont en réalité deux personnages très différents, aux trajectoires entrelacées, mais surtout opposées.
Diabré, 56 ans, est un technocrate, qui a fait la majeure partie de sa carrière à l’étranger avant de rentrer au pays. Kaboré, de deux ans son aîné, est un pur produit du régime de Blaise Compaoré, dont il a longtemps été perçu comme l’héritier avant de s’en séparer. Tandis que « Zéphirin » est décrit comme quelqu’un de rigide, qui aurait fait sienne une forme de modération permanente, « Roch », le bon vivant, serait plus consensuel et accessible. Le patron de l’UPC est un libéral qui aime gérer seul, en chef. Celui du MPP un social-démocrate, davantage connu pour sa recherche du compromis et son sens du collectif. Entre ces deux adversaires, un respect mutuel lié à une relation vieille de plusieurs années.
Des débuts similaires
Fils de bonnes familles catholiques, tous deux suivent leur scolarité à Ouagadougou avant de mettre, baccalauréat en poche, le cap sur la France. Ce sera l’École supérieure de commerce de Bordeaux puis un doctorat pour Diabré, l’université de Dijon et un cursus en gestion et administration des entreprises pour son futur concurrent. De retour au pays, Roch Marc Christian Kaboré milite à l’Union de lutte communiste-reconstruite (ULC-R, une organisation marxiste qui jouera un rôle dans la révolution) et assiste à la prise du pouvoir par Thomas Sankara en août 1983.
Un an plus tard, pas encore trentenaire, il est nommé directeur général de la Banque internationale du Burkina (BIB). À des milliers de kilomètres de là, Zéphirin Diabré, qui n’a jamais eu de sympathies sankaristes, prolonge son séjour en France. Il rentre au pays en 1987, dispense des cours à la faculté de Ouaga, rejoint le secteur privé et devient, en 1989, le directeur adjoint des Brasseries du Burkina Faso.
Leur période commune à l’ODP/MT puis au sein du gouvernement les a rapprochés, se rappelle un témoin de l’époque
Au même moment, Blaise Compaoré, le tombeur de Sankara, applique sa politique de rectification en s’appuyant sur plusieurs personnes de confiance. Kaboré en fait partie. Ministre des Transports, ministre d’État, puis ministre chargé de coordonner l’action gouvernementale, il est aussi l’un des cadres de l’Organisation pour la démocratie et le progrès/Mouvement du travail (ODP/MT), le parti mis sur pied par le nouvel homme fort de Ouagadougou. « Roch connaissait Zéphirin et savait qu’il avait des qualités et du potentiel, raconte un proche du candidat du MPP. Il lui a mis le pied à l’étrier pour le faire monter au sein du parti. »
Résultat : Diabré est propulsé tête de liste dans sa région d’origine, le Zoundwéogo (Centre-Sud) pour les législatives de 1992. Il est élu député, tout comme Kaboré, parachuté dans le Kadiogo (Centre). Pour l’ancien étudiant bordelais, ce mandat est synonyme d’entrée au gouvernement : il est nommé ministre du Commerce, de l’Industrie et des Mines. En 1994, en pleine dévaluation du franc CFA, Kaboré devient Premier ministre. Diabré, lui, est bombardé au stratégique portefeuille de l’Économie et des Finances. « Leur période commune à l’ODP/MT puis au sein du gouvernement les a rapprochés », se rappelle un témoin de l’époque.
À partir de 1997, leurs trajectoires se séparent
En 1997, tous deux sont réélus, mais cette fois sous la bannière du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), parti né sur les cendres de l’ODP/MT. C’est à cette époque que les deux hommes, mariés et pères de famille, voient progressivement leurs chemins se séparer. Alors que Roch prend la vice-présidence de l’Assemblée nationale, Zéphirin met les voiles vers les États-Unis, où il est nommé directeur adjoint du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). « Il ne partageait plus leur vision et leur manièr e de gérer le pays », confie l’un de ses proches. Loin des yeux, loin du cœur : ces années d’exil seront le début d’une séparation en douceur avec Blaise Compaoré, dont Diabré a compris, après la crise politique née de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, en décembre 1998, qu’il ne serait pas éternel.
