COP21 : sauve qui peut l’Afrique !
De toutes les régions du monde, le continent est le plus affecté par le réchauffement de la planète. Il en est pourtant le dernier responsable. À Paris, ses États vont réclamer justice.
COP21 : qu’attendons-nous pour agir contre le dérèglement climatique ?
Du 30 novembre au 11 décembre, les pays du monde entier se réunissent à Paris pour faire face au dérèglement climatique. Reste à savoir s’ils sauront dépasser le stade des bonnes intentions.
Les scénarios catastrophes parlant de l’Afrique aux prises avec le réchauffement climatique d’ici cinquante ans ou plusieurs siècles sont légion. Mais il n’est pas nécessaire de regarder aussi loin. La prophétie s’est déjà réalisée dans certains endroits en 2015. « Au Sahel, 500 millions d’hectares sont déjà dégradés à cause de la désertification, qui est l’une des conséquences du réchauffement, regrette Hakima El Haite, la ministre marocaine déléguée chargée de l’Environnement. Les habitants le ressentent dans leur chair, dans leur quotidien. »
L’Afrique vulnérable face au réchauffement climatique
Cette progression du désert et autres effets négatifs du dérèglement climatique (effacement des saisons, salinisation des sols, multiplication des épisodes extrêmes tels que les tempêtes) entraînent leur cortège de conséquences économiques et sociales : migrations vers les villes, insécurité alimentaire… dans un continent où la population est amenée à doubler d’ici à 2050. Une réaction en chaîne qui aboutit à l’aggravation de la pauvreté, alors que l’Afrique serait pourtant promise à une décennie de croissance soutenue.
« On peut dérouler tous ces effets et chercher à évaluer l’impact de l’homme dans tout cela, mais, quoi qu’il en soit, la lutte contre la pauvreté est notre priorité dans ces négociations climatiques », explique Tosi Mpanu-Mpanu. Ce Congolais (RD Congo) de 41 ans est chargé de porter à Paris la voix des pays les moins avancés (PMA), majoritairement situés sur le continent : « C’est nous, les Africains, qui payons pour ce réchauffement climatique que nous n’avons pas créé. »
L’Afrique est en effet responsable de moins de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, qui proviennent notamment de la production d’énergie et des transports. Mais le continent est en première ligne : sur les vingt pays les plus vulnérables aux bouleversements du climat, quinze sont africains (Tchad, Niger et RD Congo en tête,).
L’explication est d’abord d’ordre géographique. La montée attendue du niveau des mers, par exemple, touchera plus fortement les zones situées autour des tropiques. Selon le rapport « Africa’s Adaptation Gap » du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), quelque 10 millions de Tanzaniens, de Mozambicains, de Camerounais et d’Égyptiens, dont les pays sont les plus concernés par ce problème, pourraient être contraints de se réfugier à l’intérieur des terres à la fin du siècle si la température de la planète augmente de 4,8 °C (le scénario prévu par le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, si rien n’est fait). Ensuite, l’Afrique est pénalisée par son manque de moyens pour faire face à cette évolution.
Les conséquences d’un scénario à 2 °C
À Paris, les principaux pollueurs vont tenter de s’entendre pour réduire leurs émissions – ce qui s’appelle l’atténuation – afin de limiter à 2 °C l’emballement du thermomètre mondial. Cet objectif, même s’il est essentiel, ne suffit pas aux négociateurs africains. Ces derniers veulent aussi voir de l’argent sur la table. Tout d’abord pour compenser les dégâts irréparables causés par le changement climatique. Au terme de rudes discussions, ils sont parvenus à inscrire cette notion de « pertes et dommage » à l’ordre du jour de la conférence de Paris (le montant réclamé n’a pas été dévoilé).
