Terrorisme : François Hollande et la bataille de France

Depuis les attentats du 13 novembre, on ne reconnaît plus François Hollande. Il s’est réconcilié avec les Russes, bombarde la Syrie en leur compagnie et entreprend d’assainir les banlieues gangrenées par l’islamisme radical. Mieux vaut tard que jamais !

François Hollande à Versailles, devant le Congrès, le 16 novembre 2015 © LIEWIG CHRISTIAN-POOL/SIPA

François Hollande à Versailles, devant le Congrès, le 16 novembre 2015 © LIEWIG CHRISTIAN-POOL/SIPA

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 25 novembre 2015 Lecture : 7 minutes.

L ‘ État islamique (EI) a donc semé l’effroi, le 13 novembre, dans la « capitale des abominations et de la perversion ». Une poignée d’anges exterminateurs, ou de sanglants imbéciles, ont choisi de se transformer en chaleur et en lumière pour punir les Parisiens de leurs affreuses débauches : boire un verre à la terrasse d’un café, assister à un match de foot, vibrer à un concert de rock… Le cauchemar nihiliste se poursuit. Il n’est pas près de s’achever.

L’État islamique contre la coalition 

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Cette fois, il ne s’agissait plus de tuer des juifs, encore moins de châtier rudement les taquineries antireligieuses des naïfs anarchistes de Charlie Hebdo, mais de tirer dans le tas pour faire le maximum de victimes, de susciter terreur et colère dans le pays tout entier et de hâter le déclenchement de la guerre civile que les donneurs d’ordre irakiens et syriens appellent de leurs vœux. Les chefs de l’EI sont-ils fous ? Oui, bien sûr, mais en même temps très rationnels, habiles, rusés et dotés d’un sens diabolique de la communication.

Beaucoup sont d’anciens militaires baasistes résolus à venger le renversement de Saddam Hussein. Pour eux, la guerre d’Irak continue. On en vient parfois à se demander pourquoi les commanditaires de la calamiteuse invasion de ce pays, en 2003, ne sont pas traduits devant un tribunal international. En tout cas, le monde n’en finit pas de payer les conséquences de leurs mensonges et de leurs bévues (dissolution conjointe de l’armée irakienne et du parti Baas), sans même parler des dommages infligés aux populations civiles.

Le timing de ces opérations et le choix des cibles ne doivent évidemment rien au hasard

Pour l’EI, la grande coalition américano-russo-française – et demain, iranienne ? – qu’on voit se mettre en place depuis la réunion de Vienne sur la Syrie, le 14 novembre, puis la rencontre Obama-Poutine lors du G 20 d’Antalya, le lendemain, est un danger mortel. Sa réaction était donc parfaitement prévisible. Attentats du 13 novembre à Paris… Attaque contre la milice chiite du Hezbollah, la veille, à Beyrouth… Destruction d’un Airbus russe dans le Sinaï, le 31 octobre… Le timing de ces opérations et le choix des cibles ne doivent évidemment rien au hasard.

Quel contraste ! Il n’y a pas si longtemps, après le coup de force poutinien en Crimée et en Ukraine, François Hollande et Laurent Fabius, le chef de sa diplomatie, paraissaient engagés dans un « remake » de la guerre froide. Pour punir l’arrogance et la brutalité du maître du Kremlin, la vente de deux frégates fut annulée.

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Le tsar s’en accommoda fort bien, et les navires finirent par trouver preneur sur les bords du Nil. Parallèlement, ce même Fabius, qu’on ne savait pas si belliqueux – c’est son côté néoconservateur à la française -, jura la perte de Bachar el-Assad, serial killer internationalement reconnu mais protégé de Poutine (les Russes disposent à Tartous, dans le nord de la Syrie, d’une base navale qui constitue leur seul accès direct à la Méditerranée). Un moment, le ministre parut presque résolu à se lancer, seul, à l’assaut de Damas ! Le flagrant manque d’enthousiasme des Américains parvint heureusement à l’en dissuader.

Mais Fabius, qui fut Premier ministre sous Mitterrand, connaît l’art délicat d’avaler les couleuvres. Comment Hollande s’y prit-il pour le convaincre qu’entre deux maux, Assad et l’EI, mieux valait encore choisir le moindre ? On peut voir désormais les nouveaux « alliés » russes et français se concerter poliment, sous l’œil attendri d’Obama, avant de pilonner Raqqa, la « capitale » de l’EI en Syrie. En l’absence d’une solution politique, on voit mal à quoi ce déluge de feu peut conduire, mais c’est une autre histoire.

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Un Patriot Act bushien

C’est bien simple, on ne reconnaît plus le président français : la tragédie l’a transformé. Quand, avec ses airs de notable corrézien débonnaire, ils l’entendirent fustiger avec de virils accents bushiens l’« état de guerre » imposé à son pays par les jihadistes et sa volonté de se montrer « impitoyable » à leur égard, certains ne purent réprimer un sourire. Ils eurent tort. Depuis le mois de janvier, tous les services de renseignements évoquaient l’imminence d’une nouvelle opération terroriste d’envergure. Qu’a fait le gouvernement pour l’empêcher ? Pas grand-chose, ce qui n’est pas toujours le plus sûr moyen de conjurer les périls. Cette irrésolution n’a plus cours.

