Burkina – Côte d’Ivoire : « Président ? C’est Bassolé ! »
Le président de l’Assemblée nationale ivoirienne et l’ex-ministre burkinabè ont-ils tenté de faire chavirer la transition ? L’enregistrement de leur supposée conversation est-il authentique ? Retour sur une affaire d’État.
L ‘affaire est sans précédent. D’abord par les personnes impliquées : le président en exercice de l’Assemblée nationale ivoirienne, deuxième personnalité de l’État de par son rang, Guillaume Soro, et l’ancien ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibrill Bassolé. Ensuite par la forme : une conversation téléphonique privée, mise sur la place publique par deux journalistes ivoiriens réputés proches de la galaxie Gbagbo (Mathieu Bouabré et Théophile Kouamouo), lâchée telle une bombe sur les réseaux sociaux le 12 novembre. Sans analyse ni mise en contexte, et sans qu’il soit à première vue possible des de Oe l’authentifier. Sur le fond enfin, l’affaire est très grave : les deux voix que l’on y entend discutent d’un plan de soutien aux putschistuagadougou ; l’une d’elle profère de graves menaces à l’encontre de responsables burkinabè et évoque même deux meurtres.
Alors qu’une bataille de communication a déjà commencé entre ceux qui affirment qu’il s’agit d’un montage et ceux qui sont convaincus que l’enregistrement est valide, Jeune Afrique a décidé de revenir sur cette affaire, dont les répercussions pourraient s’avérer aussi diverses que profondes. Que la conversation diffusée soit authentique ou non.
Que contiennent les bandes et combien y en a-t-il ?
Le point de départ de l’affaire remonte au 27 septembre. À l’époque, le Burkina vit des heures difficiles. Après un coup d’État raté, le général Gilbert Diendéré a rendu le pouvoir, mais le régiment de sécurité présidentielle (RSP) n’a pas encore totalement désarmé. Bassolé s’entretient au téléphone avec Soro. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps et ils ont reconnu s’être parlé à plusieurs reprises fin septembre.
À partir de là, les versions divergent. L’enregistrement rendu public par les deux journalistes dure plus de seize minutes et est explosif. Une voix, présentée comme étant celle de Soro, y détaille une stratégie pour aider les putschistes burkinabè à s’imposer et propose son aide financière. Son interlocuteur (présenté comme étant Bassolé) acquiesce comme un élève devant son professeur, promettant l’envoi de « deux contacts téléphoniques » de personnes sûres pouvant jouer les intermédiaires. Soro, si c’est bien lui, affirme aussi qu’il faudra faire un sort à deux Burkinabè, qui jouent un rôle majeur au sein de la transition : Salif Diallo, un ancien ministre de Compaoré passé à l’opposition, et Chérif Sy, président du Conseil national de transition.
La même voix fait ensuite le rapprochement avec le sort qui a été réservé à Désiré Tagro, ancien secrétaire général à la présidence de Laurent Gbagbo (mort lors de l’assaut lancé contre le bunker de l’ancien chef de l’État, en avril 2011), et à Ibrahim Coulibaly, dit IB (rival de Soro tué à la fin de la crise postélectorale).
« Il s’agit d’un montage grossier », selon le camp Soro, qui a diffusé un autre enregistrement. Dans cet extrait d’à peine deux minutes, que nous ne sommes pas non plus en mesure d’authentifier, le président de l’Assemblée nationale paraît prudent. Il dit ne pas être « concerné par le dossier » et se montre soucieux de ses relations avec les autorités de transition et avec son propre président, Alassane Ouattara. L’aide proposée est d’une tout autre nature : « Il faut que tu te mettes à l’abri […]. Là, au moins, je pourrai t’aider. Tu m’envoies deux personnes de confiance. »
En coulisses, les proches de Soro et les avocats de Bassolé ont fait appel à des experts pour étudier le tout premier enregistrement
C’est donc bande contre bande, parole contre parole. En coulisses, les proches de Soro et les avocats de Bassolé ont fait appel à des experts pour étudier le tout premier enregistrement. Leur travail prouvera sans conteste, selon eux, qu’il s’agit d’une manipulation. « Pour nous, cette bande n’est même plus d’actualité », ajoute Moussa Touré, le conseiller en communication de Soro.