Les négociateurs africains militent pour que les pays développés contribuent à protéger le continent des bouleversements annoncés (ce que désigne le terme d’adaptation), quelles que soient les décisions prises en matière de réduction des émissions. Car même dans le scénario d’un réchauffement de 2 °C au maximum, la moitié de la population africaine souffrira de l’insécurité alimentaire en 2050, particulièrement dans les pays du Sahel, mais aussi en Éthiopie, au Maroc ou en Afrique australe, souligne le Pnue.
La croissance du continent pâtit d’un surcoût à cause du changement climatique, affirme Tosi MpanuMpanu
Pour les zones rurales, le défi consistera à s’adapter avec un système d’irrigation mécanisé ici (97 % des terres cultivées sont aujourd’hui irriguées par la pluie), un outil de prévision météorologique là, une semence plus résistante aux chocs thermiques ailleurs. Dans les grandes métropoles, souvent littorales, s’adapter signifie construire des digues pour lutter contre l’érosion, comme à Lagos, ou reconstruire les quartiers grignotés par l’océan. « La croissance du continent pâtit d’un surcoût à cause du changement climatique, poursuit Tosi MpanuMpanu. Et plus la réponse sera précoce, moins elle sera onéreuse. »
La facture, déjà colossale, se chiffre entre 7 et 15 milliards de dollars par an entre aujourd’hui et 2020, selon le même rapport du Pnue. Ensuite, les nombres s’emballent : les besoins s’élèveront à 50 milliards de dollars par an en 2050 dans un scénario à 2 °C et à 100 milliards par an si les températures augmentent de 4 °C.
Quels financements pour relever le défi climatique ?
Encore limités, les financements liés au climat ne sont pas inexistants en Afrique. Selon un rapport publié en octobre par l’OCDE en collaboration avec le think tank Climate Policy Initiative, ils ont atteint 62 milliards de dollars dans le monde en 2014. Même si elle est contestée, cette estimation est encourageante au regard de l’objectif de 100 milliards de dollars pour l’année 2020 fixé par la communauté internationale.
Deux faiblesses apparaissent cependant. L’Afrique reçoit tout d’abord une part minime de ces financements. De plus, 75 % d’entre eux bénéficient à l’effort d’atténuation des émissions, c’est-à-dire principalement aux projets d’énergies renouvelables, comme le solaire, l’éolien ou la biomasse. Un secteur plébiscité alors que l’Afrique apparaît comme un eldorado pour un nouveau modèle énergétique basé sur une électricité verte et décentralisée. « La vision économique et rationnelle de ces projets est très claire : on crée une centrale électrique et on vend l’électricité qu’elle produit. C’est simple », souligne le Malien Seyni Nafo, négociateur pour le groupe Afrique. Le secteur privé s’intéresse d’ailleurs à ce type de réalisations, ajoute l’ancien financier international devenu « diplomate du climat ». « Tandis que pour les projets d’adaptation, comme la construction d’une digue, le modèle de rentabilité n’est pas explicite. Et c’est d’autant plus difficile avec la crise mondiale, car l’argent destiné à aider les pays à s’adapter est public », conclut Seyni Nafo.
Le Fonds va ainsi participer à la lutte contre la salinisation des terres dans le bassin arachidier du Sénégal
Pour répondre à ce paradoxe, le Fonds vert pour le climat de l’ONU, lancé en début d’année, s’est engagé à consacrer 50 % de ses financements à l’adaptation. Ses huit premiers projets, annoncés le mois dernier, ne le font pour l’instant pas mentir. Le Fonds va ainsi participer à la lutte contre la salinisation des terres dans le bassin arachidier du Sénégal, où ce secteur représente des dizaines de milliers d’emplois.