Désormais, Hollande cogne. Fort et tous azimuts. Au Moyen-Orient, on l’a vu, mais aussi dans les banlieues gangrenées par l’islamisme radical : réforme de la Constitution, instauration, puis prolongation pour trois mois de l’état d’urgence, multiplication des perquisitions administratives et des interpellations, assignations à résidence, expulsion des imams toxiques, dissolution d’associations présentant un risque pour l’ordre public… On croirait presque le Patriot Act bushien !

Selon un récent sondage, 84 % des Français sont prêts à accepter une limitation de leurs libertés en échange d’une amélioration de leur sécurité

Hollande peut se le permettre puisque, selon un récent sondage, 84 % des Français sont prêts à accepter une limitation de leurs libertés en échange d’une amélioration de leur sécurité. Mais seuls 50 % des personnes interrogées par les enquêteurs de l’Ifop (pour RTL et Le Figaro) font confiance à l’actuel gouvernement pour conduire la lutte antiterroriste. Alors que l’extrême émotion suscitée par les attentats du vendredi 13 n’est pas encore retombée, c’est très peu. À titre de comparaison, 87 % des sondés jugent favorablement, non sans raison, l’action des forces de l’ordre et des services de renseignements.

Les ambitions du président

Il ne s’agit pas de douter de la sincérité de François Hollande. Encore moins de sa détermination à combattre le terrorisme. Mais enfin, chacun sait qu’il est obsédé par son hypothétique réélection. Comment croire qu’il soit assez inconséquent pour ne pas tenter d’utiliser à son profit le rejet horrifié des atrocités jihadistes ? Sa décision de ne pas reporter les élections régionales des 6 et 13 décembre est révélatrice : il ne désespère pas d’épargner in extremis au Parti socialiste la bérézina annoncée. Bref, pendant les massacres, la petite politique continue.

Le président n’en a certes pas l’exclusivité ! Au Front national, où les moins lucides jugent désormais la future présidentielle « pliée » au bénéfice de leur championne, on a été contraint d’approuver l’instauration de l’état d’urgence, ce qui n’a pas dû être agréable. Depuis, comme pour se venger, ses responsables ânonnent sans conviction leur mantra hypnotique : sortie de l’euro, arrêt de l’immigration… Puissent leurs électeurs finir par s’endormir !

Nicolas Sarkozy a compris qu’il lui fallait cesser de cracher contre le vent de l’opinion

Chez Les Républicains, ce n’est guère mieux. Après quelques cafouillages initiaux et une pénible séance à l’Assemblée au cours de laquelle Christiane Taubira, la garde des Sceaux, fut copieusement huée avant d’avoir ouvert la bouche, Nicolas Sarkozy a compris qu’il lui fallait cesser de cracher contre le vent de l’opinion. D’autant que, lorsqu’il était à l’Élysée, il avait sensiblement réduit les effectifs des forces de sécurité.

Alors il ronge son frein, grommelle et attend patiemment que les martiales résolutions hollandaises s’enlisent dans les sables mouvants. Ses rivaux au sein du parti ne sont pas tenus à autant de prudence. Ils manœuvrent donc au près pour se placer le mieux possible avant le départ de la régate – pardon, de la primaire – républicaine, et, l’air détaché, laissent choir des peaux de banane sous les pieds du favori. Ces immuables petits jeux sont dérisoires ? Sans doute. Et s’ils étaient aussi la réponse la plus sage à la folle anormalité jihadiste ? On se console comme on peut.

SÉCURITÉ D’ABORD, STABILITÉ ENSUITE

François Hollande a changé de cap. Du tout au tout. Devant le Congrès, réuni le 16 novembre à Versailles, il a fait savoir que « dans ces circonstances, [il] considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ». Ce qui revient à mettre entre parenthèses la promesse faite par la France à la Commission européenne de limiter son déficit budgétaire à 3 % du produit intérieur brut en 2017.

Créer 8 500 postes dans la police, la justice et les douanes a un coût. Renoncer à supprimer 9 218 emplois militaires entre 2016 et 2019, aussi. Sans parler de l’éventuelle création d’une Garde nationale… Quel coût ? Difficile pour l’instant de le chiffrer avec précision, mais il pourrait au total avoisiner 1 milliard d’euros par an.

Le renforcement de la lutte antiterroriste sur le sol national exigera des renforts en effectifs et des moyens techniques sophistiqués impossibles à financer dans un cadre budgétaire contraint

On imagine difficilement que Bruxelles puisse s’opposer à cette entorse à l’orthodoxie budgétaire compte tenu de la gravité de la menace terroriste. Bien sûr, cette indulgence risque de conforter les Français dans leur goût pour les déficits budgétaires et leur refus obstiné de contracter leurs dépenses. Bien sûr, elle pourrait aussi donner un fort mauvais exemple à des pays comme l’Autriche et l’Italie, qui ont demandé des aménagements du pacte de stabilité en raison des dépenses qu’ils ont dû engager pour accueillir les migrants.

Mais comment blâmer la France de vouloir accroître ses moyens sécuritaires, et donc budgétaires, pour combattre le fléau jihadiste ? Ses opérations au sol en Afrique et son engagement aérien en Syrie et en Irak lui coûtent déjà très cher et asphyxient le budget de ses armées. Le renforcement de la lutte antiterroriste sur le sol national exigera des renforts en effectifs et des moyens techniques sophistiqués impossibles à financer dans un cadre budgétaire contraint.

Impensable avant les attentats de Paris, la réforme de la Constitution pour y faire figurer l’état d’urgence est en chantier. Non moins impensable, le maintien du déficit budgétaire est désormais inévitable. Nécessité fait loi, et les Français comprendraient difficilement qu’il en aille autrement.

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