Plus d’actualité, vraiment ? Le 18 novembre, J.A. recevait un nouvel enregistrement d’un peu plus d’une minute, envoyé par une source anonyme. Bassolé y confirme l’envoi des deux contacts demandés. L’entourage de Soro ne conteste pas l’authenticité de cette autre bande, estimant même qu’elle confirme sa version des faits.
L’affaire ne paraît pas près de retomber. D’autres enregistrements existent, impliquant de nouveau les deux hommes. Selon plusieurs sources, d’autres noms font également leur apparition, dont ceux de Diendéré et d’une de ses proches, Thérèse Diawara, et de Zéphirin Diabré, qui était candidat à la présidentielle.
Qui aurait eu les moyens de mener de telles écoutes ?
C’est l’un des principaux mystères de cette affaire : si ces conversations sont authentiques, qui les a enregistrées, et comment ? Là encore, pas de certitudes, mais des pistes sérieuses. Le premier appel (celui qui aurait duré seize minutes) aurait été capté le 27 septembre. Le soir même, il a été présenté aux membres du « comité de crise » tout juste mis sur pied par les autorités de transition pour coordonner la riposte contre les putschistes. Selon un des participants à la réunion, la conversation aurait été interceptée « avec l’aide d’une chancellerie étrangère », mais à Ouagadougou, Français et Américains jurent qu’ils n’y sont pour rien.
Il y a aussi l’option burkinabè. Selon un diplomate occidental sur place, les services de sécurité burkinabè sont dotés de « bonnes capacités d’écoutes » et seraient « capables » de procéder à de tels enregistrements. Depuis des années, ces moyens de surveillance sont entre les mains du général Diendéré. Mais une source sécuritaire haut placée affirme aussi qu’Auguste Denise Barry, fidèle bras droit du Premier ministre, Isaac Zida, a mis sur pied un système d’écoutes parallèle lorsqu’il était ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité. Il se serait notamment procuré des « mallettes d’écoutes » type IMSI-catchers. Les appels téléphoniques auraient donc pu être interceptés par ses hommes.
Dernière hypothèse : la conversation aurait-elle pu être écoutée depuis Abidjan ? Là non plus, pas de certitudes, mais c’est Hamed Bakayoko, le ministre ivoirien de l’Intérieur, qui a la main sur les services de renseignements, et la rivalité qui l’oppose à Soro n’est un secret pour personne.
Quel intérêt Soro et Bassolé auraient-ils eu à soutenir le putsch ?
C’est un fait que les deux hommes nourrissent depuis longtemps de fortes ambitions. Ont-ils été tentés de jouer avec le feu ? À voir, mais l’un et l’autre pouvaient avoir intérêt à ce que le coup d’État du RSP réussisse. Comme eux, Diendéré faisait partie des soutiens à l’ancien régime, dont les autorités de transition se sont appliquées à écarter les grandes figures. Bassolé et Soro ont assisté, impuissants, à cette nouvelle politique de rectification (Bassolé a d’ailleurs été exclu de la course à la présidentielle et ruminait, depuis, sa colère).
Soro n’a pas non plus oublié ce qu’il doit à Blaise Compaoré, qui fut son protecteur et à qui il voue un respect et une fidélité sans faille
À Abidjan, Soro supportait en outre difficilement l’indépendance et les décisions prises par le Premier ministre burkinabè, qu’il connaissait depuis le début des années 2000 et qui avait été son ami. Il n’a pas non plus oublié ce qu’il doit à Blaise Compaoré, qui fut son protecteur et à qui il voue un respect et une fidélité sans faille. Le renversement des autorités de transition ne pouvait donc pas leur déplaire, ni à lui ni à Bassolé. Peut-être ce dernier y voyait-il une possibilité de se relancer dans la course à la magistrature suprême, et Soro, l’assurance de voir un régime « ami » s’installer à Ouagadougou, alors que lui-même lorgne la succession d‘Alassane Ouattara en 2020.
Qui pourrait vouloir nuire à Soro et à Bassolé ?