Diabré était un quasi-inconnu, sans envergure politique par rapport à un Kaboré dont on parlait tous les jours ou presque au Burkina, résume Rinaldo Depagne
Après sept ans aux Nations unies, Zéphirin Diabré est nommé à la direction Afrique et Moyen-Orient de la société française Areva. Kaboré, lui, est devenu président de l’Assemblée nationale et patron du CDP : il est une personnalité centrale du régime, que beaucoup présentent comme le dauphin de Compaoré. « Diabré était un quasi-inconnu, absent du pays depuis des années, sans envergure politique par rapport à un Kaboré dont on parlait tous les jours ou presque au Burkina, résume Rinaldo Depagne, chargé de l’Afrique de l’Ouest à International Crisis Group (ICG). Mais il eut le nez de comprendre que Blaise Compaoré aurait une fin et il s’est positionné au bon moment, contrairement à Roch, qui l’a fait tardivement. »
À partir de 2009, Diabré réfléchit au lancement de sa propre formation. Il noue différents contacts et se rapproche de Salif Diallo. Longtemps, ce dernier a été l’éminence grise de l’ancien président. Mais « Blaise » n’a pas apprécié qu’il lui conseille d’infléchir son régime trop présidentialiste. Il n’a pas aimé non plus qu’il lui reproche sa gestion patrimoniale du pouvoir et qu’il le mette en garde contre la tentation de favoriser l’ascension de son frère cadet, François Compaoré.
Tombé en disgrâce, Diallo a été nommé ambassadeur en Autriche. Revanchard, lui aussi a en tête la création d’un parti concurrent du CDP. Diabré et lui se retrouvent régulièrement à Paris. « Nous discutions de la situation politique dans notre pays malgré nos divergences idéologiques », confirme aujourd’hui Diallo. Ont-ils envisagé de lancer un parti politique commun ? Probablement, mais aucun des deux ne souhaite plus s’étendre sur le sujet.
En deux ans, l’UPC devient le premier parti d’opposition en obtenant 19 députés lors des législatives de 2012
En mars 2010, Diabré fonde l’UPC. En deux ans, elle devient le premier parti d’opposition en obtenant 19 députés lors des législatives de 2012. Diabré a réussi son pari : il devient officiellement le chef de file de l’opposition. À Kosyam, Blaise Compaoré observe attentivement, mais ne semble pas particulièrement inquiet.
Pour Kaboré, la situation est plus délicate. L’héritier pressenti a perdu les faveurs du président ; son entourage et certains hauts gradés de l’armée ont fini par le convaincre que Kaboré n’avait pas la carrure pour lui succéder, qu’il était trop malléable. En mars 2012, celui-ci est évincé de la tête du CDP, sur lequel il régnait depuis treize ans. Le coup est rude. Kaboré assiste, impuissant, à l’ascension de François Compaoré, qui intègre au même moment le bureau politique du CDP – c’est lui, désormais, que la rumeur ouagalaise voit comme un dauphin.
La chute de Blaise
Comprenant que son avenir est ailleurs, Kaboré se rapproche à son tour de Salif Diallo. Début décembre 2013, alors que Blaise Compaoré a annoncé son intention de soumettre son projet de modification constitutionnelle à référendum, les deux hommes décident de claquer la porte du parti, emmenant avec eux Simon Compaoré, l’ancien maire de la capitale. En janvier 2014, ils annoncent la création du MPP. Blaise ne le digérera jamais.
Interrogé, en juillet 2014, sur l’entrée en dissidence de certaines personnalités burkinabè, dont Roch, Compaoré avait répondu avec une pointe de condescendance : « Chacun est libre de faire ses choix : partir, revenir, repartir… Ce n’est ni la première fois ni la dernière fois que cela arrive » – manière, bien sûr, de relativiser le poids de ces défections. Aujourd’hui, contraint à l’exil dans sa villa du quartier de Cocody, à Abidjan, Blaise Compaoré pense que Kaboré l’a trahi, poussé par Salif Diallo. Pour lui, pas de doutes : ils sont tous deux responsables de sa chute.
Zéphirin Diabré accueille le trio dissident à bras ouverts. « Il avait besoin de se renforcer et a vu l’arrivée de Roch comme une chance pour mieux lutter contre Blaise », glisse une source diplomatique à Ouagadougou. Son calcul se révèle juste : en rejoignant le camp adverse avec de nombreux cadres du CDP, les fondateurs du MPP font basculer le rapport des forces entre la majorité et l’opposition, comme en témoigne la mobilisation lors des différentes manifestations organisées dans les mois qui suivent.
Jusqu’à l’insurrection d’octobre 2014, les deux ténors font front commun. Ils ont besoin l’un de l’autre pour empêcher le chef de l’État de faire sauter la limitation du nombre de mandats présidentiels. Officiellement, ils s’entendent et travaillent main dans la main. Mais Diabré supporte mal que son nouvel allié, toujours prompt à se mettre en avant, remette en cause son leadership sur l’ensemble de l’opposition. Progressivement, de petites tensions émergent.
