Terrorisme : au sein du G5 Sahel, c’est « donnant-donnant »

Un système de communication informatisé et sécurisé pour échanger du renseignement sur les terroristes de la sous-région : c’est le projet ambitieux du G5 Sahel, la nouvelle organisation qui regroupe le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.

Les présidents du G5, après le départ précipité d’IBK pour Bamako, le 20 novembre à N’Djamena. © VINCENT DUHEM POUR J.A.

Les présidents du G5, après le départ précipité d’IBK pour Bamako, le 20 novembre à N’Djamena. © VINCENT DUHEM POUR J.A.

Christophe Boisbouvier

Publié le 3 décembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Le drapeau de Boko Haram à Gambaru,  au Nigeria, après que les troupes tchadiennes ont chassé le groupe terroriste, en février 2015. © Stéphane Yas/AFP
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Ce 20 novembre, à N’Djamena, les présidents Michel Kafando, Ibrahim Boubacar Keïta (quelques heures seulement puisqu’il a dû rejoindre Bamako en urgence après l’attaque de l’hôtel Radisson), Mohamed Ould Abdelaziz, Mahamadou Issoufou et Idriss Déby Itno se sont réunis en sommet pour faire avancer le projet. Vont-ils être capables de surmonter leur égoïsme national et de partager l’un des marqueurs de leur souveraineté respective, la collecte du renseignement ? Entre le Mali et la Mauritanie, les relations ont été en dents de scie ces cinq dernières années.

En revanche, entre le Mali et la Côte d’Ivoire – un autre pays menacé par les terroristes -, l’échange de renseignements fonctionne déjà. C’est grâce à cela qu’en août sept jihadistes maliens présumés ont été arrêtés en Côte d’Ivoire puis extradés vers leur pays d’origine. Pour que cette coopération soit efficace, « l’échange d’informations doit se faire de manière instantanée, pratiquement en temps réel », précise le ministre nigérien de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou.

Dans le monde du renseignement, c’est « donnant-donnant »

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Dans le monde du renseignement, c’est « donnant-donnant ». Pour recevoir de l’information de la part de son partenaire, il faut être capable de lui en donner. À ce jeu, plusieurs spécialistes disent que le Niger et la Mauritanie sont les meilleurs. « Les services nigériens ont fait un gros effort d’infiltration dans les milieux jihadistes du Nord-Mali », confie l’un d’entre eux.

Le Mali en retard par rapport à ses voisins

Le Mali, en revanche, est à la traîne. Pas de maillage systématique du territoire par les services spécialisés – il n’y a que 4 000 policiers et 4 000 gendarmes pour un pays de plus de 1,2 million de kilomètres carrés… Pas de collaboration avec des associations comme Tabital Pulaaku – l’« Internationale peule » – afin de neutraliser les terroristes du Front de libération du Macina, dans la région de Mopti-Sévaré.

Aujourd’hui encore, quelques chefs jihadistes qui se livrent à de juteux trafics transsahariens parviennent à établir des connexions avec certaines autorités maliennes, commente un haut fonctionnaire malien

Par ailleurs, « beaucoup de nos agents sont mobilisés pour espionner le camp politique d’en face et pas les milieux terroristes », regrette un haut fonctionnaire malien. Qui plus est, le professionnalisme laisse à désirer. « Il y a un gros problème d’étanchéité et de préservation du secret, poursuit-il. À la fin du régime du président ATT [Amadou Toumani Touré], des gens liés à Aqmi avaient réussi à se rapprocher de l’état-major particulier de la présidence. Aujourd’hui encore, quelques chefs jihadistes qui se livrent à de juteux trafics transsahariens parviennent à établir des connexions avec certaines autorités maliennes. Et quand les militaires français de Barkhane découvrent que les gens qu’ils ont arrêtés se retrouvent en liberté, ils s’arrachent les cheveux. »

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Dans ce « donnant-donnant », les services français et américains sont censés apporter du renseignement technologique – images et écoutes obtenues par drones, avions et satellites -, tandis que les services africains doivent fournir du renseignement humain, à l’aide d’espions infiltrés dans les zones jihadistes.

Une méthode payante sur le front anti-Boko Haram

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Officiellement, ça marche, notamment sur le front anti-Boko Haram. En mai, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a rencontré cinq de ses homologues africains à Niamey. Grâce à ses avions Rafale, la France fournit à l’armée nigériane de l’imagerie analysée. Les États-Unis, de leur côté, ont annoncé l’envoi dans le Nord-Cameroun de quelque trois cents militaires, spécialisés notamment dans le renseignement. Mais en réalité, l’échange d’informations est loin d’être optimal. « Apporter du renseignement utile aux forces sur le terrain, ça n’existe pas vraiment dans les armées africaines », souffle un spécialiste français. « Nos partenaires occidentaux ne nous disent pas tout », regrette notre haut fonctionnaire malien.

Pas d’échange sans confiance. Et en attendant, les jihadistes continuent de circuler sur toute la bande sahélienne.

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