« La liste des personnes qui pourraient vouloir nuire à Soro est longue comme le bras », affirme un proche du président de l’Assemblée nationale. Selon lui, Soro est même la cible d’un véritable « complot » visant à « son assassinat politique » quand Bassolé ne serait, lui, qu’une victime collatérale. Et de prendre comme argument un contenu « déséquilibré », accablant surtout pour l’Ivoirien, et la « timidité bien opportune » des réactions de Bassolé.
« Nous savions que les années à venir allaient être compliquées et nous nous attendions à un déclenchement des hostilités vers le courant 2016, continue la même source. Mais ils ont dégainé à peine deux semaines après la présidentielle. On ne s’y attendait pas ! » Mais de qui parle-t-on ? Des rivaux de Soro dans l’optique de 2020 ? Des pro-Gbagbo, dont le ressentiment à l’égard de Soro est connu ? Les camps Bassolé et Soro affirment connaître l’identité du commanditaire, mais ils ont refusé d’en dire plus.
Comment ont réagi Ouaga et Abidjan ?
À Ouaga comme à Abidjan, la position des autorités est la même : « No comment. » Même en off, les langues ne se délient pas. Dans l’entourage de Ouattara, on ne veut pas aborder le sujet – surtout pas au téléphone ! Trop sensible, alors que la course à la succession a déjà débuté entre Soro et Bakayoko, et que le président ivoirien a pris soin, depuis le coup d’État du 16 septembre, de ne jamais apparaître comme étant partie prenante dans les affaires burkinabè. Quelques rares bavards parmi ses proches admettent cependant que la bande a tout l’air d’être authentique et disent reconnaître la voix de Soro.
Choqué et scandalisé, le parti de Laurent Gbagbo a annoncé son intention de saisir le procureur de la République
Même les partis politiques sont restés relativement discrets. « Ce n’est pas un sujet tabou, explique-t-on au Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir). Mais Guillaume Soro est député et président de l’Assemblée nationale. Jusqu’à ce qu’elles soient avérées, ces écoutes relèvent pour nous du domaine de la rumeur. » Seul le Front populaire ivoirien (FPI) a sauté sur l’occasion. « Choqué et scandalisé », le parti de Laurent Gbagbo a annoncé son intention de saisir le procureur de la République et a demandé à Soro « de se mettre à la disposition de la justice ».
À Ouaga, le dossier est instruit au niveau du tribunal militaire, qui reste muet. Quant aux autorités de la transition, elles ont tout intérêt à observer sans mot dire les résultats de ce qu’elles ont elles-mêmes semé. C’est en effet l’entourage du Premier ministre qui, le premier, a évoqué l’existence d’une bande et en a livré des extraits à des journalistes. Depuis, plus un mot, hormis ce sempiternel refrain : « Laissons la justice faire son travail. »
Et maintenant ?
Maintenant que les bandes circulent, plus personne ne peut les ignorer, pas même Bassolé, qui les a écoutées dans sa cellule de la Maison d’arrêt et de correction des armées (Maca). Mais pour ses défenseurs, elles sont nulles et non avenues pour la simple raison qu’elles « ne figurent pas dans le dossier d’instruction », explique Me Dieudonné Bonkoungou (affirmation invérifiable, la justice militaire restant muette).
L’avocat ajoute que « M. Bassolé ne se souvient pas avoir tenu de tels propos ». Selon lui, ces écoutes (si écoutes il y a eu) « ne seront pas recevables » devant un tribunal si elles n’ont pas été effectuées dans un cadre judiciaire – ce qui semble fort peu probable. La défense de Bassolé est donc la suivante : « On ne peut pas judiciariser des écoutes administratives. » L’ex-ministre sait toutefois que si leur véracité est avérée, elles pèseront lourd en cas de procès.
Elles pourraient également être utilisées en Côte d’Ivoire contre Soro. Dans un communiqué daté du 13 novembre, le Collectif pour la justice sur l’assassinat du général IB en Côte d’Ivoire (CJA-IB) demande que ces écoutes « soient considérées comme recevables » en cas de procès sur les crimes commis lors de la crise postélectorale de 2011. Soro, protégé par une immunité parlementaire très difficile à faire lever, semble pour l’heure intouchable. Son entourage a annoncé son intention de porter plainte contre Théophile Kouamouo et Mathieu Bouabré.
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