Non, tous les morts ne sont pas égaux…
Les terribles attentats du 13 novembre en France, après ceux du 7 janvier, ont provoqué partout consternation, émotion et compassion.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 23 novembre 2015 Lecture : 3 minutes.
Un vrai choc planétaire. Le drapeau français a fait son apparition sur les profils Facebook de centaines de milliers de personnes, tandis qu’en de multiples endroits La Marseillaise était jouée et reprise en chœur en signe de soutien. Quoi qu’on en dise, la France reste la France : un pays à part dans le concert des nations, un pays qui pèse et représente des valeurs et une culture originales, reconnues, appréciées. Le caractère inouï de la tragédie qui vient de frapper celle que beaucoup considèrent comme la plus belle ville du monde, le nombre et la jeunesse des victimes, expliquent aussi cet élan de solidarité auquel l’Afrique n’est pas restée étrangère.
Des voix discordantes commencent pourtant à se faire entendre, et elles nous interpellent. Les morts occidentaux valent-ils plus aux yeux du monde que ceux de Kano, Tunis ou Nairobi ? Poser la question, c’est y répondre. Le 4 novembre, à El-Arish, en Égypte, un attentat au camion piégé a tué 4 policiers et fait plusieurs blessés. Le 12, un kamikaze a tué 43 personnes à Beyrouth. Le 13, 26 morts à Bagdad. Les 17 et 18, à Yola puis à Kano, au Nigeria, 47 personnes ont perdu la vie. Quelques lignes dans les journaux internationaux, un synthé qui défile à toute vitesse en bas de l’écran sur les chaînes d’infos…
Quand il ne s’agit « que » de milliers de victimes syriennes ou irakiennes de l’EI, on tergiverse, on négocie, on laisse faire
Aucune réaction ou condamnation de dirigeants, même chez les Africains, pourtant si prompts à s’émouvoir quand Paris est endeuillé. Partout, le silence, assourdissant. Quand la France est attaquée, le branle-bas de combat est immédiat. On sort les porte-avions, on envoie les chasseurs déverser un tapis de bombes sur l’État islamique, on débloque des fonds tandis que Barack Obama et Vladimir Poutine paraissent sur le point de s’embrasser sur la bouche… Quand il ne s’agit « que » de milliers de victimes syriennes ou irakiennes de l’EI, on tergiverse, on négocie, on laisse faire.
Quand les morts – plus de dix mille ! – sont nigérians ou camerounais, il ne vient à l’idée de personne, de l’autre côté de la Méditerranée ou de l’Atlantique, de mettre fin aux atrocités de Boko Haram. Quand des terroristes frappent des Tunisiens ou des Algériens, on observe d’un regard distrait : on s’habitue vite aux horreurs lointaines. Mais s’il s’agit de touristes européens sur une plage, à Sousse, ou d’un randonneur français dans une montagne de Kabylie, alors là, évidemment, on s’émeut, on jure d’en finir avec ces barbus barbares. Des journalistes français assassinés ? Ce crime odieux ne peut rester impuni, il faut défendre par tous les moyens la liberté de la presse. Les victimes sont-elles africaines ou arabes ? Bon, ce sont les risques du métier dans ces pays-là… Idem avec la sanglante prise d’otages du Radisson Blu, à Bamako, ce 20 novembre. Des clients occidentaux à l’intérieur ? Breaking news ! On couvre, on débloque de gros moyens. Malaise.
L’État islamique ? Il n’aurait jamais vu le jour sans l’invasion américaine de l’Irak, en mars 2003
La dénonciation de ce macabre « deux poids, deux mesures », qui n’accorde pas le même prix à la vie humaine selon la couleur de la peau ou l’origine géographique de la victime, est ici renforcée par le fait que nombre d’Africains considèrent que les Occidentaux sont en grande partie responsables de ce fléau qu’est le jihadisme international. Celui qui frappe le Sahel ou la Tunisie a émergé du chaos libyen, lui-même la conséquence de l’intervention militaire déclenchée en 2011 par Nicolas Sarkozy.
L’État islamique ? Il n’aurait jamais vu le jour sans l’invasion américaine de l’Irak, en mars 2003. Mêmes causes, mêmes effets dévastateurs. Le terrorisme, l’Afrique le subit chaque jour et ses victimes se comptent en dizaines de milliers. Hier en Algérie, pendant la décennie noire. Aujourd’hui à Tunis, Bamako, Kolofata ou Chibok. Entre autres. Espérons que le choc provoqué par les attentats de Paris mette fin à cette cécité occidentale. Oui, il faut lutter contre le terrorisme. Partout. Tout le temps. Ensemble, et dans l’intérêt de tous.
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