Ainsi, le 30 octobre 2014, lorsque l’Assemblée nationale est incendiée par les manifestants protestant contre la modification de la Constitution, Kaboré réclame le départ sans conditions de Blaise Compaoré, tandis que Diabré se montre plus pondéré. Dans les mois qui suivent, chacun joue sa propre partition avec les élections en ligne de mire. Toujours en évitant soigneusement de critiquer son concurrent. Pas une phrase déplacée, pas un propos outrancier tout au long de la campagne.
Le duel de deux présidentiables
En coulisses, en revanche, leurs entourages respectifs s’en donnent à cœur joie. Selon un cadre de l’UPC, Roch serait un « traître » qui, après avoir planté un couteau dans le dos de Blaise, aurait fait de même avec Zéphirin Diabré, qui l’a accueilli dans l’opposition. « Ces gens, au MPP, considèrent qu’ils sont les seuls capables de diriger le pays. Ce sont des va-t-en-guerre, prêts à tout pour prendre le pouvoir. » Et de citer les incendies provoqués lors de l’insurrection populaire d’octobre 2014, les tentatives de fraudes à venir (« Ils ne savent faire que ça ! ») et même les récentes attaques informatiques contre le site de l’UPC.
En face, les soutiens de Kaboré ne sont pas en reste. Ils accusent l’ancien leader de l’opposition d’avoir une « haute estime de sa personne », d’être « impulsif » et « dirigiste ». « C’est un individualiste, qui n’en fait qu’à sa tête et qui manque d’humilité. Au sein même de son parti, il s’est mis plusieurs collaborateurs à dos », attaque un proche du candidat du MPP. Un autre affirme que Diabré a même mis un « certain temps » avant de condamner le coup d’État de Gilbert Diendéré et du régiment de sécurité présidentielle (RSP), mi-septembre.
Pendant que leurs proches règlent leurs comptes, les deux candidats s’efforcent de garder la hauteur nécessaire à la construction de leur image de potentiel président. Bien conscients de leur statut de favoris, l’un et l’autre s’attendent à se retrouver face à face pour un duel au second tour. Peut-être s’autoriseront-ils, alors, à lâcher leurs premiers coups directs.
QUI SOUTIENDRA QUI EN CAS DE SECOND TOUR ?
Nul ne peut dire avec certitude si un second tour aura lieu, ni s’il opposera bien Roch Marc Christian Kaboré et Zéphirin Diabré. Mais tout le monde, à commencer par les principaux intéressés, l’envisage très sérieusement – ce qui rendrait inévitables des alliances entre les deux rounds pour être élu. Selon les observateurs, seuls quelques candidats seraient susceptibles de dépasser la barre des 5 % et d’endosser le costume du fameux « faiseur de rois ».
Parmi eux figurent Bénéwendé Sankara (Union pour la renaissance-Parti sankariste, Unir-PS), Saran Séré Sérémé (Parti pour le développement et le changement, PDC) ou encore Ablassé Ouédraogo (Le Faso autrement). Sans oublier le poids toujours important du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré, dépourvu de candidat mais dont la préférence va à Zéphirin Diabré (lire ci-contre).
Dans les états-majors de ces outsiders, un même son de cloche : aucun accord n’a été passé, et tout dépendra des résultats du premier tour. La plupart ont refusé de commenter les deux favoris, mais des sensibilités se dégagent. D’abord d’un point de vue idéologique. Kaboré et le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), proches de l’Internationale socialiste, se revendiquent sociaux-démocrates, tandis que Diabré et l’Union pour le progrès et le changement (UPC) se disent libéraux.
Classés à gauche, Bénéwendé Sankara et Saran Séré Sérémé devraient plutôt avoir tendance à pencher du côté des premiers (des tentatives de rapprochement seraient en cours). À cela s’ajoutent leurs relations délicates avec « Zéphirin » – Sankara n’a guère apprécié l’assurance affichée par Diabré quand il lui a succédé à la tête de l’opposition, en 2012, et Sérémé lui reproche son manque de soutien lorsqu’elle a essayé d’assumer la tête de la transition pendant l’insurrection d’octobre 2014.
Quant à Ablassé Ouédraogo, il semble clair, après l’introduction de son recours contre la candidature de Kaboré au motif qu’il avait été l’un des premiers à théoriser le projet de modification constitutionnelle de Blaise Compaoré, qu’il devrait plutôt se rallier à Diabré. Reste l’inconnue que constituent certains candidats, comme l’indépendant Jean-Baptiste Natama ou Tahirou Barry, du Parti de la renaissance nationale (Paren), dont le réel poids politique demeure un mystère.
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