Mais il faut plus d’argent, plus régulièrement. Les pays développés doivent tenir leurs promesses, martèlent toutes les sources interrogées. Une question de justice pour le tempétueux militant Haïdar El Ali, ancien ministre sénégalais de l’Écologie et de la Protection de la nature : « Il faudra bien que les Occidentaux comprennent que toutes les vies se valent, qu’il ne peut pas y avoir d’un côté ceux qui font la fête et de l’autre ceux qui n’ont pas accès à l’eau. Que 1 % des plus riches de la planète possède autant que les 99 % restants, ce n’est pas durable. » Pour peser de tout leur poids dans ces négociations ardues, certains Africains jouent la carte du donnant-donnant. Le Maroc a promis de réduire ses émissions de 13 % dans un premier temps, un effort entièrement financé sur son budget jusqu’en 2020. Il propose de travailler ensuite sur 19 % supplémentaires, à condition d’être entièrement financé.
Des plans locaux pour soutenir les fonds internationaux
Cependant, tout ne viendra pas de l’extérieur. Les Africains doivent mieux ficeler les dossiers pour obtenir plus de fonds, estime Tosi Mpanu-Mpanu. « Surtout, ils doivent adopter leurs propres plans locaux de développement durable. » En Afrique de l’Ouest, Ali Bongo Ondimba préside lui-même le comité pour le changement climatique, et la menace du réchauffement climatique a été directement intégrée au Plan stratégique Gabon émergent, qui vise notamment à promouvoir une gestion durable de ses forêts, précieuses pour la planète comme pour l’économie nationale.
Le Bangladesh, un PMA pourvu d’un grand littoral et sujet à la mousson, offre une autre piste. « Comprenant qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’attendre, les Bangladais ont créé il y a une dizaine d’années un fonds national pour le climat, alimenté par des deniers publics et complété par des contributions internationales, insiste Seyni Nafo. Le Rwanda, l’Afrique du Sud ou l’Éthiopie ont déjà mis en place des systèmes similaires », ajoute-t-il sans préciser si ces expériences sont concluantes.
Une taxation même minime des industries extractives et des transactions financières aurait permis de dégager cette année entre 350 millions et 5,5 milliards de dollars
Évidemment, le financement interne de la lutte contre le changement climatique entre en collision avec de multiples priorités budgétaires. À ce titre, une taxation même minime des industries extractives et des transactions financières aurait permis de dégager cette année entre 350 millions et 5,5 milliards de dollars, selon le rapport « Africa’s Adaptation Gap ». Mais il est difficile pour de nombreux États de se lancer dans ce combat.
« L’Afrique n’est pas un groupe homogène à la COP. Il y a des États précurseurs, d’autres à la traîne, conclut Seyni Nafo. Tout cela prend du temps, mais il y a un début de prise de conscience et les contributions proposées par les Africains [seuls deux pays n’ont pas transmis leurs propositions pour l’instant : la Libye et l’Angola] en sont une manifestation. C’est une première étape, il faudra ensuite joindre l’action à la parole. » Justement, c’est sur le continent que se tiendra le prochain rendez-vous mondial du climat, dès 2016. Au Maroc, la COP22 devra mettre en œuvre les mécanismes décidés à Paris. Pour les négociateurs africains, le bras de fer est loin d’être terminé.
SAVOIR FICELER LES DOSSIERS
Ces dernières décennies, l’Afrique a vu bon nombre de financements climatiques lui passer sous le nez. Notamment dans le cadre du Fonds pour l’environnement mondial (GEF), le prédécesseur du Fonds vert pour le climat. « Au bout de quinze ans, les Africains n’ont reçu que 7 % des sommes mobilisées, déclarait récemment à Jeune Afrique Carlos Lopes, secrétaire général de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique. Tout est allé en Chine, au Brésil, dans les pays qui avaient la capacité de présenter les bons projets. »
Pour remédier à ce problème, les Africains ont obtenu que le Fonds vert puisse consacrer environ 10 % du coût total d’un projet à sa préparation. « Nous avons fait en sorte que si un projet vaut 12 millions d’euros, 1,2 million supplémentaire est mis sur la table », précise Tosi Mpanu-Mpanu. Un effort qui permet de soutenir les petits organismes et de garantir que les projets deviennent une réalité.
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